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Quelques remarques sur les propositions portant révision de la Constitution

par Zerrouk Ahmed*

Le préambule qui fait partie intégrante de la Constitution

- Paragraphe 10, in fine : ce paragraphe qui nécessite une meilleure formulation au plan grammatical, constitutionnalise le mouvement populaire du 22 février 2019, « le Hirak béni », ce qui est en soi une action louable qui ne fait que rendre justice à l'élan populaire qui a permis de mettre fin à la dérive autocratique des puissants du régime du président déchu. Toutefois, il est précisé, in fine, dudit paragraphe ce qui suit « opéré en totale cohésion avec son Armée Nationale Populaire ».

Il est à relever que l'ANP est une institution républicaine, issue du peuple. Sa mission est clairement définie, c'est celle de la défense de l'unité et de l'intégrité du territoire national (espace terrestre, maritime et aérien).

L'ANP n'a pas à être immiscée dans le jeu politique et la formulation contenue dans ce paragraphe pourrait amener l'armée à prendre position, à l'avenir et pour différentes raisons, dans le débat politique et faire valoir sa position et ses exigences par une imposition de son point de vue.

La phrase in fine du paragraphe 10 pourrait être un véritable handicap constitutionnel pour l'évolution démocratique et républicaine de l'Etat et ouvrirait la voie à l'exercice d'une tutelle sur la Nation, sur le Peuple.

Sans le peuple, détenteur de la souveraineté nationale et source de tout pouvoir, qui a ouvert la voie par sa ferme détermination citoyenne, républicaine, démocratique et pacifique, pour la déchéance du président Bouteflika et de son régime honni et corrupteur, l'institution militaire serait restée sur sa position initiale exprimée le 26/02/2019 à Tamanrasset par le défunt vice-ministre de la Défense nationale, chef d'état-major de l'Armée Nationale Populaire : « ?l'ANP considère qu'il est inadmissible de pousser les Algériens vers l'inconnu à travers des appels douteux, en apparence prétendument en faveur de la démocratie, mais dans le fond, il s'agit de conduire ces égarés vers des chemins incertains. Des issues qui ne servent pas l'intérêt de l'Algérie et son avenir radieux ».

De même, l'éditorial du numéro 667 de février 2019 de la revue El-Djeich était clair et sans aucune ambigüité sur la position de l'institution militaire : « ?les élections du 18 avril prochain seront une autre occasion pour l'ANP de réaffirmer ses hautes aptitudes à assurer la sécurité de tels rendez-vous nationaux et sa disponibilité à contribuer au succès de cette fête démocratique en permettant aux électeurs d'accomplir leur devoir envers la patrie dans des conditions normales et dans un climat sûr ».

Cette position a été encore réaffirmée par le défunt vice-ministre de la Défense nationale, chef d'état-major de l'ANP, lors de sa visite de travail effectuée le 05 mars 2019 à l'Académie militaire de Cherchell : « L'Algérie s'apprête à accueillir une importante échéance nationale et tout le monde sait qu'au sein de l'ANP et de l'ensemble des autres corps de sécurité, nous sommes résolument engagés à garantir à l'Algérie et à cet événement, toutes les conditions de sécurité nécessaires? »

- Le paragraphe 12 est pris en charge par l'article 216 des propositions pour la révision de la Constitution et par la loi 06-01 du 20 février 2006, modifiée et complétée, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption.

Quant à la référence aux traités internationaux et régionaux contre la corruption, ceux-ci ont été ratifiés par notre pays et sont supérieurs, conformément aux dispositions de l'article 150 de la Constitution, à la loi.

- Le paragraphe 16, idem, il serait utile de préciser que : « le peuple algérien exprime son ferme attachement aux droits de l'Homme », sans avoir à énumérer les textes de référence. Ceux-ci étant ratifiés par l'Algérie et sont supérieurs à la loi nationale. En conséquence, l'Etat est tenu de prendre en charge ces traités dans sa législation interne. En outre, le juge doit appliquer les dispositions desdits traités avant la loi nationale (droit interne), et en cas de conflit entre la disposition du traité ratifié et de la loi, la disposition du traité prime.

- Les paragraphes 18 et 19 sont à revoir au plan grammatical (le sujet n'apparaît pas).

