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Le Maghreb : pari et enjeu pour l'avenir

par El Hassar Bénali*

Les élites ont la responsabilité historique de l'unité du Maghreb. Elles sont en cela, aujourd'hui, interpellées du fait qu'il faut changer de vision devant les grands évènements que vivent les peuples de la région. La question unitaire ne cesse certes de susciter des interrogations et une autocritique sévère. A quel rôle est réduit le Maghreb, aujourd'hui, dans un monde en ébullition? Au moment où l'Afrique est confrontée à un moment d'épreuves difficiles. Les Maghrébins ont-ils leur destin en mains, pour aborder les questions qui se bousculent autour de l'avenir de la région, dans un monde qui fait face, aujourd'hui, à de nouveaux enjeux et défis d'équilibres politiques et économiques régionaux et mondiaux ?

Toutes ces questions attendent le Maghreb. Pour aborder les questions épineuses qui se posent dans la région, il faut dépasser les égos et promouvoir une coopération impulsée par un élan altruiste et d'intérêt bien compris une dynamique de paix au-delà des barrières, des clivages et de l'horizon temporel des politiques qui nous gouvernent, aujourd'hui.

A charge pour nos gouvernants de saisir le projet au service des peuples du Maghreb. Justement pour procéder à une prise de conscience, les élites du Maghreb doivent mettre les politiques face à leur conscience et leur responsabilité historique. Pour faire avancer le Maghreb en crise de démocratie, pari de l'avenir, il y a à mettre en place une stratégie commune claire pour un projet cohérent, en appelant à une grande mobilisation citoyenne, dans l'objectif d'une transition en vue d'une intégration régionale. Il y a, certes, beaucoup à faire, à réaliser dans cette voie, non seulement pour faire face aux nécessités du présent que de l'avenir en réparant aussi les erreurs du présent encore récent...

Les intellectuels ne doivent-ils pas intégrer en permanence leur réflexion sur les intérêts stratégiques et les enjeux d'avenir de cette région ? Echouant à l'unité, la situation n'est toujours pas dans l'attente de la société maghrébine. Seuls les intellectuels peuvent, aujourd'hui, accroître la pression. L'espérance politique du Maghreb a mobilisé, en cohésion solidaire, les peuples dans leur lutte pour les indépendances. Si les peuples continuent à croire à la réalité d'un Maghreb uni les grandes puissances refusent, elles, cachant leurs intérêts purement stratégiques. Pourquoi tant de reculades sur ce projet qui a fait tant rêver les « Jeunes Algériens », les « Jeunes-Tunisiens », les réformistes de l'Ecole de Abdelkrim al-Médjaoui à Fès, les leaders nationalistes Messali Hadj, Habib Bourguiba, Mohamed V... et les martyrs morts pour son indépendance, fervents Maghrébins. Ce projet n'a-t-il pas constitué un pari pour les hommes politiques de l'Etoile Nord Africaine (E.N.A), les hommes de la « Renaissance » formés à l'Ecole du Maghreb Abdelkrim Médjaoui, Mohamed Belkhodja, Abdelkrim al-Khattabi, Abdallah Laroui, Malek Bennabi... mais également du mouvement de l'élite Nord-Africaine des « Jeunes » impliqués durant les colonisations dans le projet qu'ils souhaitaient faire ressurgir, repensant le Maghreb dans la modernité.

Le colonialisme avait certes, cherché pendant longtemps à éloigner le Maghreb de sa propre culture. Un Maghreb cher à Abdelmoumen Ben Ali dont le grand historien maghrébin Abderrahmane Ibn Khaldoun est à la fois témoin et aussi meilleur guide. Un passé qui nous rappelle le rôle des médersas Zitouna de Tunis, Tachfiniya et al-Yacoubiya de Tlemcen, Qaraouiyine de Fès, en tant que lieux d'émanation de la pensée maghrébine.

Le Maghreb, imbriqué avec ses attentes et ses défis, a besoin de retrouver la place qu'il a occupée dans la culture et la civilisation dans l'espace afro-méditerranéen et de reconquérir culturellement sa maghrébinité avec son histoire et sa culture partagées en affinités très proches, son humanité commune pour une nouvelle dynamique de reconstruction. Une culture maghrébine originale ancrée et vivante des arts, de la langue, de la musique d'une généalogie d'un même arbre... des territoires en parenté linguistique, ethnique directe (berbère, africaine, méditerranéenne) unis par l'histoire, le tout favorable à un développement global harmonieux.

Les pouvoirs doivent cesser de faire allégeance à l'étranger pour régler leurs problèmes, perdant ainsi leur crédibilité, commettant tant de dérapages. Le Maghreb doit, après une longue période de colonisation qui a frappé le pays dans ses forces vives, accomplir sa part de révolution-libération avec la participation de ses élites engagées, jusque-là marginalisées, surmontant les blocages pour enfin ouvrir des perspectives nouvelles de développement de la région à la base toutes les grandes potentialités que recèle la région aux plans humain et naturel. La pression des évènements nous fait sentir ce besoin d'unité. Face aux défis modernes, sa construction s'impose aujourd'hui comme un mouvement irréversible en commençant d'abord par privilégier les relations de bon voisinage. De ce point de vue, le dialogue n'est pas hors de portée dans la mesure où chacun perçoit la nécessité de parvenir à des décisions effectives, dans cette direction.

Pour réamorcer le rêve de son unité, il faut, aujourd'hui, des gestes inspirant le rapprochement et cela, par des initiatives multilatérales, symboliques, marquant la bonne volonté et faire avancer un agenda, en commençant tout d'abord par désamorcer les crispations, finir avec les querelles et s'unir face à l'adversité. Trop de temps a été perdu depuis les indépendances. Au tournant d'un monde de demain, les hommes politiques sont-ils conscients de l'enjeu important de cette unité ? Le moment de vérité est venu pour se demander si le Maghreb, dans sa légitimité historique, respectueux des choix démocratiques en marche, doit ou non exister. Il est urgent de faire de cette dynamique un facteur de réussite de par la volonté d'hommes conscients de son enjeu stratégique.

