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L'urgence d'un Maghreb des peuples, une nécessité géopolitique et géoéconomique vitale !

par A. Boumezrag

«Et de l'union des libertés dans la fraternité des peuples naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense où commencera pour le genre humain la vie universelle que l'on appellera Europe» Victor Hugo (1802-1885)

L'impact de la pandémie sur l'Economie mondiale reste difficile à cerner et à évaluer tant ses répercussions seront nombreuses et variées. L'Organisation Mondiale du Tourisme prévoit une chute de 60 à 80% des activités touristiques sur le moyen et court termes. Le coronavirus Covid-19 impactera, également, les chaînes de production agricoles et menacera la sécurité alimentaire des ménages. Après la pandémie, les risques d'instabilité politique et de précarité économiques sont plus que probables. Les signes annonciateurs sont nombreux. «Et de l'union des libertés dans la fraternité des peuples naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense avenir où commencera pour le genre humain la vie universelle que l'on appelle la paix de l'Europe» Victor Hugo.

En Afrique du Nord, les tribus autochtones furent constamment jalonnées de troubles et de désordres. Les guerres intestines incessantes firent des peuples du Maghreb des proies faciles pour des invasions étrangères. En décembre, un ministre libyen avait averti ses voisins maghrébins «Si Tripoli tombe, Tunis et Alger tomberont à leur tour». Un Maghreb des peuples dans l'unité, la fraternité et la solidarité serait un rempart infranchissable aux invasions étrangères et un marché commun de deux cents millions d'habitants à des économies complémentaires à bien des égards. Cela rehaussera le prestige des dirigeants, donnera une leçon au néo-colonialisme d'un genre nouveau et offrira des perspectives d'avenir rassurantes à une jeunesse interconnectée avide de progrès et d'ouverture d'esprit.

L'Afrique a changé, le Maghreb doit renaître de ses cendres. C'est une question de vie ou de mort. L'Europe a vieilli, elle s'accroche à son passé. Les Etats-Unis entament leur descente en enfer, la Chine se réveille d'un long cauchemar et s'apprête à conquérir le monde. La route de la soie passe par l'Afrique du Nord. Le dé-confinement bouleversera la face du monde. Les puissants d'hier seront les faibles de demain. Le Maghreb des peuples serait une réalité concrète d'une jeunesse connectée consciente des enjeux géostratégiques. Le pacifisme et l'unité des peuples feront le reste. L'unité fait la force face l'hégémonie des puissances étrangères, à la recherche d'un second souffle. L'Afrique du Nord vit un important chamboulement géopolitique. Les Etats sont secoués de l'intérieur et menacés par l'extérieur. L'histoire est un éternel recommencement et la géographie une source intarissable de conflits. La découverte d'importants gisements pétroliers et gaziers dans la région suscite des convoitises. Enjeu pétrolier et gazier, le Maghreb prend la forme d'un champ de bataille. Un pétrole de bonne qualité avec des coûts d'exploitation compétitifs et l'exploitation du gaz de schiste, à portée de mains, loin de Paris et de ses environs. La Libye est devenue un espace de rivalité entre la Turquie et les monarchies du Golfe. Mais aussi entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine, les pays européens restant dans l'expectative. Evidemment, «Quand deux éléphants se battent, c'est l'herbe qui est écrasée». Ce sont les peuples qui en pâtissent et paient le prix fort. Le pétrole est un instrument redoutable de domestication des peuples et d'aliénation des élites. Le pétrole donne l'illusion aux dirigeants que le pouvoir est éternel et qu'il peut se transmettre de père en fils à l'instar des monarchies du Golfe. Il masque l'autoritarisme des Etats et la paresse congénitale des populations. Il abolit la propriété privée des moyens de production au profit de la propriété « publique » rendant invisibles et infaillibles les actionnaires « politiques » en socialisant les pertes et en privatisant les profits. Il sera à l'origine de la constitution d'une classe sociale formée d'une bourgeoisie d'Etat parasitaire et d'une oligarchie hégémonique, disposant d'un appareil sécuritaire puissant et de l'argent du pétrole et du gaz pour se pérenniser. Il a empêché quasiment le renouvellement du personnel politique atteint par la limite d'âge, la diversification de l'économie et la renaissance d'une culture ancestrale qu'elle soit ethnique ou religieuse. Les élites politiques âgées et usées sont dépassées par les évènements. Elles ne sont plus en phase avec leurs sociétés respectives. Elles sont mises à l'index.

Elles n'ont pas su gérer le partage de la rente à des fins productives pour en faire un moteur de développement, diversifier leur économie pour la rendre indépendante de cette ressource providentielle : autant d'incapacités que d'aveuglement qui ne sont pas de bon augure, « L'avenir nous tourmente, le passé nous retient, voilà pourquoi le présent nous échappe ». Au crépuscule de leur vie, les dirigeants arabes s'accrochent au pouvoir comme si le pouvoir s'identifiait à la vie et les jeunes veulent accéder à la démocratie comme un moyen de parvenir à l'âge adulte c'est-à-dire être traités d'égal à égal comme des gens responsables. Pour ce faire, ils veulent plier le père, l'autorité, l'Etat. Ils veulent gagner leur pain à la sueur de leur front et non à la souplesse de leur échine. Ils savent que de toute façon cela ne dure pas. Ils sont conscients des enjeux. Ils sont interconnectés. La planète est devenue un village africain.