- Dans le préambule et dans l'objectif d'assurer à l'Algérie une « sécurité religieuse », étant donné que la religion est utilisée pour créer des tensions et de la Fitna pouvant aller jusqu'à des actions barbares, brutales et sanglantes, l'exemple des affres du terrorisme islamiste vécues par notre pays ; il y aurait lieu de préciser que l'Algérie, terre d'Islam, « est attachée profondément à la référence nationale religieuse modérée, basée sur les écoles malékite et ibadite ».

Les articles

- Article 15, ajouter après séparation « et de l'équilibre », pour être en conformité avec le préambule et le troisième axe fixé par le président de la République.

- Article 16 / 3ème tiret, le fait de prévoir un statut particulier pour certaines communes peut ouvrir une fracture sociale qui serait impossible à colmater et qui pourrait conduire à des surenchères idéologiques, politiques, linguistiques, culturelles et identitaires. C'est réveiller toutes les aspirations des uns et des autres à vouloir se démarquer pour divers motifs qui peuvent ébranler la cohésion sociale, la solidarité nationale, le vivre en commun ainsi que la paix et la tranquillité publiques.

Et, ce serait le début d'une régionalisation non intégrante mais conflictuelle, de tension, de surenchère, de rejet et d'intérêt.

- Article 20, le début de cet article / 2ème tiret «améliorer la qualité de vie» est pris en charge dans l'énoncé du 1er tiret dudit article.

- Article 23 / 2ème tiret, le bout de phrase, in fine, de ce 2ème tiret est déjà pris en charge par le décret présidentiel 15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics et des délégations de service public, in Journal Officiel 50 du 20 septembre 2015, notamment les dispositions de son article 27.

En effet, en quoi le recrutement d'un « appariteur » chargé de la remise du courrier d'un service à l'autre ou d'un bureau à l'autre ? au fait on est en 2020, où est l'e-administration - ou l'achat de fleurs, de gâteaux et autres viennoiseries répond-il à un besoin d'intérêt général ?

A titre indicatif, les frais de « fleurs » constituent un montant non négligeable dans le budget de fonctionnement des institutions de l'Etat, notamment la Présidence de la République, le Conseil de la Nation, l'Assemblée Populaire Nationale, le Conseil Constitutionnel, les services du Premier ministre et les ministères.

Qu'on mette un terme définitif à de tels achats superflus et non essentiels à l'intérêt général qui impactent le budget de fonctionnement. Il faut chercher partout « ces gisements de gaspillage des deniers de l'Etat » pour faire des économies, et réduire le budget de fonctionnement, comme l'a souligné, à juste titre, Monsieur le Président de la République.

- Article 24, cet article prévoit que les pouvoirs publics doivent « veiller à ce que la législation ainsi que la réglementation garantissent la transparence et ne contiennent pas des dispositions de nature à favoriser la corruption », et ce dans le cadre de « la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques ».

Cet article fait un amalgame entre les pouvoirs publics et la législation. En effet, les pouvoirs publics sont les autorités qui déterminent et conduisent l'action politique. Ce sont les autorités qui détiennent le pouvoir et édictent des règlements sans se soumettre au contrôle du pouvoir législatif. En un mot, c'est l'exécutif avec ses démembrements administratifs. La régularité de l'acte réglementaire, en cas de litige, relève de l'autorité judiciaire administrative, après épuisement du recours gracieux (tribunal administratif, cour administrative, Conseil d'Etat).

La question qui se pose est : quelle relation peut-il y avoir avec la législation qui est de la compétence exclusive du pouvoir législatif, du Parlement (APN et Conseil de la Nation) ?

Certes, l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre, aux députés et aux membres du Conseil de la Nation, conformément aux dispositions de l'article 136 / 1er alinéa de la Constitution. Mais, le droit de légiférer appartient au seul Parlement, et les pouvoirs publics, en l'occurrence l'exécutif et l'administration, au sens large, n'ont aucune compétence dans ce domaine.

Il est à relever que ni les députés ni les membres du Conseil de la Nation n'ont pris l'initiative de proposer une loi. C'est dire l'indigence des « représentants » du Peuple ou pour certains d'entre eux de la « Chkara », qui ont pour seule fonction de dire « oui » à l'administration, au pouvoir exécutif.

Dans cet article 24 proposé par le Comité, il y aurait lieu d'enlever le terme « législation ».