Un passé millénaire

Le Maghreb est une réalité historique très lointaine. Il fut pendant des siècles non seulement une réalité mais aussi un vécu social, culturel et économique permanent. Connu sous le nom de Berbérie ou Maurétanie, le terme Maghreb ou Occident musulman opposé géographiquement à l'Orient et en affinité avec lui, coïncidera que bien plus tard avec l'extension de l'Islam dans la région. Il est ainsi désormais rattaché à une aire géographique couvrant l'Afrique du Nord où se confondent aujourd'hui les cinq Rtats: Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Mauritanie. Son passé millénaire est porteur de traces des plus grandes civilisations nées dans le pourtour du Bassin méditerranéen sous les Berbères, les Romains, les Carthaginois, les Arabes... et qui se sont fondues, mélangées sur son territoire avec ses vastes frontières, au gré de ses nombreux points d'accostage : Syrte, Carthage, Mahdiya, Bejaia, Archgoul, Honaine, Salé... L'histoire fait apparaître le Maghreb comme une aire où se sont mêlés, entrecroisés de nombreux courants humains, avec un mélange d'éléments ethniques différents et dont l'unité repose sur deux liens indéfectibles : la religion et la culture. C'est pendant le règne des dynasties berbères (almoravides, almohades) que l'arabe fut décrété langue officielle et, avec la maîtrise de son écriture et de sa langue que le Maghreb, avec y compris l'Andalousie, a ainsi connu une des plus belles civilisations. Les choix de l'avenir rendent, aujourd'hui, le projet politique unitaire, déterminant de l'avenir de l'ensemble de cette région qui a constitué, pendant plusieurs siècles, une aire unifiée où il n'existait point de frontières à franchir, débordant au Nord la Méditerranée et au Sud l'Afrique, au-delà, le désert du Sahara, constituant une vaste zone de relations et d'échanges Sous le règne des royaumes berbères, les Ifrinides sous le roi Abou Qorra qui a érigé Agadir-Tlemcen première capitale maghrébine, en 751 ; les Almoravides, les Almohades, les Mérinides, les Zianides, les vieilles cités seront du VIIe au XVIe siècle, les capitales emblématiques : Bédjaia, Tlemcen, Marrakech, Fès. Le Maghreb médian, patrie des Zénètes dont sont issues les plus grandes tribus dont des Bani Khazar vassaux des Omeyyades de Cordoue s'honorera de noms de grandes figures au panthéon de l'histoire du Maghreb: le kharédjite Abou Qorra (VIIIe s.), Abdelmoumen Ben Ali (XIIe s.), Aboul Hassan al Marini (XIVe s.)... contrastant son unité, de l'Océan atlantique aux Golfes des Syrtes... Cela pour démontrer la nécessité d'une réunification. Depuis, du Maghreb on ne relève plus que des signes et des souvenirs mythifiés d'une unité qui a duré plusieurs siècles, avant sa séparation en Etats régionaux. Le dessein du grand Maghreb doit cesser d'appartenir à l'imaginaire médiéval.

C'est pendant l'occupation coloniale que le projet du Maghreb unifié du XIe au XIIIe siècle, sous les Almoravides et les Almohades fut ravivé et cela, dans le contexte du combat commun celui du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie pour l'indépendance. C'est à partir de là, que le Maghreb aujourd'hui recalé, allait entrer depuis dans une autre phase historique, faisant face à des appétits coloniaux successifs.

C'est le début des occupations ottomane en Tunisie et en Algérie, puis française en Tunisie et au Maroc, avec l'avènement de protectorats et d'une colonisation en l'Algérie dont le pays fut profondément bouleversé, n'ayant pris fin qu'après une lutte âpre et dure. La présence coloniale qui a duré cent trente deux années fut, certes, entre les autres pays du Maghreb, la plus douloureuse.

C'est à l'époque de son unité que le Maghreb conquit sa place en tant que plaque tournante du Commerce méditerranéen avec ses ports, ses voies de liaisons transafricaines, ses grandes places de commerce : Constantine, Béjaia, Tlemcen, Tihert, Oran, Tombouctou, Honaine, Mahdia, Salé... Depuis les indépendances, les décideurs politiques agirent en donnant, mais en vain, l'impression d'être prêts pour sa reconstruction. Leurs tentatives se vouèrent alors, à chaque fois, à l'échec, en raison de susceptibilités, de chapelles en l'absence surtout, d'un réel projet politique d'intégration régionale. Par sa situation géostratégique importante, le Maghreb dispose d'un potentiel immense. Le projet est, de ce fait, resté longtemps en arrière-plan, partagé entre passé mal assimilé et présent indécis et mal défini. Les essais de synthèse historique d'intellectuels comme Abdallah Laroui, Wadi Bouzar, Abdelmadjid Meziane... avaient, dès les indépendances, pris l'allure d'essais d'études pour une véritable prise de conscience, approfondissant la notion de Maghrébinité en appelant, à une culture indispensable pour la conduite efficace des politiques de rapprochement unitaire dont le jeu des puissances étrangères ont contribué à dissiper son rêve cherchant, par tous les moyens, à le maintenir dans un état d'affaiblissement, dans le but de ruiner ses espérances. Une entente est devenue non seulement, aujourd'hui, une priorité, mais un dogme...

La Maghrébinité, cela représente la civilisation produite par le Maghreb, depuis des millénaires, en allant au plus profond de son Histoire et qui peut être, encore, une référence sûre de coexistence, de tolérance et de rapprochement. C'est en s'enrichissant des différents terroirs d'accueil berbères, arabo-berbères. Son identité dans le passé doit être forgée aujourd'hui, dans l'avenir. En dehors de l'exaltation et des belles cérémonies de congratulations, les acteurs politiques médiocrement éclairés, avec une saga autarcique, montraient à quel point ils n'étaient pas encore prêts à cette reprise historique. Un Maghreb dont les pouvoirs successifs ont faussé l'esprit jusqu'à le rendre incompréhensible, réduisant son énergie et paralysant son avenir. Cette situation a engendré l'érosion qu'a connue depuis l'idée du Maghreb. Que de décennies perdues non seulement pour l'Unité, mais également pour les réformes politiques, avec pour objectif le dépassement des clivages artificiels et la construction d'une démocratie réelle, voire par-là un véritable printemps maghrébin.

Agadir première capitale maghrébine

C'est l'histoire, la culture, la volonté de changement en agitation partout qui finiront par libérer le Maghreb et le rendre imaginable. Aujourd'hui son besoin d'unité est étouffé, laissant son projet sans voix et sans perspective à un moment où cette région traverse de profonds bouleversements. L'histoire du Maghreb éprouve la nécessité d'une interprétation sous forme d'un problème de civilisation. C'est là le point de vue critique de l'historien maghrébin Abderrahmane ibn Khaldoun et pour qui, l'approche de l'histoire apparaît sous la forme d'une dynamique de civilisation « Hadara », une civilisation, avant tout, africaine tout en se rêvant méditerranéenne. Les hommes politiques maghrébins sont-ils conscients de l'enjeu important, culturel, politique et économique de cette reconstruction ? La césure créée par la colonisation et bien avant, explique le vide provoqué dans son histoire.

