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Révision de la Constitution : « Changer le pansement ou penser le changement ? »

par Dr. A. Boumezrag

« Il y a des cicatrices qui saignent encore plus que les plaies elles-mêmes » - Jean Marie Addiafi

La Constitution traduit la vision qu'a une société d'elle-même, de son passé, de son présent et de son avenir. Aux Etats-Unis, la Constitution est la tête du monarque, elle est fixe comme la statue de la Liberté.

En France, elle est la couronne du monarque, elle est circulaire, elle tourne tantôt à droite, tantôt à gauche, elle porte l'empreinte de Napoléon Bonaparte et le cachet du Général de Gaule.

En Afrique, elle est l'habit du monarque, elle colle à sa peau et prend ses dimensions. Une fois la souveraineté recouvrée, l'Algérie va opter pour un régime présidentiel à parti unique s'inspirant à la fois de la France gaullienne et de la Russie stalinienne, dans un contexte de la guerre froide entre le bloc de l'Est et le bloc de l'Ouest.

Comme la voiture, l'Algérie va clignoter à gauche pour tourner à droite et se retrouver en fin de parcours... dans le décor. Les premières Constitutions datent des indépendances en Afrique.

Et depuis, on ne les compte plus. Il y a eu autant de Constitutions que de présidents régnants, autant de périodes sans Constitutions que de Constitutions sans application. Cela se traduit soit par une présidence à vie soit une Constitution sans vie. Autrement dit, la monopolisation et la pérennisation du pouvoir rarement la limitation et la séparation des pouvoirs parce que contraire à la culture et la tradition des sociétés arabes et africaines (la trinité des pouvoirs produit de la culture gréco-romaine et la religion chrétienne leur est étrangère).

Les textes n'ont pour fonction de changer les mentalités mais de formaliser des projets de société se fondant sur des réalités locales et sur un imaginaire « élitiste ». Les experts du droit fournissant la caution scientifique à une alchimie métaphysique. On chasse le naturel, il revient au galop. Elle n'a ni la rationalité ni l'effectivité.

Contrairement à ce qui s'est passé à partir du Moyen Âge, la naissance de l'Etat postcolonial est beaucoup moins le résultat des changements sociaux qui ont accompagné l'émergence des structures autonomes (division du travail, bureaucratie professionnelle, surplus agricole dégagé... etc.) que le produit d'un bricolage institutionnel visant à introduire dans l'espace politique des formes d'organisation parfaitement étrangères aux codes culturels et aux ressources de l'Etat. Dans les sociétés occidentales, dès la fin du XVIIIème siècle, s'est imposée une idée neuve du bonheur immédiat.

Ce bonheur se mesure à l'aune des biens consommés sur terre. En contrepartie de ce bonheur matériel s'est développé simultanément une idéologie productiviste où le travail est une valeur sur laquelle se fondent les économies.

C'est à partir du moment où la société européenne est parvenue à dégager un surplus agricole lui permettant de libérer une partie de la population active pour asseoir une industrie qu'un pouvoir démocratique a pu émerger.

Cette démocratie permet à celui qui fournit du travail de mieux saisir les contreparties de ses efforts tout en se libérant du pouvoir en place. Les régimes autoritaires ont été tenus en échec en Angleterre et en France parce qu'une classe sociale a pu entreprendre le développement industriel qui a fourni un surplus économique indépendamment de l'Etat. La colonisation, en excluant les Algériens du système économique, social et politique, a empêché la formation d'une bourgeoisie nationale dynamique.

La bourgeoisie capitaliste autochtone, de par sa position subordonnée et sa faiblesse, ne pouvait jouer un rôle fondamental dans le processus de construction de l'Algérie indépendante. Ce rôle incombe à l'Etat, c'est-à-dire à l'administration. Face à la désorganisation de la société civile, à son manque de dynamisme tributaire de la colonisation, seul l'Etat constitue une entreprise structurée, rationnelle, efficace, capable de relever le défi de la modernisation économique. L'Etat apparaît dans ces conditions comme le seul instrument de gestion et se substituant aux individus et au groupe, leur impose sa propre conception des choses par les décisions qu'il prend à leur place.           