- Article 25, le trafic d'influence est une infraction prévue et réprimée par les dispositions de l'article 32 de la loi 06-01 du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption.

Quant à l'abus d'autorité, c'est également une infraction prévue et réprimée par les dispositions des articles 135 à 137 (abus d'autorité contre les particuliers) et 138 à 140 (abus d'autorité contre la chose publique) de l'ordonnance 66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal, modifiée et complétée.

D'une manière générale, l'abus d'autorité consiste en une contrainte morale exercée par une personne qui s'appuie sur son autorité de fait ou de droit, sur une autre personne pour l'amener à accomplir certains actes.

Dans la matière pénale, l'abus d'autorité est commis par un dépositaire de l'autorité publique. C'est ce qui était déjà pris en charge par la Constitution de 2016. Pourquoi vouloir y ajouter le trafic d'influence. La réponse est aisée : certains hauts responsables de l'Etat du « règne » du président déchu, sont inculpés, entre autres infractions, de trafic d'influence. Comment peut-on constitutionnaliser l'infraction de trafic d'influence alors qu'elle était déjà prise en charge par le code pénal, et ensuite par la loi 06-01 sus citée ?

La Constitution ne peut pas être réduite en une loi « fourre-tout » et prendre en compte une infraction prévue et réprimée par la loi pénale, pour la simple raison de sa commission par de hauts responsables de l'Etat.

L'article 24 de la Constitution de 2016 ne devrait faire l'objet d'aucun ajout.

- Article 26, l'énoncé du 4ème tiret de cet article « Les administrations agissent avec le public en toute neutralité dans le respect de la légalité et avec célérité », est pris en charge en partie par le 2ème tiret dudit article « L'impartialité de l'administration est garantie par la loi» et par le bout de phrase du 3ème tiret « ?l'obligation de donner une réponse motivée dans un délai raisonnable ».

Ce pourquoi, ce 4ème tiret n'a pas lieu d'être.

- Article 30, pour lever toute équivoque quant à la place et au rôle de l'Armée Nationale Populaire, il est suggéré de rédiger cet article comme suit :

« La consolidation et le développement du potentiel de défense de la Nation s'organisent, dans le cadre de la politique du gouvernement et sous la direction du président de la République, autour de l'Armée Nationale Populaire.

L'Armée Nationale Populaire est chargée d'assurer la défense de l'unité et de l'intégrité du territoire du pays ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime ».

L'Armée Nationale Populaire ne devrait en aucun cas être la gardienne de la souveraineté nationale, comme il ressort de l'actuel article 28 / 2ème alinéa de la Constitution, qui a été repris, in extenso, dans l'article 30 / 2ème alinéa des propositions portant révision de la Constitution et dans le préambule (paragraphe 21).

L'éditorial de la revue El-Djeich (numéro 669 du mois d'avril 2019) considère l'armée comme étant le « garant? de la préservation de la souveraineté nationale? ».

Or la souveraineté, qui ne peut être que nationale, est le principe selon lequel la souveraineté appartient à la nation, au peuple, entité abstraite collective, unique et indivisible.

Il faut, également, préciser que la souveraineté appartient exclusivement au peuple (article 7 / 2ème alinéa de la Constitution et des propositions portant révision de la Constitution), qui l'exerce par «l'intermédiaire des institutions qu'il se donne», de la «voie du référendum» et de «ses représentants élus» (article 8 / 2ème et 3ème alinéas de la Constitution et points 2 et 3 de l'article 8 des propositions portant révision de la Constitution).

La souveraineté nationale implique une souveraineté interne caractérisée par l'exercice exclusif de l'Etat de sa compétence sur le territoire national, et une souveraineté externe dans laquelle l'Etat garde son indépendance absolue dans l'ordre international où il n'est limité que par ses propres engagements (traités et accords ratifié par le président de la République dans le cadre des dispositions de l'article 150 de la Constitution).

Ainsi, la souveraineté nationale appartient au peuple et aucune institution, y compris l'institution militaire, ne peut s'ériger en « garant » ou « tuteur » ou « protecteur » de cette souveraineté qui ne peut être que nationale. La sauvegarde de la souveraineté nationale est une mission à laquelle œuvrent et participent l'ensemble des institutions de l'Etat et appartient au peuple et à lui seul.

C'est l'objet de cette proposition d'une nouvelle rédaction de l'article 30 des propositions portant révision de la Constitution, ex-article 28 de la Constitution en vigueur.