Plusieurs conditions aujourd'hui, réclament la réalisation de l'acte d'Union du Maghreb, en tant que projet collectif de développement. Chez les peuples de la région, il y a ce refus de cette image fixe du Maghreb, alors qu'il était là, présent durant des siècles. Le XXIe siècle est appelé certes, à augurer de nouvelles lignes entrant cette perspective, en bravant les préjugés et les barrières. La tâche très difficile sera alors, de consolider les relations de meilleure entente et un plus grand respect enfin, une solidarité en vue d'unir les peuples sous des pavillons communs, passage obligé qui nécessite une plus forte implication du parti du Maghreb unifié avec la mobilisation en priorité les élites du Maghreb, créant des chaires consacrées à l'étude, avec aussi la mise en place de mécanismes politiques, juridiques et administratifs communautaires. Dans une vision globale, le concept de civilisation maghrébine commence depuis les peintures rupestres et les règnes successifs des « Imazighan » sur toute la région, voire les grandes figures de Massinissa, Syphax...en passant par Tarik ibn Ziad, Youssef Ibn Tachfin, Abdelmoumen Ben Ali, Yaghmoracen ibn Zian... et les grandes dynasties berbères originaires du Sud qui y ont établi leur pouvoir au Nord, voire les Sanhadja, Lemtouna... On ne peut parler de Maghreb sans en avoir la conscience de l'histoire, de l'économie, de la culture, de la langue, scellements de l'identité et, c'est pour cela, que le Maghreb en appelle, aujourd'hui, à l'élite et à son rapprochement. La société maghrébine a besoin, aujourd'hui, de reconstruire ses liens pour changer les choses et décider de ce qu'il y à faire pour l'avenir. En Algérie, pays médian, le Maghreb du centre, l'enjeu de l'Unité maghrébine est très ancien. Parmi les symboles historiques de cette Unité figurent des lieux et des hommes. La ville berbère d'Agadir ancêtre de Tlemcen la zianide est connue pour être, de 780 à 1033, la première capitale d'un Maghreb uni de l'Océan atlantique aux Golfes des Syrtes. Le règne du roi ifrinide Abou Quorra de la grande tribu berbère des Béni Ifren d'origine zénète1 dominant depuis l'antiquité une zone s'étendant de l'ouest de l'Egypte jusqu'au Maroc et qui, dans l'histoire de la région, a combattu les Francs, les Byzantins, les Vandales dans leurs tentatives d'occupation de l'Afrique du Nord. Elle est considérée comme la première dynastie d'origine berbère convertie à l'Islam. La capitale « Agadir » s'érigeait sur le territoire de l'antique cité « Pomaria » (Les vergers), siège d'un évêché romain, s'étendant jusqu'en bordure de l'Oued Saf Saf, aujourd'hui faubourg de Tlemcen, la nouvelle, et où Idriss 1er opposé aux Omeyyades et aux Abbassides fut invité à séjourner par Abou Quorra, personnalité berbère de proue, mal connu encore, fondateur du Kharidjisme soufride, en Afrique du Nord et du royaume soufride de Tlemcen. En 736 , au nom du Kharidjisme soufride, il établit son pouvoir, soutenu par une armée de plus de 40.000 hommes, composée de Sanhadjas et d'Ibadites conduite par le persan Abderrahmane Ibn Rostom, fondateur, plus tard, du royaume rostomide de Tihert. En signe de reconnaissance, il y dédia un « Mesdjid Djami » (mosquée cathédrale) dont les ruines ont été exhumées lors de fouilles archéologiques entreprises dès 1972, sous l'égide du ministère de la Culture2. Il est utile de signaler, par ailleurs l'Unité du Maghreb est fortement symbolisée par la mémoire millénaire de grands hommes de la région dont celle dans la région dont la figure historique de Abdelmoumen Ben Ali Ben Aloua (1094-1106) de la tribu des « Koumiya », dans la région des Traras (Tlemcen), premier calife de la dynastie almohade, (les Unitaires), unificatrice du Maghreb et de l'Andalousie, au XIIe siècle, fondée, en 1120 à Tinmal, dans le haut Atlas marocain, par le réformiste Mohamed Ibn Toumert. Rappelons pour mémoire que le mot ?'Ifrikia'' (Afrique) dérive du mot « Ifri » (caverne) en langue berbère et que les Romains l'ont utilisé pour désigner tout le continent. Les historiens du Moyen-âge arabe dont Abderrahame Ibn Khaldoun, al-Ibdhari rapportent de nombreux récits d'évènements très controversés d'après les renseignements fournis par les chroniqueurs et qui ont marqué l'histoire de l'antique capitale berbère Agadir dont celui consacré au chef berbère du VIIe siècle Koceïla connu pour avoir résister à la conquête musulmane du Maghreb (697-688) où il aurait rencontrer l'Emir omeyyade Abou-l- Mouhadjir Dinar dans son camp. Rappelons que sous le règne éphémère des Fatimides, dans la région, la cité d'Agadir fut incendiée et une partie de ses habitants fut transférée à Achir (Médéa), capitale berbère sous souveraineté fatimide, au Xe siècle. Il y a aussi, le récit rapporté par Abdelrrahmane Ibn Khaldoun, dans son « Kitab al-Ibar », celui du compte Julien gouverneur byzantin de Ceuta qui, offrant son soutien à Tarik ibn Ziad, dans sa conquête de la péninsule ibérique contre son adversaire Rodéric, roi de Tolde, laissa sa fille Florinda surnommé la Cava, en gage à Agadir. Dans les temps modernes les leaders nationalistes pro maghrébins Mohamed V, Abdelkrim Khettabi, Messali Hadj, Habib Bourguiba ayant pris une place dans la conscience nationale de leurs pays respectifs... étaient profondément maghrébins. L'histoire a forgé une bonne part de notre sentiment d'identité nationale. Le drapeau conçu par Messali Hadj ne devait-il pas, initialement, symboliser la résistance dans l'ensemble du Maghreb, avec l'étoile Nord-Africaine ?

L'élite maghrébine et son rapprochement

Aujourd'hui, le Maghreb n'a d'autres choix que d'être de nouveau au cœur de ce projet. L'expression d'une volonté doit normalement se traduire dans la réalité avec la création de chaînes sous adjacentes des Affaires du Maghreb impliquant l'école en tant que puissant facteur de la Maghrébinité, les universités dans la recherche, la réalisation d'autoroutes Est-Ouest et Nord-Sud en vue de l'intégration et de la croissance enfin, du Centre d'études et de documentation à l'initiative de l'élite moderne inspirée par un profond désir de connaissance des influx du passé qui doit éclairer son destin et faire épanouir la culture riche de noms prestigieux de la pensée : Saint Augustin, Apulée, Saint Cyprien, Ibn Hazm, Ibn Arabi, Ibn Khaldoun, l'Emir Abdelkader... d'une pulsion maghrébine à part.

