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Comment l'avenir pourrait-il être meilleur ?

par Arezki Derguini

Devenir indien, ce n'est donc pas retourner à la nature ou remonter dans le temps. C'est faire le deuil du monde d'avant et apprendre à vivre dans un «monde diminué», où l'on est moins riche qu'hier. Les peuples andins ont ce mot d'ordre devenu célèbre : «Vivre bien.» Mais on oublie souvent la suite de leur slogan : «Vivre bien ne veut pas dire vivre mieux.» Vivre mieux, c'était le projet du capitalisme, de la modernité. Vivre bien, n'est-ce pas... mieux ? [1]

C'est la question que l'on peut se poser quand on pense aux jeunes générations, au monde de demain avec ses nouvelles technologies, son économie d'énergie, le réchauffement climatique, ses fractures, ses guerres et ses paix.

Vivre mieux ou vivre bien ? Devenir nous-mêmes, cesser de vouloir imiter ce qui ne peut plus l'être. Vivre mieux, c'était le projet du capitalisme dit Eduardo Viveiros de Castro, au passé et non plus au futur. Car vivre mieux si cela se peut ne concernera plus qu'une petite moitié de l'humanité, les classes moyennes de la globalisation en même temps que cela multipliera les crises sociales et écologiques.

Les croyances dans l'avenir

Vivre mieux divisera la société entre ceux qui voient et ceux qui ne voient pas qu'une telle possibilité est inscrite dans leur présent. On peut distinguer de ce point de vue quatre populations : les populations qui vivent bien ou mal et croient qu'elles vivront mieux que leurs parents (A, B), celles qui vivent bien ou mal et croient qu'elles vivront moins bien que leurs parents (C, D). Si donc les choses continuent d'aller comme elles vont aujourd'hui, la société sera parcourue par ces quatre tendances. Selon la force que chacune d'entre elles prendra dans le cours des choses, la manière dont elles s'articuleront, dépendra l'avenir de la société.

La cohésion de la société se fera autour de la tendance la plus lourde. De quelle manière elle se fera est ce qui nous importe. Selon le cours actuel des choses, la tendance la plus lourde pourrait être celle portée par la population qui vit mal le présent et pense que le futur sera pire. La population vivant mal s'accroissant, celle vivant mieux diminuant, celle qui vivait mal et vit mieux étant très négligeable. La pente de la société semble claire. Mais il n'est pas sûr qu'une telle tendance puisse faire longtemps la cohésion de la société. La façon dont elle comprendra les autres populations pourrait ne pas être consensuelle. Volontaristes, ses réalisations pourraient ne pas être satisfaisantes. Cette tendance pourrait alors à son tour se décomposer, sa différenciation régionale s'accentuer.

Mais je ne crois pas qu'on puisse éviter d'aller au bout d'une telle pente. Ce que je vois plutôt c'est qu'au bout d'une telle pente, on peut se retrouver dans deux états différents : un état où ayant trouvé le fond, nous retombons sur nos jambes, nous nous ramassons et repartons dans une pente ascendante et un autre état où nous ne trouverions pas le fond et nous ne cesserions pas de nous fragmenter, de nous entrechoquer. Accompagner le mouvement pour préserver une cohésion et trouver un sol ferme, ou subir le mouvement en nous débattant sans en voir la fin.

Aussi importe-t-il de savoir comment préserver notre cohésion en période de vaches maigres. À quoi tenir et que laisser partir ? Que garder et de quoi se décharger ?

Les populations qui vivent mal le présent, mais entrevoient un meilleur avenir (B) sont à mi-chemin entre les populations C et D qui vivent mal le présent. Elles divergent des populations en ce qu'elles envisagent de vivre bien plutôt que mieux. Elles partagent le présent des populations C et D, mais ne partagent pas la même vision des possibles qui peuvent s'y ouvrir. Elles divergent d'elles d'en ce que celles-ci veulent vivre mieux alors qu'elles ne le peuvent pas. Les unes y voient le pire, les autres des possibilités de lui échapper. Elles ont donc le même point de départ, mais n'envisagent pas le même cheminement. Les unes résistent, se révoltent, mais restent prises sur la voie de la dégradation, les autres bifurquent. On peut dire que les populations A sont le contraire des populations C et D : elles sont sur la même trajectoire, mais tirent en sens opposé. Alors que la population B est la contradictoire de la population A : elle propose une autre trajectoire. Vivre bien n'est pas vivre mieux, ou autrement dit, c'est vivre mieux, mais pas comme avant.