- Article 31 / 3ème tiret, les dispositions du 3ème tiret dudit article prévoient la participation des forces armées de la République dans des opérations de maintien et de restauration de la paix.

S'agissant des opérations de maintien de la paix (volet police), notre pays a déjà participé avec l'envoi, notamment de gendarmes (le cas de Haïti, du Cambodge, de l'Erythrée et du Congo). Cette participation a été appréciée par les Nations Unies.

Le soutien par l'envoi d'experts militaires algériens a été, également, accordé pour des opérations menées sous l'égide des Nations Unies, c'est le cas en Angola et au Congo.

Ainsi, l'Algérie, à travers l'Armée Nationale Populaire, participe à des opérations de maintien de la paix, et cette participation se fait d'une manière volontaire à la suite d'un appel à contribution de l'ONU.

Quant aux opérations de restauration de la paix, autrement dit d'imposition de la paix dans le cadre du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, elles impliquent l'usage de la force létale et, en conséquence, la perte de vies humaines des deux (2) côtés.

En outre, et au cas où l'Algérie viendrait à participer à de telles opérations, notamment dans le monde arabe ou au Sahel, cette action pourrait porter préjudice à notre pays dans ses relations avec les pays arabes et impacterait fortement son rôle de médiateur et de facilitateur de la paix, reconnu et apprécié par la communauté internationale, et porterait atteinte aux valeurs de dialogue, de tolérance et de bon voisinage prônées par l'Algérie.

De plus, si de telles opérations de restauration de la paix auraient lieu au Sahel, notre pays pourrait s'exposer à des risques réels et patents sur son propre territoire.

Aussi cet article ainsi que le 3ème tiret de l'article 95 devraient être écartés des propositions de révision de la Constitution, et ce d'autant plus que notre pays peut participer volontairement, le cas échéant, à de telles opérations sur sollicitation des Nations Unies, de l'Union Africaine ou de la Ligue des Etats Arabes, sans pour autant constitutionnaliser cette action.

- Article 38, la deuxième phrase de cet article suppose l'existence ou l'éventualité d'existence d'exécution extrajudiciaire par les forces de l'ordre. En effet, ledit article après avoir affirmé que « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et doit être protégé par la loi », souligne que « Nul ne peut être arbitrairement privé de ce droit ». Cet article est une reprise, in extenso, de l'énoncé de l'article 6/1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par notre pays suivant le décret présidentiel 89-67 du 16 mai 1989, in Journal Officiel 20 du 17 mai 1989.

Il est utile de relever que la licéité de tuer une personne sans engager sa responsabilité pénale est prévue par le droit de La Haye1, le droit de la guerre ; et là, il s'agit d'actes de guerre entre combattants, dans le strict respect du JUS AD BELLUM (légalité du recours à la force) et du JUS IN BELLO (règles humanitaires à respecter en cas de guerre).

En dehors de cette situation et hors le cas de la légitime défense, dans le strict respect de la proportionnalité de la défense face à la gravité de l'agression, et les infractions prévues et réprimées de la peine de mort, la privation arbitraire du droit à la vie ne peut qu'être qu'une exécution extrajudiciaire.

La phrase « Nul ne peut être arbitrairement privé de ce droit » implique l'existence d'actes d'exécution extrajudiciaire par des agents de l'Etat. Ce pourquoi, il est suggéré d'enlever cette phrase dudit article 38, d'autant plus que la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui contient cette disposition dans son article 6/1, donne une primauté audit protocole sur la loi interne, conformément aux dispositions de l'article 150 de la Constitution.

En conséquence, cette disposition du Pacte doit être respectée par les agents de l'Etat, notamment les forces de l'ordre, et toute violation doit faire l'objet de l'ouverture systématique d'une information judicaire par la juridiction compétente et l'auteur jugé, conformément à la loi, dans le cadre du procès équitable.

- Article 44 / 3ème tiret : enlever l'adverbe « restrictivement », car les conditions de prorogation de la détention provisoire sont, actuellement, définies limitativement par les dispositions du code de procédure pénale (articles 123 bis à 125 bis).

- Article 46 / 1er tiret : remplacer le terme « arrestation » par « garde à vue ». La personne arrêtée par la police judicaire à l'encontre de laquelle n'existe aucun indice faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ne peut être retenue que le temps nécessaire à son audition (article 65/1 du code procédure pénale).