La Maghrébinité est un approfondissement dans le passé et aussi, une perspective universelle. A cette démarche répond l'implication des politiques mais aussi les intellectuels dont la tâche est d'accompagner les pas de cette construction par l'organisation de colloques, de tables rondes... privilégiant des débats sur les enjeux d'avenir, les choix communautaires dégageant lignes de force en matière de coopération pour une dynamique permanente de dialogue fructueux, de travail, de production, d'innovation et cela, dans la complémentarité. La construction du Maghreb est un mouvement irréversible et c'est pour cela qu'il faut casser les préjugés qui demeurent avec des ?à priori' fondés sur la méconnaissance de l'Histoire de cette région qui, depuis longtemps déjà, ne produit plus d'Histoire à la manière de ses grands hommes dans le passé. Avec les changements démocratiques, plus de place aussi à la démission et le vide laissés par les élites qui portent la conscience de ce Maghreb, négligeant leur rôle essentiel dans le chemin à faire, face aux défis de l'avenir d'où le besoin aujourd'hui, d'animer un réseau Maghreb, à commencer d'abord par une opération de catharsis pour retrouver la confiance. Aussi, l'avenir du Maghreb dépend de la manière dont seront pensées, la paix et la liberté, dans le respect des droits fondamentaux des peuples et de tous les facteurs pouvant entraîner encore, sa fragilisation. Des problèmes de droits politiques pèsent négativement sur cette construction avec des rideaux de fer, terrestre et maritime dans cette région qui en même temps traverse une période d'adaptation à l'évolution politique moderne. Sans doute aussi que le Maghreb n'a jamais été historiquement d'une homogénéité parfaite sur toutes les questions, sans jamais mettre pour autant en péril son unité. L'histoire nous rappelle que c'est le contrôle de la route de l'Or avec les grandes voies sillonnant l'Afrique du Sud vers le Nord et vice versa, d'où la prospérité du Maghreb du temps des grandes dynasties subsahariennes, sous notamment les Almoravides enfin Almohades qui ont unifié le Maghreb de l'Océan atlantique aux Golfes des Syrtes, jusqu'en Andalousie. Cette prospérité était due essentiellement au commerce transafricain où, bravant le désert des marchands se sont impliqués créant des circuits serrés d'échanges et aussi, des brassages de populations d'où l'origine sahélienne de plus de la moitié des habitants du Maghreb. Les habitants des vieilles capitales de la région étaient un condensé représentant le monde berbéro-arabe et africain. Dans ce commerce se sont illustrés plusieurs lignées de familles maghrébines de marchands et d'entrepositaires, à l'instar de la grande famille des « Maqqari » à la tête d'une des plus puissantes compagnies transafricaines de commerce, installant des prévôts, sécurisant les routes, creusant les points d'eau, établissant des comptoirs... Les pouvoirs politiques y tiraient de grands profits de ses échanges qui, à l'époque médiévale, s'étendaient à l'Europe, l'Orient et l'Afrique, à travers le grand Soudan. Si le Maghreb fut fécond, c'est en raison de l'énergie de ses habitants mêlés, de toutes ses régions.

La Maghrébinité un approfondissement, une perspective universelle

Le Maghreb aujourd'hui, dans sa perspective, ne doit pas se passer de renouer avec la même stratégie de l'espace, de l'Economie et de la Culture de son brillant héritage. Les espaces, hier difficiles, malgré leurs étendues et leur dureté, offraient l'image analogue d'un océan de sable où étaient en constante navigation les grandes tribus sahariennes : Messoufa, Sanhadja, Lemtouna... ces dernières qui eurent à jouer en profondeur, au-delà du Sahara jusqu'à sa grande façade maritime, au nord, un rôle dans l'histoire politique et économique du Maghreb dont les peuples, aujourd'hui, ont grandement besoin d'une coopération stratégique. La décadence économique du Maghreb a commencé dès lors qu'il a perdu, dès le XVe siècle, le contrôle des voies de commerce transsaharien avec l'Afrique et la Méditerranée avec les routes transafricaines de rapprochement et d'accès aux immenses ressources sahariennes et subsahariennes, un enjeu géostratégique majeur, aujourd'hui, pour l'Occident. Les « Zenata » originaires du Maghreb central, actuelle Algérie, ont constitué, pendant plusieurs siècles, le socle inébranlable des grandes dynasties maghrébines. Avec l'émiettement de l'empire almohade au XIIIe siècle, le Maghreb, en quête aujourd'hui à se construire, est entré en décadence. L'effondrement de l'Empire donna en conséquence lieu à la création des quatre Etats : les Nasrides à Grenade, les Mérinides à Fès, les Hafsides à Tunis enfin, les Zianides à Tlemcen, ces dynasties qui font, toutes, partie de la même couche géologique « imazighan », les berbères-zénata. La mémoire du Maghreb va au-delà des mémoires nationales et dont la réinitialisation des héritages est nécessaire, aujourd'hui. L'âme maghrébine trouve, sans doute, appui sur la culture dont le Maghreb, avec y compris l'Andalousie, a séduit depuis les temps produisant, des figures arrimées aujourd'hui à la Culture universelle : Saint Augustin, Apulée, Ibn Khaldoun, Ibn Rochd (Averroès), Ibn Tofail, Ibn Arabi, Abdelkader Ibn Mahieddine... Une chaîne solide d'écoles, de médersas enrichies de nombreux dons et revenus constituèrent au Moyen-âge arabe ses principaux relais de transmission de la science et de la culture, du nord au sud à Tlemcen, Bedjia, Tunis, Agadès, Kano... Ces relais forts de la pensée et de l'esprit sous la vêture de l'Islam étaient conduits par de grands maîtres d'écoles : Al-Abili, les frères Issa et Moussa al-Imam, Al-Hafidh ibn Marzouk... Lissan eddine Ibn Khatib (m. en 1374 à Fès), double ministre (Dhû-l-wizaratayn) des rois Nasrides de l'Alhambra, très critique en tant à la fois homme politique et de science, parlant d'Islam et de sa civilisation, accordait certes, un sens élargi à la notion de refondation du Maghreb dans son « Ihâta fi akhbar Gharnata », évoquant aussi la fécondité et la contribution intellectuelle des savants de l'Andalousie et du Maghreb. Les grandes figures de l'âge d'Or de la civilisation sont des Maghrébins natifs tantôt de Bedjaia, de Tlemcen, de Fès... qui à travers l'histoire ont attesté d'une dynamique de relations avec l'Afrique « soudano-saharienne » tissant des liens avec des familles berbéro-arabes de puissance économique et de lignée d'érudits maîtrisant les « sciences » religieuse et profane de l'époque, voire entre autres les familles al-Maqqari, al-Maghili... Avec la mise en chantier de sa grande mosquée, en 1325, Tombouctou était devenue l'égale d'une ville au Maghreb. Elle s'est vue hissée au rang de métropole islamique africaine. L'axe Tlemcen-Touat-Tombouctou était la tête de pont de l'islamisation de l'Afrique. Graduellement l'Islam a fini déjà, à partir du IX e siècle, par devenir la religion des élites urbaines tournées vers l'espace arabo-musulman en Afrique. Les échanges incessants entre le Maghreb et l'Andalouse, à l'époque, ont forgé l'esprit maghrébin d'entente et d'ouverture, dans cette aire historique où toute la Méditerranée et l'Afrique sont représentées dans sa population. L'ère coloniale a accentué la dégénérescence du Maghreb au moment des revendications nationalistes. Le terme Maghreb a « une signification historique et dynamique », écrit l'historien Abdallah Laroui. Il y a aussi, ces grands noms de savants fondateurs de cette Maghrébinité millénaire qui ont légué à l'Humanité un sublime héritage de traditions en liaison avec la médecine, l'astronomie, la musique, l'architecture... L'héritage des savants maghrébins : Abou Madyan né à Cantillana (1127-1197), Ibn Rochd (Averroès) (1126-1198), Mahieddine Ibn Arabi (1165-1240), Es-Shusturi (né en 1212), Daoudi ben N'çar (m en 1011), Cheikh Ben Youssef es-Sanoussi (1424-1485), Abi Abdillah Charif (1310-1389), Et-Tanessi (né vers 1240), Abdelkrim Al-Maghili(1417-1503), ce dernier qui fui un climat délétère à Tlemcen s'installant dans le Touat et tant d'autres savants de la pensée mystique laissant de nombreux traités de théologie ayant laissé une forte empreinte de leur pensée sur l'Islam dans le Maghreb avec y compris l'Andalousie, fut un grand moment universel.

