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Pourquoi l'abandon du processing par Sonatrach est justifié

par Reghis Rabah*

Rappelons que cette opération dite « processing dans le jargon pétrolier consiste à un échange physique entre Sonatrach et le trader suisse Vitol d'une quantité de brut Algérien qui lui revient sous forme de produits raffinés essentiellement essence et gasoil pour combler le déficit de la consommation interne en croissance permanente dans le pays. En 2018, soutien l'ancienne équipe de Sonatrach le trader suisse a été choisie sur la base de son expérience dans le domaine de raffinage dans le monde et de ses nombreuses raffineries qui traite prés de 200 millions de tonnes par an avec un chiffre d'affaire dépassant les 235 milliards de dollars. Ce géant opère à Genève, Houston, Singapour et Londres. Ce contrat a été en vigueur en 2018 puis abandonné par Sonatrach en 2019 pour des raisons qu'on expliquera plus loin. Profitant de la crise sanitaire et la reprise progressive des activités de transport en Algérie, plusieurs voix s'élèvent pour présenter cet abandon comme « une malheureuse erreur stratégique » qui aurait pu réduire drastiquement le déficit en carburant que connait le marché Algérien. Elles tentent en vain d'ailleurs de donner au projet de contrat de raffinage d'une partie du brut Algérien en Italie avec le trader suisse Vitol, une portée stratégique. C'est une bonne affaire lit -on dans la presse qui fera une économie de 600 millions de dollars sur la facture globale d'importation des carburant complémentaire et nécessaire à la consommation en Algérie estimée à plus de 2 milliards de dollars. L'offensive médiatique « Gage donc que cette solution ne soit pas compromise par des considérations politiques internes et des manœuvres de déstabilisation. » Il faut admettre pourtant qu'au moins quatre bonnes raisons montrent que cette opération montée dans la précipitation n'était certainement pas comme on l'a présente aujourd'hui.

1- D'abord, l'opération n'a pas été rendable

Il ya eu selon les données de Sonatrach prés de 4,65 millions du brut Algérien qui ont été transférés de l'Algérie vers les unités de ce trader suisse pour obtenir 1,54 millions de tonnes d'essence et 2,33 millions de gasoil. Selon cette approche lit-on, les importations globales des carburants seraient estimées à 1,1 millions de tonnes en 2018 au lieu de 3,17 millions de tonnes en 2017dont 0,2% en gasoil et essence. Ce coût d'importation durant l'année de cette opération du processing « aurait été ramené à 500 millions de dollars » contre prés de 2 milliards de dollars en 2017. Il faut ajouter à cela le coût du processing évalué à 270 millions de dollars soutient cette approche. En 2018 donc grâce à cette opération, l'Algérie s'est limitée à une quantité importée de 400 000 tonnes de gasoil et 100 000 tonnes d'essence. Or, l'année 2018 a vue les prix du baril du Brent proche du Sahara Blend s'établir en moyenne à 71,69 dollars le baril avec un point bas de 49,93 dollars le baril et un point haut de 71,86 dollars le baril. Si Sonatrach avait exporté cette quantité de 4,65 millions de tonnes qui a été transférée chez Vitol, elle aurait tiré prés de 2,5 milliards de dollars et économiser 270 milliards de dollars du processing et prés 63 millions de dollars dépensés pour shipping. Elle aurait mis de côté dans le scenario le plus pessimiste plus de 1 milliard de dollars

2- La rentabilité était fondée sur de fausses données

L'étude pour comparer le traitement du pétrole dans les deux régions, avance un coût de raffinage de 15 dollars la tonne contre 6 dollars seulement pour son partenaire suisse. Serait -il concevable d'admettre que Sonatrach qui dispose d'une matière première à la portée de la main, d'un équipement (battery limit investment, utilities etc.) complètements amorti, de l'eau, de l'électricité pour le refroidissement et la vapeur subventionnées par le trésor public est comparable en Italie où il faut acheter le brut entre 540 à 500 dollars la tonne, supporter les frais de son stockage, acheter l'eau l'électricité à son prix réel. Le coût moyen de raffinage dans toutes les régions du monde se situe dans la fourchette de 5 à 10dollars la tonne. Comment se fait -il que le nôtre atteigne un tel niveau de 15 dollars, Il vrai que nos raffineries supportent des frais d'entretien et d'chat d'additifs comme les catalyseurs au prix international mais c'est le même cas partout dans le monde. La seule différence est le coût de main d'œuvre qui dépasse celui des raffineries européennes par le nombre dit en Algérie « sureffectif » mais vite compensé par le niveau des salaires qui n'est pas le même. Le salaire moyen en Europe comprenant main d'œuvre opérationnelle et de supervision est de 2500 euros/mois, En Algérie, il n'est que de 55000 dinars donc à peine 400 euros puisqu'on s'obstine de comparer les coûts en dollars.