En dehors de ce cas, on est dans la procédure de la garde à vue qui est réglementée par le code de procédure pénale. Et, la détention arbitraire peut être commise lors de la garde à vue dont la durée est limitativement déterminée par les dispositions de l'article 65 du code de procédure pénale.

- Article 51 : Les dispositions de cet article, notamment ses deux (2) nouveaux alinéas peuvent constituer une véritable menace à la référence religieuse nationale et aux religions révélées (le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam) reconnues par le Saint Coran.

En effet, le deuxième alinéa dudit article 51 prévoit la liberté d'exercice des cultes (au pluriel), c'est ouvrir les portes à toutes les sectes et autres courants qui se veulent être une religion et qui, forts de cette disposition constitutionnelle, vont vouloir s'implanter en Algérie, en arguant de l'existence d'adeptes.

Le deuxième membre de phrase de cet alinéa précise que la liberté d'exercice des cultes est garantie, « elle s'exerce sans discrimination dans le respect de la loi ».

Implicitement, il y a une certaine reconnaissance qu'avant ces propositions portant révision de la Constitution, il y aurait eu une discrimination dans l'exercice des cultes d'une part, et d'autre part, conforte toutes les sectes et autres courants religieux à vouloir gangréner la religion de l'Etat ainsi que la société algérienne, notamment la jeunesse, par d'autres pratiques dites « religieuses ». Et, les moyens multiples d'attrait et de prise en charge psychologique sont rodés et bien étayés par ces sectes et courants religieux.

Notre pays a assez de problèmes avec l'Eglise protestante qui est dirigée par des Algériens, pour lui ajouter d'autres « églises » et courants religieux qui vont amplifier et exacerber, tant au plan national qu'international, les tensions autour de la pratique religieuse et de la liberté religieuse en Algérie.

Ce pourquoi, il est proposé de maintenir les dispositions de l'actuel article 42 de la Constitution : « La liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables. La liberté d'exercice du culte est garantie dans le respect de la loi ».

Les autres dispositions des propositions portant révision de la Constitution appellent aussi des observations. Cependant, cette contribution va se limiter à trois (3) autres dispositions importantes et une (1) de pure forme.

- Le projet d'institution d'un vice-président. En soi, cette disposition est intéressante du fait qu'elle va permettre au président de la République de se décharger de certaines activités de représentation tant au niveau national qu'international. Comme elle va permettre au président de la République de lui déléguer, dans le cadre de ce qui est permis par la Constitution, certaines fonctions.

Cependant, il est à relever une contradiction flagrante entre les dispositions de l'article 92/2 et de l'article 98/6 des propositions pour la révision de la Constitution. En effet, l'article 92/2 prévoit qu'« en cas d'interruption du mandat pour cause de démission du président de la République en exercice ou pour toute autre cause, ce mandat est considéré comme mandat accompli ».

Une parenthèse s'impose pour souligner l'expression « en exercice », comme s'il existait l'éventualité de la démission d'un président de la République qui n'est pas en exercice. Dans ce cas, c'est un ex-président de la République. C'est une précision qui ne s'impose pas et qui est hors de propos.

Revenons maintenant à l'article 92/2, l'énoncé de cet article précise que le mandat du président de la République interrompu par une démission ou pour toute autre cause est considéré comme étant accompli.

Or, l'article 98 / 6ème et 7ème tirets viole cette disposition en prévoyant qu'en cas de démission ou de décès du président de la République, le vice-président de la République, chef de l'Etat par intérim, assume la charge de président de la République pour le reste du mandat présidentiel. Comment peut-il assumer cette charge pour le reste du mandat présidentiel, alors que ce mandat est considéré comme étant accompli (article 92/2).

La deuxième violation constatée est celle de l'article 89 / 1er tiret. En effet, ledit article énonce que « Le président de la République est élu au suffrage universel, direct et secret ».

Comment peut-on attribuer la charge de président de la République, qui doit être impérativement élu, à un vice-Président qui est simplement désigné (nomination par un décret présidentiel à l'instar de l'ensemble des cadres occupant une fonction supérieure de l'Etat).

