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4 propositions pour la seconde République

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Maintenant que le Hirak est agonisant pour s'être fracassé contre le mur malgré les avertissements de certains dont je fais partie, il est temps qu'il reprenne la direction du projet politique réfléchi, préparé et rédigé s'il veut ressusciter.

Voici quatre propositions qui me semblent incontournables pour lui, à la condition que la prochaine fois il saura s'entourer d'autres symboles et fréquentations ainsi qu'un solide projet de société, clair et débattu sérieusement quelles que soient les difficultés à le faire.

Ce jour-là, un Hirak nouveau retrouvera le chemin de la vraie révolution démocratique pour une seconde République.

1. La laïcité

La religion doit être circonscrite hors du domaine et du financement public par son effacement de la Constitution.

Il faudra bien que le peuple algérien comprenne un jour la définition de la laïcité qui n'est absolument pas l'interdiction de la religion mais, au contraire, sa protection.

En continuant dans cette direction, la religion musulmane est condamnée à disparaître de l'espace public, dans un sens beaucoup plus élargi car aucune avancée de l'humanité n'a permis la perpétuation d'un blocage dans les dogmes et les interdictions publiques autoritaires.

Ce jour-là, la religion musulmane trouvera dans la laïcité la protection de la liberté de conscience que les démocrates accordent toujours aux citoyens qui se conforment aux institutions laïques et démocratiques.

Il appartient aux croyants algériens de prendre leur responsabilité et, pour une fois, se rendre compte de ce qu'est leur intérêt. La laïcité est leur dernière chance de sauver leur liberté de conscience. La marche du monde et des modernités ne les attendra pas ni ne saurait être bloquée éternellement par leur entêtement.

2. La régionalisation

Sans remettre en cause l'unité et l'intégrité nationale, elle donnerait enfin aux langues et cultures une base anthropologique libre et solide afin de s'épanouir.

Si ce pays n'est pas capable de faire vivre plusieurs langues et cultures dans un cadre officiel, il est alors condamné à se poser la question de l'utilité de son unité. Car les langues et cultures de ce pays sont une réalité qu'aucune incantation ni interdiction ne sauraient ignorer.

La régionalisation fut demandée de longue date par les démocrates et existe dans de nombreux pays. Le problème de la Catalogne est justement celui d'une erreur fondamentale d'avoir voulu, dans les premiers temps de la Constitution de 1978, occulter le passé franquiste sous prétexte d'unité nationale et d'oubli du passé.

L'expression « base anthropologique » n'est pas un parcage dans une réserve délimitée comme me le reprochent beaucoup. C'est une base territoriale qui donne appui à cette langue, dans toutes les formes, officielles et culturelles, afin qu'elle trouve le meilleur d'elle-même pour se développer et s'élargir.

La seule autorisation et proposition de cours en berbère dans les autres régions est un leurre car une langue a besoin d'un enracinement fort pour son développement et épanouissement dans toutes les couches de la société.

L'apprentissage du berbère et sa maîtrise par quelques érudits n'est franchement pas la définition d'une langue nationale incrustée dans le milieu social et officiel.

L'anglais est enseigné depuis un demi-siècle. Je ne pense pas qu'il soit devenu une langue nationale et tous les efforts ridicules d'intégrer l'anglais à l'université, en remplacement du français, ne feront jamais de la majorité des étudiants des anglophones sans base anthropologique historique et profonde.

3. L'abrogation du code de la famille

Aucune avancée civilisationnelle et de modernisation, sociale et économique ne pourra être dans l'agenda de l'Algérie sans l'égalité et les droits de la moitié de la population, les femmes.

C'est une exigence incontournable de l'humanité du 21ème siècle. La jeunesse algérienne n'a aucun avenir avec ce texte d'un autre âge.

Par ailleurs, il n'a aucune chance de se perpétuer et nous fait perdre du temps autant qu'il fait un mal profond aux valeurs humaines.

Il appartient également aux croyants de se rendre compte de leur intérêt car ils ne pourront pas justifier pour longtemps encore cette disposition légale qui tourne le dos à la civilisation et à tous les textes des droits de l'Homme auxquels l'Algérie a pourtant adhéré.

4. Juger pénalement les hauts responsables du désastre

La justice n'est pas la vengeance mais l'assurance d'un futur apaisé. Aucun pays dans l'histoire qui a cru mettre sous le tapis cette étape judiciaire n'a pu éliminer les démons et les frustrations du passé qui reviennent, un jour ou l'autre, les hanter.

Sous prétexte de tourner une page douloureuse et d'avancer, éviter une justice pénale à ceux qui ont terrorisé et pillé ce pays est une faute lourde. Car comment envisager une Constitution et un droit dans la seconde République en justifiant que les plus grands responsables et corrompus ont eu un effacement aussi facile de leurs actes ?

La démocratie prévoit toujours dans son droit la disposition de l'amnistie pour apaiser les souvenirs des passés douloureux. Mais d'une part, elle ne peut être acceptée pour les responsables les plus incriminés et, d'autre part, elle ne s'envisage qu'après la condamnation pénale et la restitution des biens mal acquis, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays.

Si le Hirak, pour le moment décédé, veut revenir à la politique révolutionnaire et ressusciter, il lui faudra passer par de sérieuses résolutions politiques et arrêter les projets de marches du vendredi après-midi, rendez-vous à la grande poste à 14 heures.

Ces quatre propositions lui sont destinées, outre-tombe, pour la construction de notre seconde République.

*Enseignant