3- les quantités raffinées sont insignifiantes

Si l'on se réfère aux chiffres avancés par l'Autorité de Régulation des Hydrocarbures ARH dans bilan 2016 et la déclaration du ministre de l'énergie qui situe la croissance de la consommation de carburant de 2017 à prés 7%, on obtient l'évolution en 2017 une demande intérieure de 11, 046 millions de tonnes de gasoil, 4,567 d'essence et 0,377 de GPLc pour une demande totale à satisfaire 15,990 millions de tonnes. Ceci fera passer la consommation tout type de carburant confondu dépassant donc des 17 millions de tonnes fin 2019 pour une capacité totale de raffinage ne dépassant pas 11,5 millions de tonnes. Même si l'année 2020, la consommation des carburant a drastiquement diminué à cause de la crise sanitaire, le deconfinement et la reprise des activités notamment de transport vont donner un coup de pousse à la consommation en 2021 ce qui serait difficile pour Sonatrach de satisfaire la demande nationale sans importer des carburant notamment le gasoil dont la proportion dans la consommation de toutes les formes est dominante à 70%. Rappelons juste pour mémoire que l'année 2016, Sonatrach a produit en moyenne 1,08 millions de baril par jour (b/j) dont 540 000 b/j ont été utilisé pour le raffinage et 530 000 b/j pour l'exportation. Il se trouve que la situation actuelle générée par une gestion houleuse des gisements à partir du deuxième semestre 2017 caractérisée par une perte progressive de production. En 2021, étant donné le nouvelle feuille de route, la Sonatrach pourrait utiliser pour ses besoins de raffinage jusqu'à 760000 b/j. Dans le cas de la levée de la contrainte OPEP : vu le déclin continue non contrôlé depuis 2017, il resterait dans le meilleur cas près de 150 000b/j à exporter. A 45 $ le baril soit presque 2.5 milliards de $.Maintenant si l'OPEP maintient ce quota, il restera 70 000 b/j à exporter, soit 1.2 milliards de $ au prix de 45 $ le baril. Il ne s'agit pas d'une situation que le secteur de l'énergie pourrait maitrise car indépendante de sa volonté mais de l'évolution internationale de l'énergie.

La consommation tout type de carburant confondu s'approche donc des 16 millions de tonnes et ce n'est pas les augmentations contenues dans les dispositions des différentes lois de finances qui vont l'arrêter puisque prés de 70% du déficit concerne les gas oïl destinés en majorité aux industriels et transporteurs qui vont les répercuter sur les citoyens. Or, si l'on en croit les déclarations des uns et des autres, le déficit se situe autour de 3 millions de tonnes qu'on importe pour une facture de 1 million de dollars pour la secrétaire générale du ministère de l'énergie et de 2 milliards pour le PDG de Sonatrach à moins d'une erreur de transcription de la presse. On a donc 120000 tonnes par mois soit 1 444 000 tonnes par année de brut envoyé en Italie pour donner au plus 576 000 tonnes de carburants. Cette quantité comparée au 3 000 000 de tonne représenterait à peine 20%.

4- la société Vitol traine des casseroles

Vitol est une société de Trading et de négoce pétrolier basée à Genève qu' elle a menacé de quitter à plusieurs reprises. Il suffit uniquement de «googler » son nom sur internet pour découvrir que son patron du nom Ian Taylor, un businessman britannique avait raconté et quand ? en 2016 au journal « le temps », il s'exprimait d'ailleurs dans le cadre du «FT Commodities global summit», sommet des acteurs du secteur des matières premières qui se tenait à Lausanne que sa société a aidé les rebelles libyens en 2011, alors que la guerre civile entre insurgés et loyalistes du régime de Mouammar Kadhafi faisait encore rage. S'il a attendu tout ce temps pour dévoiler l'implication politique de sa société en Libye, on peut supposer qu'il aurait pu le faire avec les insurgés dans ce pays de tout bord ou même DAECH. Vitol est une société indépendante, dont les salariés font partie des actionnaires, un modèle qui favorise la loyauté et les relations à long terme avec les clients. Poursuivie dans l'affaire Pétrole contre nourriture, la société Vitol a été condamnée en 2007 aux États-Unis à payer 17,5 millions de dollars. Plaidant coupable, Vitol s'est alors engagée à verser 13 millions de dollars à un fonds de développement onusien pour l'Irak. Dans la même affaire, Vitol est condamnée en appel en février 2016, à Paris[], à une amende de 300 000 Euros[]. Enfin En septembre 2016 une enquête de l'ONG « Public eye »révèle que Vitol profite des normes en vigueur dans certains pays d'Afrique[] pour y écouler depuis 30 ans du carburant toxique[], à haute teneur en soufre notamment: « les carburants écoulés en Afrique ont une teneur en soufre entre 200 et 1 000 fois plus élevée qu'en Europe, mettant gravement en péril la santé de populations exposées aux particules fines et à d'autres substances chimiques cancérigènes. »[] Ce carburant toxique provient de l'ajout au carburant, par l'entreprise, de substances toxiques très bon marché, ce qui lui permet d'augmenter ses gains. Ces mélanges ont lieu à Rotterdam, Anvers ou Amsterdam, voire en mer à proximité des ports africains.

*Consultant, Economiste Pétrolier