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Quelle couverture sociale pour les médecins libéraux ?

par Bouchikhi Nourredine*

Le personnel du secteur public de la santé vient de bénéficier d?une assurance qui garantit un revenu à la famille en cas de décès par Covid19 de même qu'une complémentaire santé qui assure une assistance autant médicale qu'aux soins qu'exige la prise en charge à domicile de la personne des complications de la maladie.

Il s'agit là d'une initiative fort louable dans le contexte de cette épidémie où le risque pour le personnel médical et paramédical est permanent et réel pour leur santé ou même leur vie.

Cette assurance sera prise en charge par et sur initiative de la présidence, outre le capital décès elle prend en charge tous les frais inhérents aux soins, médicaments, examens de laboratoire, bilan radiologique et transport sanitaire.

Cette décision qui de prime à bord parait un plus pour les employés du secteur de santé publique soulève des questionnements légitimes qui méritent réponse.

Les prestations promises par cette nouvelle « assurance » si on excepte le complément du capital décès qui peut être assimilé dans ce cas à une assurance vie optionnelle prise en charge dans les conditions normales par certaines assurances agrées à une différence près c'est qu'au lieu que ce soit à l'intéressé lui-même que revient le devoir de s'acquitter de la cotisation c'est l'état représenté par la présidence qui a pris à sa charge le règlement des montants dus ; mais le revers de la médaille c'est qu'il s'agit là ni plus ni moins d'un aveu clair et sans équivoque de la défaillance de la couverture médico-sociale de la part des organismes (CNAS et CASNOS) dont le rôle établi juridiquement et légalement est de prendre en charge tous les aspects liés aux soins de tous les cotisants sans distinction et pas seulement d'une frange de la société ; cela comprend les frais d'hospitalisation, les soins ,les examens complémentaires et le transport ;missions qui reviennent de fait aux caisses et justifient leur existence.

La décision de la présidence en palliant à cette carence ne vient donc que confirmer une réalité connue de tous en Algérie : les caisses incapables de couvrir les dépenses liées aux soins de ses cotisants ont imposé un fait accompli qui fait que les malades ne sont pas remboursés à la hauteur des frais réellement engagés non seulement pour ce qui concerne les prestations mais aussi pour la majorité des médicaments où même les assurés à « 100% » devront régler la différence par rapport au tarif de référence arrêté et qui dépasse souvent de loin le prix du médicament lui-même!

La deuxième question qui vient à l'esprit ; cette « faveur » est elle uniquement ponctuelle fonction de l'évolution de l'épidémie et donc limitée dans le temps ? Ou s'agit il d'un acquis consacré une fois pour toutes ?

Enfin nous arrivons à la question qui fâche et là où le bas blesse c'est qu'aucune allusion n'est faite à l'endroit des médecins du secteur libéral qui sont de plus en plus au devant de la pandémie et qui ont payé et continuent à le faire le plus grand tribut en termes de décès sans compter le manque à gagner du aux arrêts pour maladie ou confinement sans aucune considération ne serait que pour les charges fixes de la part de la caisse des travailleurs non salariés (CASNOS) organisme habilité à assurer la couverture sociale et médicale des travailleurs non salariés en l'occurrence ici les médecins exerçant à titre privé !

Cette décision prise vue sous cet angle ne fait donc que consacrer une ségrégation et une injustice envers le secteur privé !

Naturellement cela ne manquera sûrement pas de faire réagir la communauté des médecins libéraux.

En fait dès le début de l'épidémie la différence de traitement des autorités envers le secteur libéral privé a été flagrante, pression administrative pour le maintien de l'activité au même moment ou les activités courantes au niveau des hôpitaux ont été suspendues, absence de tout mécanisme de mise à disposition des moyens de protection ,absence d'indemnisation due au ralentissement de l'activité suite aux mesures de confinement et autres.

Même si la réflexion était engagée depuis un certain temps parmi les professionnels du secteur libéral surtout avec la création de leur jeune syndicat ce sont tous ces aspects réunis qui ont ravivé le débat et ont fait prendre conscience aux médecins de la grave situation dans laquelle ils se trouvent « piégés » ; et pour ceux qui ne prêtaient pas attention à la situation croyant que les beaux jours ne s'estomperont jamais le sombre tableau est devenu palpable et bien visible dès les premiers morts parmi les leurs et l' interruption de travail imposé par la maladie ou le confinement et toutes les répercussions qui s'en suivirent sur les familles et sur la qualité et le niveau de vie des médecins victimes de l'épidémie ; une situation infligée déjà à beaucoup par les aléas de la vie et vécue par de nombreuses familles bien avant mais occultée sous prétexte que le médecin libéral est suffisamment nanti pour s'assurer une vie décente pour lui et les siens même s'il est contraint un jour par la maladie à cesser de travailler ou bien à disparaitre une idée bien farfelue mais assez ancrée dans l'esprit même des décideurs au point que cela n'a jamais attirer l'attention de quiconque sur ces damnés par le sort qui ont souffert et souffrent encore en silence car même enchevêtrés dans les dédales de la misère leur dignité ne leur permet pas de quémander la charité .Cet état d'esprit qui empêche ces martyrisés de réclamer le droit de vivre dignement a été mis à profit par les caisses qui faisant la sourde oreille n'ont pas donc jugé utile de revoir la réglementation au point que beaucoup de personnes du secteur libéral toutes activités confondues ont fait l'impasse sur le devoir de cotiser considérant cette obligation comme un impôt supplémentaire sans plus.