Un choix politique et économique déterminant pour l'avenir.

Le Maghreb fut, quant à lui, au Moyen âge arabe, le berceau d'une grande activité de l'esprit sur des sujets philosophiques et scientifiques aussi bien en mathématiques qu'en astronomie avec un grand sens pratique. De la période de sa brillance il est cité les noms de grands savants dont l'œuvre a laissé une forte empreinte dans l'orientation de la pensée, nous citerons entre autres Ahmed al-Abderry, plus connu sous le nom d'Al-Abili né en 1282 à Tlemcen, mort à Fès. Son enseignement marquera certes profondément le génie de cette période avec des disciples au Caire, à Béja en Tunisie, à Fès, Marrakech, Tlemcen parmi lesquels le célèbre Aderrahmane Ibn Khaldoun (1332-1406) et son frère Yahia (1331-1379), Ech-Charif al-Hassani, Ibn Marzouk al-Djad (1310-1379), Said al-Okbani, Ibn Arafa (1316-1401)... grandes figures de l'Humanisme maghrébin impliquées, pour la plupart, à fond dans une observation très subtile des phénomènes de l'histoire et de la religion avec des traités et des commentaires où la logique, la déduction sont à l'honneur. Leur mobilité de l'esprit s'est imposée pour faire école en termes de progrès dans les études voire, plus tard, l'œuvre remarquable de Cheikh Benyoussef Sanoussi (1424-1485), connu pour sa vaste œuvre consacrée à la « Akida », ou article de la foi. Les textes « Sanoussiens » répondent à des critères aristotéliciens de démonstration prenant souvent l'allure d'une mosaïque traitant de sujets d'un accès, que seuls dignes sont en mesure de les acquérir. Ces grands hommes constituent des repères symboliques à tout l'effort de relecture qui doit être entrepris pour la connaissance en vue d'une construction fructueuse du Maghreb de l'esprit, de la science, des arts... Ceci explique le succès au Moyen âge arabe des savants-faqih, cadis, mouderrès maghrébins en Orient au Caire, al-Qods (Jérusalem), Damas, Médine, Bédjaia, Tlemcen, Fès, Tunis. Du fait des migrations l'histoire a façonné cette complémentarité entre le Maghreb et l'Andalousie d'où cette complicité entre les savants, les poètes, les artistes. L'histoire du Maghreb est une page qui nous laisse pleins d'admiration pour également des poètes et des musiciens élégants qui ont produit des goûts, créant un art distinct qui nous parle encore car façonné par l'esprit maghrébin. De l'identité maghrébine, il est tentant de la chercher non seulement du côté de l'histoire ou de la religion mais également du côté de la sensibilité, c'est-à-dire de l'art. D'autres expériences sociétales dans la littérature maghrébine de proximité géographique vont emprunter à la musique ancienne dite « andalouse », à savoir : le « Malhoun », le « Hawzi » originellement connu sous le nom de « beldi », le « mahdjouz »... Elles sont d'une palette émotionnelle inégalée, inspirées des œuvres des grands poètes-compositeurs. Ils sont l'émanation d'un art profond d'une sensibilité maghrébine avec comme vecteur le dialectal, idiome officieux. Les œuvres des poètes Said al Mandassi, Mohamed Nedjar, Lakhdar Benkhlouf, Mohamed Ben M'saïb, Ahmed Bentriqui, Djilali M'tired, Kaddour al Alami, Boumédiène Bensahla... sont des témoignages riches de ce Maghreb de la chanson et des traditions artistiques d'essences populaires. La musique andalouse héritage de Cordoue et de Grenade agglomérée dans les vieilles maghrébines cités, fait partie aussi de la légende dorée de ce Maghreb. Au plan religieux, il est nécessaire, aujourd'hui, de renouer avec la recherche théologique de la sensibilité culturelle et spirituelle, spécifiquement maghrébine représentée par les illustres savants des « Ahl Sounna oua-l-djamaa » adversaires en Algérie des Oulémas orthodoxes jugés hérétiques, « d'obédience wahhahite et pro américaniste ». Il existait un véritable orgueil maghrébin d'où le terme « Maugrabin » utilisé par le courant orientaliste né au XVIIIe siècle en Europe avec les philosophes de Lumières pour désigner les Maures raffinés, soucieux du travail bien fait. Au Maghreb la liberté de pensée et d'expression connut un épanouissement exceptionnel au point de pousser les juifs persécutés et même les chrétiens dissidents à y venir chercher refuge à l'exemple, aujourd'hui, des démocraties les plus modernes. Avec son territoire pris entre la mer Méditerranée et le Sahara, il est ce coin du monde où la coexistence des religions dite « tolérance » et là, bien avant l'Europe où elle ne se développe qu'au XIXe s. seulement. Toutes les influences se sont exercées dans le sens d'un tempérament et un caractère spécifiques favorisant une cohabitation dans la différence. De ce passé religieux, les villes prestigieuses du Maghreb gardent des vestiges fabuleux de mosquées, de palais, de médinas avec leurs fondouks, leurs mosquées, leurs bains, leurs fours, harat, riat, et ksour... d'une incroyable poésie. Un monde avec ses lieux de mémoire qui a tant à nous dire ayant souvent payé le prix de vastes démolitions au prétexte d'un urbanisme cherchant à plier la vieille cité au protocole des villes modernes. Pendant l'occupation coloniale les médinas en Algérie, surtout, ont vu leurs vieux édifices rasés sous les coups de pics et dont on tente aujourd'hui d'en exhumer les traces. Le pays en était, ainsi, flétri dans sa chair, comme dans son âme. Dans son combat, le héros national Abdelkader a compté dans sa lutte, sur la solidarité maghrébine des Rifains. Abdelkrim disait aux Algériens à ses côtés dans sa guerre du Rif « qu'il serait toujours présents à leurs côtés s'ils en avaient besoin à l'avenir ». Des hommes d'armes, des chefs ou caïds étaient nombreux à figurer parmi son premier cercle, voir Mohamed Benouna, issu d'une famille d'intellectuels et de commerçants de Fès qui, nommé caïd, fut chargé de pourvoir en armes les camps de l'Emir, à partir du port déchu aujourd'hui, d'Arghgoul, une ancienne escale phénicienne érigée au VIIIe s, comme capitale celle des « Soulaïmanides», du nom de Soulaïman frère de Idriss 1er, fondateur de la ville de Fès. Il bénéficia de l'aide des Rifains et des habitants de la région frontalière des Béni-Znassan. Du temps de l'Emir Abdelkader l'Algérie comptait dans les villes, une communauté de Maghrébins atteignant un cinquième de sa population. Les plus importants phénomènes migratoires enregistrés dans le Maghreb se situent entre les XVI et XVIIe siècles, enfin, au XIXe s avec une forte migration frontalière au début de la colonisation. L'histoire de cette migration non encore suffisamment dépouillée fait remarquer qu'au début de la colonisation de nombreuses familles algériennes se sont réfugiées en Egypte, en Syrie et au Maroc. Après ma bataille d'Isly l'Emir Abdelkader s'est réfugié au Rif. La famille d'Abdelkader était représentée au Maroc par la branche collatérale des Ouleds Sidi Bou Taleb et de son entourage avec Sidi Ben Abdallah el Mecherfi Saqqat qui donna le signal de l'éxil, la « Hidjra », abandonnant la cité qui était au centre de leur vie. Tlemcen de son côté avait fourni une importante émigration de « Mouhadjirin » et bien avant aussi la conquête française, sous les Ottomans voire entre autres les familles savantes des Hadjoui, Kanoun, Maqqari (Mokri)... qui quittèrent leur pays lors du soulèvement du Derkaoui Abdelkader Ben Cherif, sous le règne du roi alouite Moulay Sliman. Le principal personnage de cette famille illustre fut Hadj Mohamed al-Moqri (1851-1957) connu comme délégué du Sultan à Algésiras, puis à Tanger enfin, grand vizir sous Moulay Abdelaziz, Moulay Hafid, Moulay Yousouf, Mohamed V et qui a gardé des liens étroits avec la nouvelle élite modernisante du début du XXe siècle, voire le juriste Bénali Fekar, les professeurs Ghouti Bouali, Abdeslam Aboubekr... Le chef Abdelkrim al-Khattabi (1882-1963) comptait dans sa guerre rifaine de nombreux compagnons d'armes d'origine algérienne parmi lesquels, nous citerons : Haddou Benhaddou des M'çirda, un médersien polyglotte devenu son ministre des Affaires étrangères ou encore le grand voyageur Moulay Hassan al-Baghdadi affichant un admirable patriotisme en faveur du Maghreb, futur muphti de la grande Mosquée d'Alger, son secrétaire particulier arrêté à l'issue de la conférence d'Oujda... et qui, dans les années ?30' sera fondateur de la première imprimerie arabe au nom d'Ibn Khaldoun. Abdelouahab Benmansour, futur historiographe attaché à la Cour royale marocaine sous les rois Moulay Youssof et Mohamed V lanceront, en 1935, à Tlemcen leur revue littéraire, historique et religieuse du nom d'al-Abkaria qui durera quelques années avant de disparaître et cela, sous la pression de l'administration coloniale. Toujours dans les temps modernes les élites urbaines sous la houlette des « Jeunes-Algériens » et des « Jeunes-Tunisiens » de la nouvelle génération, pendant l'occupation y jouèrent un rôle important, prélude à un vaste mouvement politique et intellectuel de résistance à forte rhétorique politique et culturelle civilisationnelle. Leur élan à caractère moderniste devait, certes, accompagner des changements substantiels dans les mentalités et les comportements sociaux, en Algérie et en Tunisie, avec une influence, sur l'ensemble du Maghreb. En Algérie, ce mouvement modéré de la jeunesse exerça une forte prégnance de leurs idées sur les forces montantes du mouvement national, la troisième décade du XXe siècle. « Le manifeste était en germe dans le ?Jeune-Algérien' », écrivait le professeur Abdelkader Mahdad (1896-1944), membre du Comité fondateur des A.M.L et de l'Association des Oulémas algériens, cité par Ferhat Abbas dans son livre. Messali Hadj très jeune, habité par une sorte de mystique patriotique fut, lui-même, fortement marqué par l'ébullition de la société algérienne sous la férule de la jeune élite maghrébine formée à la double école arabe et française.