Ce n'est donc que si les populations B arrivent à faire partager aux populations C et D un chemin qui évite le pire, autrement dit si elles élargissent leur voie pour que ces dernières puissent s'y engager que l'on peut espérer arriver à une cohésion non régressive de la société. On peut supposer que c'est au sein de la population C qui constitue la partie médiane de la société que peut émerger la population B et se percevoir un autre avenir que celui qui pointe à ses extrêmes. Cette population dont la propension est bloquée à mi-parcours (qui participait du destin de la population A, qui maintenant risque de partager le destin de la population D), est celle qui perçoit la solidarité des deux extrêmes, donc le processus de différenciation sociale actuel et se soucie de ne pas en être la victime. Mais pour que l'influence de la population B puisse toucher la population D, il faut supposer des passerelles entre ces deux populations. Aussi soutiendra-t-on que la population B se constitue de la population C qui aura réussi à faire jonction avec la population D, donc d'un mixage de la population C et D (C&D) qui redéfinit en son sein un autre cheminement que celui promis par le cours actuel des choses. Un tel mixage casserait le processus de différenciation dominant qui concentre les populations à ses deux extrémités pour en définir un nouveau moins tendu et davantage intégrateur.

La lutte véritable commence donc entre ceux qui voudraient que le futur prolonge le présent et ceux qui voudraient qu'il bifurque et ouvre un nouveau chemin. Non pas entre les gagnants de la globalisation et les perdants tout simplement, le dernier ensemble étant trop hétéroclite, mais ceux qui portent un nouvel avenir, empruntent une nouvelle voie, défendent et creusent un possible plus intégrateur qui peut être ouvert dans le présent, qu'elles œuvrent à faire émerger sous celui dominant.

Pour qu'un tel avenir prenne plus de consistance et puisse être partagé plus largement, le champ d'expérimentation et de réussite de cette partie de la population qui s'efforce de réaliser un avenir mieux partagé doit pouvoir s'élargir. Vivre bien signifiera d'abord vivre en paix, résister à la tentation de consommer plus, qui menace d'aggraver la difficulté de vivre, d'intensifier la raréfaction des choses de la vie et la guerre de tous contre tous.

Dans leur situation présente, les populations dont l'état se dégrade ont tendance à résister à un tel mouvement en le freinant et non pas en cherchant des voies de bifurcation pour refaire sa cohésion, ses forces. Leur stratégie reste défensive, collée au cours des choses. La population qui vit mal, mais essaye d'ouvrir un autre possible dans le présent, une bifurcation dans le cours des choses, un processus de différenciation moins tendu, est seule en mesure de résister et de triompher. Les perdants de la globalisation peuvent l'emporter sur les gagnants, mais le processus de différenciation qu'ils engageront s'il ne réussit pas ne pourra qu'accroitre le désordre social, un processus d'indifférenciation anomique. Car tout est là : quel est le processus de différenciation qui peut faire à la fois progrès et cohésion ? «Tout le monde à terre» (est égal), cela est bien, encore faut-il que l'on se tienne sur un sol ferme, que l'on puisse ensuite construire des forces, se mettre en ordre de marche, vivre en paix, se spécialiser, travailler et s'améliorer.

La croyance dans le progrès

Ceux qui croient qu'ils vivront mieux que leurs parents aujourd'hui croient en l'avenir que porte le cours des choses. Ils surfent sur le cours des choses. Dans le passé cette croyance était largement partagée : on croyait que le progrès, mené par la Science, serait celui de toute l'humanité. Le temps était synonyme de progrès, de croissance. Cette croyance dans le pouvoir illimité de la Science entrainait le monde entier. Le progrès se diffusait des sociétés les plus avancées vers les autres.