L'organisation sociale étant ainsi faite favorise la dynamique d'un processus de transfert des pouvoirs de la base et de leur centralisation au sein des appareils de l'Etat. N'ayant pas d'autres moyens d'intervention que par la transmission d'ordres formels, l'Etat multiplie les lois, les décrets, les circulaires et les organes de contrôle créant de toute pièce un système tentaculaire administratif : la bureaucratie étouffant toute initiative de production ou d'investissement. En imposant un schéma institutionnel dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société indigène, et un modèle économique étranger aux réalités locales des populations, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l'échec de la modernisation politique et au développement économique. Dans ce contexte sociopolitique particulier, une économie rentière colle parfaitement aux régimes autocratiques car elle donne l'illusion aux hommes que le pouvoir est éternel et qu'il peut se transmettre de père en fils ou d'un clan à un autre sans soubresauts politiques et/ou déroute économique dans un contexte géoponique sécurisé C'est pourquoi, elle est un obstacle infranchissable à l'instauration d'une Etat civil démocratique moderne prenant appui sur une économie capitaliste autochtone affranchie du système mondial dominant et des pesanteurs sociologiques du passé immédiat et lointain des sociétés respectives. C'est la nature des ressources qui détermine le régime politique d'un pays.

Dans le cas de l'Algérie, ce sont les hydrocarbures. Etant propriétaire des gisements pétroliers et gaziers, l'Etat a le droit de s'approprier la rente. En effet, l'Etat s'est institué propriétaire des gisements pétroliers et gaziers du territoire national, a conçu la rente comme un instrument d'une modernisation sans mobilisation de la nation. Pour ce faire, il est conduit à affecter une part grandissante de la rente en cours de tarissement à la production et la reproduction de la base sociale c'est-à-dire à la consommation soit directement par la distribution de revenus sans contrepartie, soit indirectement par subvention, soit par les deux à la fois. Cette pratique a donné naissance à une véritable débauche des dépenses publiques et à une grande auto-complaisance en matière de politique économique et sociale.

Dans un pays chômé et payé, les institutions sont des coquilles vides. Le clanisme se nourrit de la rente pétrolière. Les deux réunis assurent la stabilité des régimes arabes. La longévité politique exceptionnelle des régimes arabes est une réalité incontestable. Clanisme et monarchie concourent au même résultat: stabilité politique et stagnation économique. La société maghrébine organisée depuis des siècles selon une forme patriarcale reposant sur la tribu et le clan dominant.

Prenant appui sur la parenté réelle ou supposée, le clanisme fonde toute l'organisation de la société dans sa dimension politique où l'individu ne reconnaît aucune autorité légitime autre que celle de sa famille ou de son clan ou de sa tribu à qui il accorde une confiance absolue et dont il attend une protection et des privilèges. Des individus qui recherchent leurs intérêts communs sans se préoccuper de l'intérêt général.

Dans les sociétés modernes cette notion d'intérêt général est intériorisée dans des écoles spécialisées, comme l'Ecole Nationale d'Administration, les Ponts et Chaussées, créées à cet effet. L'Etat s'est substitué à l'église et a remplacé les préceptes religieux par des lois de la république. L'Algérie a été conquise par les armes, elle a été libérée par les armes. De Bugeaud à De Gaule, de l'Emir Abdelkader à Boumediene, c'est la « sacralisation des armes ». D'une économie pastorale à une économie rentière, le pas est vite franchi, l'Algérie vit de et par la grâce des hydrocarbures et non par le labeur de ses habitants. Hier, avec les moutons et les abeilles ; aujourd'hui avec le pétrole et le gaz, l'argent vient en dormant.

La légitimité historique s'amenui se sans disparaître. Une hérédité sociale semble se mettre en place et par laquelle se transmettent des positions de domination et se perpétuent des situations de privilèges. Mais le mythe du projet étatique du développement est bel et bien fini parce qu'il s'est avéré «matériellement» impossible, «socialement» inacceptable, «politiquement» dangereux et «financièrement» ruineux.  La principale caractéristique de cette couche au pouvoir est d'être l'alliée privilégiée de la bourgeoisie étrangère qui n'entend pas tolérer le développement d'une bourgeoisie locale, propriétaire, promoteur d'un Etat capitaliste économiquement indépendant et politiquement nationaliste. La légitimité populaire peine à s'imposer pour des raisons à la fois historiques et économiques.

Le sort de l'Algérie est indexé au cours du baril de pétrole sur le marché. En période de vaches maigres, les élections conduisent à une guerre civile avec ses milliers de morts et de disparus et en période de vaches grasses à une présidence à vie au prix de mille milliards de pétrodollars. Le conflit dans les pays arabes est entre les poussées modernistes sociétales des gouvernés et les freins conservateurs des gouvernants. Des dirigeants ayant les pieds en ville et la tête dans le douar, le turban discret pour amadouer le peuple en s'adressant à lui avec ses mots (maux) et la cravate éclatante pour signifier aux Occidentaux que nous sommes des vôtres (le complexe du colonisé).

Les régimes politiques arabes sont confrontés à deux problèmes majeurs : l'impossibilité de comprimer les dépenses publiques sans perdre leur légitimité et l'incapacité de répondre positivement aux cris de révolte de leurs jeunesses les mettant devant leurs responsabilités : « gardez votre pétrole et donnez-nous du travail ! ».