Le vice-président de la République, personne non élue et nommée à cette fonction de l'Etat par un texte réglementaire, qui devient président de la République est une véritable mascarade juridique et une véritable arnaque constitutionnelle. On crée sui-generis un « héritier de la République ». Ce qui est antinomique. La légitimité populaire, corollaire de l'élection présidentielle, qui est le socle et le fondement de la haute charge de président de la République, c'est-à-dire de président de l'ensemble des Algériens et des Algériennes, est complètement battue en brèche et allègrement occultée.

Cette innovation laisse perplexe compte tenu de la qualité des membres du Comité. Comment ont-ils pu réfléchir, débattre et proposer une telle absurdité qui viole la démocratie et la République. Dans notre République, dans notre démocratie, instaurer un vice-président de la République « héritier » est une offense grave aux Algériens et aux Algériennes, et constitue une imposition d'un président de la République, alors que le peuple est la source de tout pouvoir. Les experts du Comité ont oublié la première phrase du préambule de la Constitution : « Le peuple algérien est un peuple libre, décidé à le demeurer ».

De grâce, mettez fin à cette dérive grave d'un président de la République non élu, qu'on veut imposer à l'Algérie, « terre de liberté et de dignité », Etat dont la devise est : « Par le Peuple et pour le Peuple ». C'est au peuple et au peuple seul d'élire au suffrage universel, direct et secret, le président de la République (article 89 / point 1 des propositions portant révision de la Constitution, ex-article 85 / 1er alinéa de la Constitution).

- La présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature. Pour consacrer l'indépendance du Conseil Supérieur de la Magistrature et le soustraire à l'autorité du ministre de la Justice, l'article 187 accorde la vice-présidence du Conseil au premier président de la Cour Suprême, qui assure aux lieu et place du président de la République, la présidence effective dudit Conseil.

Mais, cette décision est réduite à néant par le fait que c'est le ministre de la Justice qui propose la nomination de tel (le) magistrat (e) à la fonction de premier président de la Cour Suprême, et qui peut suivre la même procédure, pour mettre fin à ses fonctions. Aussi, le premier président de la Cour Suprême ne peut aucunement se détacher complètement d'un lien de subordination et d'allégeance au ministre de la Justice.

Cette situation qui est valable pour l'ensemble des emplois civils et militaires de l'Etat, porte préjudice à l'indépendance de la fonction exercée, et de ses corollaires, la longévité dans l'exercice de la fonction, le sentiment d'impunité qui conduit à des actes d'abus d'autorité, de trafic d'influence, d'enrichissement illicite, de népotisme et de corruption.

Les hautes fonctions assumées dans le cadre des emplois civils et militaires de l'Etat devraient être limitées à un mandat unique, d'une durée déterminée de 4 à 6 années, par exemple. Aucune autorité du pouvoir exécutif ne peut mettre fin à ce mandat, sauf en cas de commission d'infraction à la loi pénale, de violation des obligations induites par l'exercice desdites fonctions (code de conduite dûment établi au préalable) ou de démission volontaire.

Lutter contre l'impunité, lutter contre la corruption, c'est également mettre à l'abri le haut fonctionnaire de l'Etat de l'action prédatrice de certains puissants du moment qui font et défont la carrière des cadres de l'Etat, en fonction de la satisfaction de leurs propres desseins, et en érigeant comme critères de sélection et de promotion, la soumission et la servilité du cadre qui, en contrepartie, bénéficie de l'impunité que lui assure la puissant du moment. Ce qui lui ouvre la grande porte pour un enrichissement illicite et fulgurant.

- La Cour constitutionnelle. Cette proposition contenue dans les dispositions des articles 193 à 203, érige aux lieu et place de l'actuel Conseil constitutionnel une Cour constitutionnelle. C'est une proposition qui ne tient nullement compte du contexte de l'édifice des institutions de l'Etat où le Conseil constitutionnel peine à exercer réellement ses missions et est tributaire des décisions et désidératas de l'exécutif, à titre indicatif et non exhaustif, les 3ème et 4ème mandats et l'acceptation du dossier du 5ème mandat.

Vouloir donner au Conseil constitutionnel, en plus des attributions actuelles de contrôle de constitutionnalité, de contentieux électoral, de compétences consultatives dans certaines circonstances particulières, de contrôle obligatoire préalable à la promulgation des lois organiques et d'exception d'inconstitutionnalité, des compétences juridictionnelles en l'érigeant en Cour constitutionnelle, serait inopportun et n'est basé sur aucune donnée objective et réelle qui puisse militer, dans ce sens, eu égard à l'activité limitée, sans aucune emprise sur la réalité de l'exercice du pouvoir dans notre pays, mené par le Conseil constitutionnel. A-t-on fait une analyse objective des attributions exercées par le Conseil constitutionnel ?