Prise de conscience maghrébine de l'élite, au début du XXe siècl

La « Hidjra » rendant licite l'exode à l'annonce en 1908 de la conscription qui provoqua une résitance de masse des Algériens allait enflammer les débats étendant l'entropie sur la colonisation. Le projet de pénétration française au Maroc constituait le motif principal de cet exode impliquant les « foqaha(s)» conservateurs maintenant un sentiment de résistance encore vif et les jeunes de l'élite porteurs d'un projet moderniste de liberté, de démocratie impliqués tous les deux dans deux approches différentes, religieuse pour les premiers, politique pour les seconds, profitant de l'évènement pour avancer le débat sur les droits, les libertés politiques... Les pères de familles face à une vie de plus en plus désespérée refusaient certes que leurs enfants figurent parmi les contingents militaires d'une conquête. Ce moment s'inscrit dans la mémoire du pays en général et des villes telles Tlemcen, Mascara, Constantine... ou la ?'Hidjra'' fut la plus massive. A ce propos Bénali Fekar (1870-1942), premier docteur es sciences politiques, économiques et juridiques, journaliste, leader du mouvement les ?'Jeunes- Algériens'', premier politologue maghrébin, écrit déjà, en 1905, dans « al-Misbah », hebdomadaire créé par son frère aîné Larbi, instituteur, à Oran : « ...qu'il était sage pour la France de repousser toute idée d'une intervention avouée contre ce pays ».