Quand certaines sociétés se battaient pour le garder, le concentrer chez elles, les autres se battaient pour s'en approprier. Aujourd'hui que la croissance devient coûteuse, que la planète paraît trop petite pour sa population, que ses ressources paraissent limitées, que son énergie fossile (force motrice de son industrie et de son mode vie), son industrie et son mode vie polluent et freinent son expansion, le nombre de ses croyants diminue. C'est le temps de l'impuissance, de la défiance du politique et du scientifique.

Il faut cependant distinguer les vrais croyants des faux. Les vrais croyants sont confirmés par leur expérience, ici ce sont les gagnants de la globalisation, les surfeurs. Les faux croyants, plus nombreux, sont ceux que la vague risque d'emporter. Ils sont ceux qui ne veulent pas croire leurs sens, ce que leurs yeux voient. Ceux que ne confirme pas leur expérience souvent parce qu'ils n'en ont pas. Ils veulent croire en dépit de leur situation qui se dégrade, ils ne peuvent tenir qu'au passé, qu'à leurs anciennes habitudes. Formatés à l'excès, ils ne peuvent pas se détourner, mais se tourner vers quoi ? Ils attendent toujours du temps qui vient un meilleur avenir, mais un avenir qu'ils ne perçoivent pas et qu'ils ne peuvent qu'imaginer d'une imagination toute théorique et dont ils peuvent désespérer. On distinguera quand même ceux qui tiennent au cours du pétrole, qui attendent que la vague de la décroissance passe. Le mythe de l'histoire comme progrès n'est pas en cause pour eux, mais le fonctionnement du monde, des marchés et de la société [2]. Il suffirait de réformer le monde, l'organisation des marchés et de la société pour sauver l'histoire comme progrès. Il en fut ainsi avec le socialisme, il suffit pensait-on de supprimer la propriété privée des moyens de production, le marché libre où loge l'injustice pour libérer les forces productives, de les remplacer par leur contraire ... et on revint à la case de départ. Le processus de différenciation renaissait avec les mêmes oppositions. On n'a pas vu que les contraires se tenaient, que l'on ne pouvait aller que de l'un à l'autre. Les contraires ne sont que le résultat d'une bipolarisation du processus de différenciation. Au lieu de se balancer, de s'équilibrer, de s'inverser, ils se sont opposés jusqu'à s'exclure sans voir les processus d'indifférenciation et de différenciation qui les produisaient. C'est le processus de différenciation qu'il faut apprivoiser.

On ne peut pas imposer à la vie un modèle de différenciation, on ne peut que contribuer à ses processus de différenciation. Dans le cas de la propriété, les différentes formes de propriété ne sont pas produites séparément, mais l'une en différence à l'autre, l'une pouvant passer dans l'autre et donc dans une certaine cohésion. Une définition arbitraire, violente n'empêchera pas le processus de différenciation de reprendre ses droits. Elle augmentera seulement les coûts.

Les dérives de l'imagination sociale

Ceux qui ne croient pas en l'avenir que porte le cours actuel, ceux sur lesquels le mythe du progrès a relâché sa prise, peuvent se tourner d'une certaine manière vers le passé. Un avenir qui à défaut de pouvoir se dessiner, prend le visage d'un passé glorieux, d'un âge d'or. L'avantage d'un tel retour, c'est qu'il est prêt à l'usage et donc économise bien des efforts à l'imagination : il offre une image du monde, de sa conduite et de sa façon de penser, que l'on peut nombreux imiter. Si cette partie de la population se fie à son imagination et se détache de son présent, c'est parce que celui-ci ne lui offre aucune ressource. Le second avantage d'un tel retour, c'est qu'en même temps qu'il se soutient d'une disponibilité de la mémoire, il s'appuie sur un sentiment égalitariste. Cet égalitarisme redonne l'espoir d'une prise de la société sur son présent quitte à ce que cet avenir ne soit qu'imaginaire ou apparaisse sous une allure stationnaire. Il aura été arraché à ceux qui voulaient les en exclure. C'est sur cet égalitarisme et cette disponibilité de la mémoire que des doctrinaires religieux pourront s'appuyer pour proposer un modèle simple et pacifié de la société. Mais les individus se rendront vite compte que le progrès technique auquel ils restent attachés finira par ne pas les concerner. En vérité, ces individus - sous l'influence de doctrinaires qui ont figé l'imagination sociale, se sont tournés vers le passé pour mieux recevoir le futur qu'ils refusaient [3], pour mieux faciliter un processus de différenciation capitaliste.