La disparition ou l'arrêt partiel ou total de l'activité d'un cabinet mettent du jour au lendemain le médecin et - ou sa famille dans le dénuement le plus total. La caisse de sécurité des travailleurs non salariés (CASNOS) n'assure pas un revenu décent à l'intéressé ou ses ayants droits quelque soit le montant des cotisations ! Quoique ce n'est pas le montant qui soit décisif dans ces cas contrairement à l'indemnité de retraite. D'ailleurs d'ores et déjà la caisse ne prend pas en compte ni les congés de maladie, ni de maternité, ni les arrêts de travail exceptionnels ; une couverture sociale à minima de second rang ; ce qui doit interpeller la corporation autant que les pouvoirs publics sur la valeur des prestations que cette caisse assure et qui ne répondent pas aux exigences de la dure réalité de nos jours.

En absence d'une réaction prompte de l'état aux doléances légitimes du médecin libéral celui-ci doit urgemment réfléchir à d'autres alternatives capables de pallier à cette grave déficience dans la couverture sociale.

A quelque chose malheur est bon .Cette épidémie a permis de mettre sur la table toutes ces questions restées du domaine du tabou ou sciemment évitées durant des décennies et voilà que l'état conscient de l'exceptionnelle situation a pris acte pour le personnel du secteur sanitaire public et qu'on espère vivement aussi réveiller les consciences sur la situation de l'ensemble des acteurs de la santé sans aucune distinction.

Des médecins n'ont pas attendu qu'une solution miracle vienne les délivrer d'autant qu'ils n'y croient pas ou peu à l'état providentiel particulièrement par ces temps de disette économique .Des propositions ont ainsi fusé la plus simple aurait été comme vient de l'annoncer le président du SNML (syndicat national des médecins libéraux) est de créer un fonds de solidarité qui viendra au secours des familles ou des professionnels dans le besoin.

Même si l'intention est bonne ce ne sera qu'une solution pour parer au plus urgent et qui malheureusement risque de ne pas faire long feu car nonobstant les contraintes réglementaires pour toute gestion de numéraires ce sont surtout la question de la gestion des fonds qui va rapidement se poser ainsi que les bases selon lesquelles seront évaluées les indemnités et surtout la garantie de la transparence dans la gestion des comptes et enfin l'assurance de la pérennité de cette caisse . Autant de questions qui ne pourront trouver réponse dans un fonctionnement basé sur le bénévolat !

Il serait beaucoup plus judicieux de reproduire le modèle déjà appliqué dans les pays à économie libre et tenir pour objectif la création de mutuelles de branche, la santé dans notre sujet et dont quelques exemples existent en Algérie actuellement pour certaines sociétés et EPIC de droit public exclusivement comme c'est le cas pour Sonatrach, Sonelgaz, Algérie poste, l'enseignement etc.

Ces mutuelles ne doivent pas rester uniquement du domaine public mais l'activité doit être autorisée au secteur privé et ouverte à la concurrence sur le mode de fonctionnement des assurances agrées. Elles devront être soumises à un cahier de charge et au contrôle des instances habilitées sur tout ce qui touche au volet gestion et capital, les médecins auront alors l'opportunité de s'affilier et de bénéficier ainsi le cas échéant des prestations non assurées par la CASNOS.

Le seul écueil dans l'état actuel des choses est l'absence de cadre juridique qui définit le fonctionnement et les prérogatives de ces mutuelles et qu'il va falloir donc en réclamer de toute urgence la mise en application.

Une autre réflexion est ainsi à débattre avec cette décision de la présidence qui a pu faire reconnaitre à l'assurance partenaire que le fait de tomber malade ou décéder par conséquence du covd19 ouvre droit à des prestations ou indemnités chose que les assurances dans l'état actuel des contrats proposés au chapitre aléas ou décès excluent de facto dès qu' il s'agit d'assurer les répercussions d'une épidémie.

Le minimum serait donc de solliciter un traitement similaire à celui accordé aux collègues du secteur public de la part des assurances . La cotisation revient dans ce cas au médecin privé soit à titre individuel soit dans le cadre d'un contrat collectif beaucoup plus avantageux en impliquant les syndicats ou les sociétés savantes. L'état n'aura donc rien à débourser contrairement aux sommes prédestinées à l'application de ces nouvelles directives sauf que la CASNOS pourra être mise à contribution en prenant en charge les frais d'au moins quelques aspects comme par exemple les congés de maladie ou de détente surtout que les conditions draconiennes exigées pour un remplacement en guise de compensation ne peuvent que très rarement être remplies particulièrement dans l'Algérie profonde ; le congé est perçu plutôt comme une pénalité dont beaucoup ne peuvent se permettre le luxe d'en profiter.

Résoudre cette problématique en prenant les décisions qu'il faut ne pourra que réparer une injustice et prouvera s'il le faut la marque de considération de l'état envers la médecine libérale qui n'a jamais cessé d'être un partenaire fiable et incontournable pour l'amélioration de l'état de santé des citoyens particulièrement dans ce contexte de pandémie mondiale qui exige la conjonction de tous les efforts.

*Dr