La « Hidjra » fut une cinglante aventure religieuse et politique. Vieux, femmes et enfants allaient prendre la route de la Syrie, de la Turquie, de l'Egypte et de la Palestine vendant leurs terres, donnant leurs biens, cédant leurs échoppes avant de quitter les villes provoquant une décrue démographique. Nombreux mourront dans les cales de navires sur les chemins de l'exil. C'est les émigrés de retour de la « Hidjra » et son aventure, qui animèrent encore les débats sur la colonisation. La solidarité maghrébine est aussi là, à cet instant, marqué par ces départs vécus comme un grand évènement politique, sans doute le plus important du début du XXe siècle, au Maghreb. Le mouvement de la jeune élite avant gardiste et engagée d'une belle expérience en Algérie et en Tunisie en gagnant, au fur et à mesure, la parole allait créer une nouvelle attitude de l'esprit par rapport aux vieux monde très pessimiste faisant de la résistance passive fut un courant légitimiste et rénovateur avec un esprit ouvert prônant la liberté de penser, de communiquer par l'intermédiaire de journaux, de s'organiser en créant des cercles ou ?'Nadis''... amorçant ainsi le processus de décolonisation. Dans le Maghreb tripartite à l'époque, les jeunes nourris d'une même dynamique marquant l'émergence de la nouvelle élite. Ils ressentaient pour obligation morale d'offrir aux Maghrébins l'instruction, remplaçant cette fois la résistance des armes et cela, pour accéder à la liberté et à la modernité. L'idée du Maghreb en tant phénomène concret renaît dès le XXe siècle. Messali Hadj qui, affirmant sa foi en le Maghreb, écrit, en 1930, dans El Ouma : « L'Afrique du Nord n'est rattachée à la France par aucun sentiment, si ce n'est par la haine que cent ans de colonisation ont créée dans nos cœurs. Au nom de la République française, 60 millions d'êtres humains subissent la plus ignoble servitude. Notre patrie est le Maghreb et nous lui sommes dévoués jusqu'à la mort. Si vouloir vivre en hommes libres c'est être anti-français alors nous le sommes et nous le serons toujours. Le colonialisme français cessera peut-être d'exister chez nous, sans laisser d'autres traces que le souvenir d'un cauchemar ». Avec l'éveil des nationalismes pour les indépendances, il n'avait cessé de mobiliser les élites, pour des réformes. En prenant conscience de ses propres forces l'élite nationaliste aspirait déjà, à la constitution d'un grand parti politique pour promouvoir le Maghreb saisissant les enjeux vitaux pour son avenir ;

Un parti politique du grand Maghreb

A l'orée de ce siècle l'idée du Maghreb y est exprimée de la même manière et au même moment au Maroc, en Tunisie et partout d'où le rôle de personnalités maghrébines telles M'hammed Belkhodja (1863-1943) membre fondateur de la ?'Khaldouniya'' de Tunisie, Abdelkrim Médjaoui professeur à la Qaraouiyine de Fès père de Abdelkader Midjaoui (1848-1913) fondateur du journal ?'al-Maghrib'' à Alger, ce dernier qui comptait parmi ses disciples Hamdan Ounissi qui, à son tour, fut professeur de Abdelhamid Ibn Badis (m.1940), le savant salafiste sorti d'al-Azhar Mohamed Bouaroug al-Azhari qui élaborait un discours religieux très dur à l'égard de la colonisation, Cadi Choaib d'Algérie, Choaib al Kettani du Maroc... Les mouvements maghrébins pour les indépendances intervenus, dès 1926, avec la création de l'Etoile Nord Africaine ont été soutenus sans frontières par les marocains, les tunisiens, les Lybiens... Ce moment politique s'était illustré peu avant de beaux exemples dont celui des deux jeunes maghrébins unis dans une cause anticoloniale les algériens Ahmed Méziane et Mohamed Biraz enfin, le tunisien Mohamed Bach Hamba (1881-1920) signataires ,en 1916, d'une pétition adressée au Président américain Wilson et aux membres du congrès de Versailles, réunis pour mettre fin à la première guerre mondiale leur demandant l'autodétermination des peuples algériens et tunisiens. Mohamed Bach Hamba icône du mouvement des Jeunes - Tunisiens créait, en 1916, la Revue du Maghreb dans le but de lutter à l'échelle contre la politique coloniale de la France en Afrique du Nord. Ali Bach Hamba co-fondateur, en 1907, du mouvement Jeunes-Tunisiens frère de Mohamed Bach Hamba était fondateur, au moment de la première guerre mondiale, du comité de libération de l'Algérie et de la Tunisie. Il défendait aussi l'idée de la création de la ?'République Nord-Africaine''.

C'est à Paris, en 1908, qu'il rencontrait pour la première fois le politologue algérien Bénali Fekar et ce, à l'occasion de la tenue du congrès de l'Afrique du nord. En 1918, il publie un mémoire dans lequel il revendique l'indépendance du ?'peuple algéro-tunisien?'. Depuis Génève où il a longtemps séjourné, Mohamed Bach Hamba, le leader du mouvement des ?'Jeunes-Tunisiens'' assurait la coordination entre les patriotes Algériens et Tunisiens se trouvant en Europe comme il fut aussi, un des collaborateurs du nationaliste. Chakib Arslan (1869-1940) célèbre théoricien du nationalisme arabe originaire du Liban, surnommé ?' Amir Al-bayân'' (Prince de l'éloquence), mentor de Messali Hadj qu'il rencontra à Genève à l'initiative du professeur féru de langues anciennes et homme politique Abdelkader Mahdad. Chakib Arslan qui prônait fait et cause pour l'étoile nord africaine et Abdelkader Mahdad étaient liés par de profonds liens d'amitié, tous les deux passionnés de culture andalouse, se donnaient rendez-vous, chaque année, à Grenade. Les militants indépendantistes algériens Banoun Akli, Imache Amar, Djabri Bey, Mohamed Beddek prirent part au congrès islamo-européen de Genève, en 1935, où Messali Hadj dénonçait la domination française persuadé que le Maghreb allait revenir un jour. Ce moment de fébrilité du jeune patriotisme maghrébin en marche fut marqué par la grande circulation de journaux et de périodiques arabes et aussi, par l'empressement des intellectuels à participer aux congrès Nords-africains dont celui de Paris en 1908 où étaient coude à coude les Jeunes-Tunisiens et Jeunes Algériens : Ben Mustapha Khaïrallah (1867-1932), Bénali Fekar (1870-1942) et Abdeldjelil Zaouèche (1873-1947). Ces deux derniers ayant poursuivi leurs études supérieures en droit en France, à Lyon et à Paris, étaient de bons élèves des philosophes des Lumières pour être des plaidoyers en faveur de l'exigence du droit dans leurs pays respectifs. Ahmed Méziane, fils du caïd Si Lakhdar, réfugié en Turquie avec sa famille refusant la conscription occupait avant son éxil, le poste de répétiteur à la médersa de Tlemcen dont l'apport fut malgré tout, d'une grande ouverture d'esprit. Il eut pour destin, une fois arrivé en Turquie, de créer à Istanbul, le comité d'accueil des émigrés maghrébins et de présider, en 1916, désigné par gouvernement turc, la délégation de maghrébins, au congrès de Berlin, devant débattre des questions d'impérialisme et de libération des peuples sous domination coloniale. Parmi les grandes figures politiques du maghrébinisme au tournant du XXe siècle nous citerons le marocain Hadj Abdeslam Benouna..., les tunisiens Salah Chérif, Mohamed et Ali Bach Hamba, Cheikh Abdelaziz Thaalibi, Chadly Kheïrallah, Hadi Nouira, Habib Bourguiba... les algériens Bénali Fekar, Messali Haj, Mohamed Banoune, Amar Imache, Mohamed Beddek... enfin, les chefs religieux à la tête des zaouias tels Cheikh al Habri (Maroc), Cheikh al-Bouzidi (Algérie)... Ils étaient fortement attaché au grand rêve du Magreb.