C'est ainsi qu'il faut comprendre la profonde connivence entre les monarchies du monde arabe et l'Occident capitaliste. Les dictatures modernistes ont seulement cru qu'elles pouvaient se moderniser plus vite, qu'elles pouvaient balayer plus vite les traditions/résistances sociales. Leur connivence est moins évidente, elle est discrète, moins étendue et peu relevée. La France acceptera-t-elle de rendre à l'Algérie les biens mal acquis des responsables algériens qui se sont réfugiés chez elle ?

Cette partie de la population qu'aliène son imagination ne cessera pas de croître, si dans le cours des choses ne parviennent pas à se dessiner d'autres possibles que ceux que prépare le cours actuel. Car l'imagination ne pourra que dériver suite à son décrochage du monde réel. Pour éviter une telle dérive, où la société cherche à habiter un monde imaginaire qui ne cessera pas de lui échapper, il faut ressouder l'imagination au sens commun [4]. Il faut redonner à la société la pratique de sa pensée et la pensée de sa pratique.

Une telle dérive de l'imagination sociale s'accompagnera d'une plus faible prise de la société sur le mouvement réel, mais aussi à sa division. Car les doctrinaires feront face à d'autres doctrinaires, d'autres imaginaires irréductibles. Et la domination des uns répondra la résistance des autres. La société sera prise entre deux camps opposés et sera neutralisée pour laisser la formation de l'imagination aux doctrinaires de la Science et de la Religion, formation qui court-circuitera la production d'un sens commun. La crise se poursuivra, la Religion et ses adeptes s'efforçant de soumettre la Science et ses adeptes, ou inversement, pour exclure la société de la politique. Sans l'intercession de l'Argent, les deux imaginaires ne pourront se concilier.

Science et Religion sont les figures jumelles d'une dépossession de la société de son savoir : il y a ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. La Science grande prêtresse du paradis sur terre a succédé à la Religion par la grâce du roi Argent pendant quelques siècles, la Religion d'État a régné sur plusieurs siècles avant que n'arrive le règne du roi Argent et la promesse d'un paradis sur terre.

Dans notre société, Science et Religion s'opposent et se disputent la prééminence, paradis sur terre versus paradis céleste. Les croyants se partagent, croyants mous, fervents croyants. Cela tient d'une tradition sociale, d'une Religion d'État et d'une hégémonie occidentale sur la pensée où l'imaginaire social a décroché du sens commun, de l'expérience sociale. Toutes deux s'entendent pour déposséder la société des pratiques scientifiques, religieuses et politiques.

Tant que nous ne sortirons pas de leur opposition, un processus de différenciation sociale cohérent ne pourra plus s'engager, chacune voulant en dicter la marche. Il faut rendre la science et la religion à leurs praticiens, autrement dit il faut rendre à la société la « pratique de sa pensée » et la « pensée de sa pratique » que le cloisonnement des spécialités permet de lui soustraire pour les livrer à une minorité qui peut avoir une utile pratique de sa pensée et une utile pensée de sa pratique.

Le milieu propice à une différenciation concertée

Il faut penser aux milieux qui peuvent permettre à la société de se réapproprier sa pensée et sa conduite. Les milieux dans lesquels vivent nos populations fabriquent des individus séparés incapables de coopération, de synergie. L'État a séparé la majorité de la population des ressources disponibles, il les a concentrées et a assigné à chacun une place dans un ensemble qu'il croyait pouvoir animer. Et la société de se disputer les places jusqu'à le mettre en faillite et à le soumettre aux contribuables les plus puissants.