Après des siècles d'engourdissement, les peuples maghrébins reprennent conscience de leur passé glorieux, de leur aliénation présente, et de leurs forces potentielles futures. Les difficultés économiques, le malaise social, l'impasse politique, le règne de l'immoralité, la crise sanitaire ne sont pas étrangers à ce réveil des peuples maghrébins et musulmans. Ce qui frappe d'emblée l'observateur, c'est la jeunesse des mouvements contestataires dans la quasi-totalité des pays où l'Islam est majoritaire. Le phénomène contestataire contemporain est le produit de toutes les tensions, les traumatismes et les frustrations accumulées durant ces dernières décennies. Les mouvements de protestation traduisent le désarroi d'une population privée d'idéal et de perspectives d'avenir, dans un contexte de crise sociale et de contradictions économiques.

L'Algérie contemporaine s'insère dans un ensemble géographiquement plus vaste plus prometteur qu'est le Maghreb des peuples qui s'étend du Maroc jusqu'en Libye et historiquement plus lointain remontant aux Phéniciens, aux Romains, aux Arabes et aux Turcs. Les pays de la région ont tourné le dos à leur passé ancestral commun et les Etats veillent à l'intégrité géographique présente. Alors que le mur opposant des idéologies s'est effondré en 1989, de nombreux murs, séparant des peuples se sont élevés depuis en Amérique, en Russie, au Moyen-Orient, au Maghreb. Eternel dilemme : se combattre ou s'entraider, se faire tuer par l'autre ou s'allier à l'autre ; échange de balles (la guerre) ou échange de cœurs (la paix) entre Maghrébins de race berbère et de religion musulmane vivant sur un même espace géographique depuis des millénaires, envoûtés par le miroir aux alouettes que représente l'Europe.

Chacun veille à sa petite épicerie, en empêchant l'implantation d'un super marché salutaire pour l'ensemble des peuples de la région par l'ouverture des frontières, la diminution drastique des dépenses militaires, la construction d'une économie complémentaire, la constitution d'un front uni contre la politique de division des puissances étrangère qui a fait ses preuves depuis l'effondrement de l'empire ottoman. Le Maghreb des peuples renaîtra-t-il de ses cendres ? Le Maghreb est une terre convoitée par les puissances étrangères et des peuples à asservir par leurs propres élites au profit de la prospérité et la sécurité de l'Occident triomphant.

Le Maghreb a connu plusieurs envahisseurs tout au long de son histoire. Le dernier en date est la France. La colonisation a émietté la région pour en faire la propriété des Etats qui vont en faire une propriété privée. Les Etats africains dans leur configuration actuelle sont les produits de la décolonisation opposant des monarchies aux républiques, des dictatures militaires aux régimes laïcs, des Berbères aux Arabes, les Marocains aux Algériens, des Tunisiens aux Libyens.

Le Maghreb dans sa configuration actuelle, est une création de la colonisation française qui a tracé ses frontières pour en faire un « socle de la France » laquelle a façonné les mentalités des autochtones en les dressant les uns contre les autres (les Kabyles contre les Arabes, les harkis contre les fellagas, les illettrés contre les lettrés, les musulmans contre les musulmans !) et en inculquant au colonisé qu'il est inférieur au colonisateur, qu'il soit marocain, algérien, tunisien ou libyen. L'un ne peut se définir que par opposition à l'autre. Par conséquent un colon ne peut être qu'un privilégié par rapport aux indigènes ; le colonisé est dépourvu de tout droit, c'est un être inférieur constamment soumis et humilié, en état de carence permanente.

Du statut de l'indigénat au sta       tut de citoyen, que de chemin à parcourir, que d'obstacles à franchir, que de pièges à éviter. Le passage de la soumission aux autres, au contrôle de soi-même et de la domination à l'autonomie est une œuvre de longue haleine qui exige patience et persévérance. A un moment où la planète tend à être un village, le Maghreb des peuples doit renaître de ses cendres. C'est un impératif politique, économique et social majeur. Que serait-il devenu le Maghreb aujourd'hui si la conférence de Tunis s'était tenue comme prévue en 1956 ? Que ce serait-il passé si les peuples maghrébins s'étaient soulevés comme un seul homme face à un ennemi commun ? Peut-être que le problème des frontières ne serait-il pas posé ? Tout nous unit, notre géographie, notre histoire, notre religion, nos réalités, nos rêves. Malheureusement, comme disait Ibn Khaldoun : « les Arabes se sont mis d'accord pour n'être jamais d'accord » faisant ainsi le jeu des puissances dominantes depuis la nuit des temps, tombant dans le jeu de la division mené par les puissances pour mieux les dominer et exploiter leurs richesses naturelles et minières en toute impunité.

Du Maghreb des Etats au Maghreb des peuples, l'espoir serait-il permis ? Le Hirak algérien ouvre la voie. Les jeunes manifestants qui n'ont pas connu la colonisation scandent «khaoua-khaoua». La France n'occupe pas leur cerveau. Ils l'ont remplacée par leurs propres logiciels. Des logiciels faits maison. Un vent nouveau souffle sur le Maghreb. Il est jeune, doux, paisible et prometteur. Toutes les religions nous enseignent que les peuples n'existent que pour se connaître les uns les autres. La terre est ronde, elle tourne autour du soleil. Nous sommes tous des descendants d'Adam et Eve. L'Humanité est une, Dieu est un. Le diable est partout. Il porte plusieurs masques.

L'Union maghrébine reste un projet millénaire porteur d'espoir pour l'ensemble des peuples de la région. C'est un impératif de sécurité et de stabilité de la région. Un pôle géopolitique majeur à l'intégration africaine face aux enjeux géostratégiques qui se dessinent sur la carte des Etats-majors des puissances étrangères hégémoniques où les nations faibles seront rayées de la carte. La famine sera le critère de sélection biologie du droit des peuples à la survie. Il faut se préparer mentalement et spirituellement pour ne pas dire: «je ne le savais pas» ou d'affirmer un égocentrisme primitif de mauvais aloi «après moi, le déluge» !