Un fort sentiment de destin commun

Le thème du Maghreb sera mobilisateur de l'ensemble de l'élite qui a organisé en 1935 à « Nadi saada » au cœur de la vieille ville historique, à Tlemcen le cinquième congrès des étudiants maghrébins portant sur le thème de l'éducation et des choix d'orientation pour un programme et un système unifiés à la hauteur de l'engagement citoyen pour le Maghreb . Ce congrès a réuni des personnalités incarnant dans cette phase de reprise la société civile de l'activisme civile et politique enfin l'engagement politique estudiantin traduisant la conviction maghrébine existante encore : Allal el Fassi, Brahim Kettani (Maroc), Bahi Ladgham, Ali Balahouane3, Chadli Klibi, Othmane al-Kaak (Tunisie), Omar Boukli Hacène, Moufdi Zakaria, Malek Bennabi, Cherif Salhi, Abdelkader Messaoudi, Boudali Safir, Abdelhamid Benachenhou, Abdeslam Boudjakdji, Abdelhamid Klouche (Algérie). Ces acteurs actifs des mouvements de libération dans leurs pays respectifs et plaidoyers en faveur du Maghreb ont défendu à cette occasion un projet commun d'éducation et d'instruction, clefs de voute pour l'avenir du Maghreb. Ayant conscience de leurs propres forces ils adoptèrent un programme à travers lequel ils se déclarèrent partisans d'un mouvement total de rénovation stimulé par les besoins de résurgence maghrébine. Ces militants considéraient le succès pan maghrébin de l'enseignement était une garantie pour l'avenir de la région. Ils avaient certes, un fort sentiment de destin commun et se fixaient un double objectif l'indépendance puis, au tournant des indépendances, la construction du grand Maghreb dont l'Algérie, pour ses efforts, paie le prix fort pour la sécurité et la stabilisation géopolitique de la région. La stabilité du sahel contrôlant toutes les routes au cœur de tous les trafics mais qui est difficile à rétablir durablement sans la conscience et l'implication de tous les pays du Maghreb, en est ainsi un de ses principaux défis, certains diront, face à la globalisation. Il faut sans doute aussi des hommes à la hauteur de cette ambition.

Le Maghreb est au cœur des Algériens au XXe s avec Messali Hadj et le combat de libération qu'il a voulu à l'échelle de la région et cela, avec la création de l'étoile nord africaine (ENA), celle-ci même qui a cristallisé ensuite les ambitions nationalistes dans toute la région. C'est dire qu'il y a un contexte ayant certes, fortement imprégné la formation politique de ce nationaliste indépendantiste, dont le sacrifice a marqué à grands traits l'histoire contemporaine de son pays, l'Algérie, mais aussi du Maghreb. Cette page est écrite de grands noms dont la mémoire n'oubliera jamais: l'ophtalmologiste algérien Tidjani Damerdji, installé à Rabat, membre du comité d'action pour la libération du Maroc mort sur le champ de bataille lors de la lutte algérienne de libération; le marocain docteur Djelloul Khatib... et toutes les personnalités impliquées à l'idée d'un Maghreb libre et indépendant. Le Maghreb ce vieil ensemble régional, afro-méditerranéen porteur de valeurs a pour rôle de s'adapter aux enjeux modernes et cela, pour faire face aux défis politiques et économiques de son avenir. Sa construction est un mouvement irréversible. Les nécessités économiques aussi, lui imposent une prise de parti, celui de l'unité. Les impératifs scientifiques, culturels... exigent aussi et, dans la complémentarité, un Maghreb uni pour une nouvelle dynamique des peuples de la région. La pression des évènements parmi d'autres effets, nous fait sentir et de plus en plus énergiquement, cette résurgence maghrébine, ce besoin d'unité dans cette région qui aspire profondément à vivre des changements dans la démocratie. Il est temps de mettre en chantier des projets de coordination maghrébine. Des rencontres doivent être initiées celles-ci qui auront pour but de détendre les relations intermaghrébines. Il est temps de mettre en chantier l'idée du Mghreb traversant aujourd'hui une période de transition. Il y a tout le profit économique qui pourrait être tiré d'un tel ensemble unifié mettant à profit ses potentialités et son ouverture. Pour cela, il faut enclencher le processus et établir une stratégie collective en mettant en place les structures et les instruments de rapprochement pour discuter des bases sur lesquelles le Maghreb est prêt à faire son union dans la réalité, ne pouvant continuer à exister en tant que simple illusion.

Le Maghreb ne peut plus se permettre d'agir avec intransigeance pour reconstruire l'entente au prix de la paix sur des bases saines mettant à profit le contexte de changement et de progrès démocratiques et, de ce fait, il a besoin de sa société civile motivée et convaincue enfin, des élites seules en posture de pouvoir orienter cette grande construction, au gré de l'évolution et de la conjoncture mondiale. L'union Euro-méditerranéenne a besoin de ce Maghreb uni et économiquement prospère, comme trait d'union avec l'Afrique. A un Maghreb amorphe enfermé aujourd'hui dans une cage de fer, réduit à un aimable bavardage, le parti du Maghreb doit opposer la nécessité d'une action avec des tâches et des objectifs. Le Maghreb c'est outre un passé partagé mais surtout, un pari et enjeux communs pour l'avenir. Les crispations nationales avec leurs barrières, c'est l'anti-Maghreb. Le Maghreb prôné depuis Abdelmoumen Ben Ali ibn Aloua jusqu'à Abdelkrim al-Khatabi, Messali Hadj, Bourguiba ne peut exister que dans la perspective d'un projet d'une vocation maghrébine. Il doit offrir en partage son histoire et ses valeurs. Aujourd'hui c'est comment construire ce Maghreb dont on se sent héritier. Il est impossible au Maghreb, de renaître sans un parti impliquant l'élite, avec aussi des réformes dans le sens de la représentation du peuple. Il faut aujourd'hui, en s'adaptant à l'évolution moderne, créer un nouvel esprit réunissant les conditions à la base du projet panmaghrébin écarté aujourd'hui de sa propre histoire. Les hommes politiques maghrébins seront-ils encore, dans un proche avenir, conscients de l'enjeu important de cette construction ? L'engagement en faveur d'un Maghreb uni a besoin aujourd'hui un printemps maghrébin de voix fortes pour nourrir les débats pour entamer son processus évolutif sur comment vivre et partager ensemble notre maghrébinité moderne. Il ne sera crédible que si les pays démontrent leurs capacités à se réformer eux-mêmes avec un mandat populaire fort.

*Journaliste écrivain