Il faut penser à des milieux où la société peut faire corps (avec ses appareils) et se réapproprier ses ressources, fabriquer ses capacités. En somme il faudrait constituer des populations précises qui puissent se donner des objectifs précis, des cheminements qui puissent entrer en congruence de sorte que la progression de chaque partie de la société puisse tenir avec la progression des autres. Des milieux en mesure d'ordonner, de coordonner leurs différents mouvements.

Un horizon commun suppose la perception par chaque population, par chaque individu de son cheminement particulier dans le cheminement global de la société. Il faut des milieux qui puissent penser la différenciation sociale qu'ils pratiquent, à laquelle ils adhèrent, différenciation qui détache et attache les intérêts les uns aux autres. Ainsi la société peut-elle partager la croyance dans une marche commune vers un horizon commun. La construction de tels horizons emboités ou congruents ne peut procéder que de bas en haut de la société, de populations particulières vers toute la société. Le contraire imposerait la vision d'une partie de la population sur le reste, la vision de celle qui est intéressée dans le prolongement du cours actuel, de celle qui peut en tirer des bénéfices immédiats.

La construction de bas en haut doit partir de collectifs en mesure de situer leur trajectoire particulière dans une démarche globale de progrès. Nous voulons, pouvons individuellement et collectivement, pour chaque catégorie, devenir ceci en effectuant cela et en passant par là. La région apparait comme le milieu dans lequel la société peut être à la hauteur de sa différenciation. Si elle adopte alors une doctrine sera pour la mettre à l'épreuve de son bien-être. Un tel milieu peut accueillir la différence des croyances comme des propensions parce que leur intérêt se portera alors sur les réalisations qu'elles apporteront au bien-être, à la bonne vie du milieu. Pour que la société reste attachée à un avenir commun soustrait à la manipulation de la Science ou de la Religion, deux serviteurs de l'Argent, elle doit pouvoir expérimenter et s'évaluer. Ce qu'elle ne peut faire que dans un cadre qui ne lui échappe pas, qu'elle ne livre pas à des puissances extérieures. La nation construite de haut en bas déprend les populations de leurs cadres d'action et livre son cadre d'action à des spécialistes entretenus par les puissances d'argent. Il nous faut donc trouver les milieux dans lesquels notre jeunesse pourra convenir avec une différenciation sociale de progrès. Il est clair que la différenciation sociale que promet le cours actuel du monde dans le cadre des États-nations ne pourra pas être soutenable longtemps. Elle engendre ruptures sociales et crises écologiques graves. Le cadre national devra être soutenu par des milieux où la différenciation sociale pourra être plus ramassée, moins tendue entre ses deux extrêmes, où la complémentarité des ressources pourra être mieux ordonnée.

[1] Et si le temps était venu de «devenir indien» ? Entretien avec l'anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro. http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20140710.OBS3375/le-temps-est-venu-pour-nous-tous-de-devenir-indiens.html

[2] Le mythe du progrès n'est que la sécularisation du mythe du paradis céleste, la promesse d'un paradis terrestre. Le libéralisme se branche sur ce mythe : la société est l'obstacle à sa réalisation. Le socialisme scientifique est une autre variante.

[3] Avec le socialisme d'État, la force de la croyance dans le progrès a été décisive. Mais nous avons seulement pris un détour : on a accepté le socialisme pour refuser le libéralisme, mais pour mieux nous y conduire à travers la patrimonialisation de l'État. Maintenant, il faudrait effectuer un nouveau détour, celui par l'islam doctrinaire, le détour étatique n'ayant pas suffi. Les doctrines absolutistes voudraient définir le processus de différenciation sans prendre en compte le processus lui-même. Les doctrines absolutistes sont des succédanés du mythe de la domination de la nature.

[4] Isabelle Stengers. Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle. La Découverte, 2020.