Il est étonnant que des experts, de la stature de ceux et celles qui composent le Comité, aient pu réfléchir dans cette voie et proposer, sans aucune étude ou analyse, la création d'une Cour constitutionnelle en remplacement de l'actuel Conseil constitutionnel. Les membres du Comité sont au fait, étant donné leur cursus universitaire et de leurs compétences avérées et reconnues, au plan national et international, dans leur domaine respectif, de l'action et de la place dudit Conseil dans le système institutionnel de notre pays.

Laissons le Conseil constitutionnel s'affirmer dans la Nouvelle République et prendre sa réelle place au sein des institutions de la République, par l'exercice effectif et entier de ses attributions actuelles.

- Les articles 236, 237 et 238 inclus dans les dispositions transitoires et même s'il est précisé « pour mémoire », sont un copier-coller des articles actuels (213, 214 et 215) de la Constitution et ne sont plus d'actualité.

En effet, le Conseil constitutionnel a renouvelé le mandat de ses membres, trois (3) décisions d'exception d'inconstitutionnalité2 ont été rendues par le Conseil constitutionnel et les articles 198 et 199 de la Constitution ont été mises en œuvre (la loi 16-13 du 3 novembre 2016 fixant la composition du Conseil National des Droits de l'Homme ainsi que les règles relatives à son organisation et à son fonctionnement, le décret présidentiel 17-76 du 12 février 2017 fixant la composition du CNDH et le règlement intérieur du CNDH, publié au Journal Officiel 59 du 17 octobre 2017).

Par ailleurs, une appréciation générale mérite d'être soulevée. Une Constitution doit fixer les principes et laisser à la loi le soin de les préciser dans le détail. Or, les propositions pour la révision de la Constitution se sont étendues, pour certaines d'entre elles, dans des détails qui relèvent de la loi.

Dans ce cadre, il est utile de préciser que la Constitution est la norme la plus élevée dans l'ordre juridique (hiérarchie des normes juridiques). Elle définit les différentes institutions de l'Etat, selon le principe de séparation des pouvoirs (le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire), et organise leurs relations afin d'éviter tout arbitraire du gouvernement. La Constitution garantit également à chacun le respect de ses droits et consacre les libertés fondamentales du citoyen.

En outre, toute Constitution doit s'adapter aux évolutions de la société. Et, la société algérienne, depuis le 22 février 2019, a connu de nombreux bouleversements qui doivent être pris en charge par la révision de la Constitution tant au plan des droits et libertés fondamentales que de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de l'autorité judiciaire, et non de la Justice, terme qui renvoie à une valeur, à l'équité qui est appréhendée subjectivement par chaque personne, selon qu'elle ait eu gain de cause ou non dans le litige qui l'oppose à une autre personne physique ou morale.

La finalisation des propositions portant révision de la Constitution devraient être menée par le Comité d'experts, en concertation avec des hommes et femmes politiques, de membres du Parlement, de religieux, de représentants de la société civile et des organisations professionnelles et syndicales.

Sans cette concertation avec des personnes qui ont eu à exercer de hautes responsabilités directement liées à la mise en œuvre des dispositions de la Constitution et qui connaissent, en conséquence, les insuffisances, imperfections ou autres problèmes induits par certaines dispositions constitutionnelles, ainsi que de membres et de militants de la société civile et des organisations professionnelles et syndicales qui sont en phase avec les aspirations des citoyennes et des citoyens, la révision de la Constitution serait amoindrie, fragmentaire et en déphasage avec la société algérienne et ses aspirations légitimes.

La Constitution n'est pas un texte figé. C'est un texte « vivant » qui est le reflet, positif ou négatif, des hommes et des femmes faisant partie du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, et du degré de leur volonté de se soumettre peu ou prou à la loi fondamentale. La Constitution, ce n'est pas uniquement de la « littérature juridique » à confier aux seuls juristes, aux spécialistes du droit. Il y va de la vie de la nation, du peuple et de son devenir.

La Constitution ne doit en aucun cas être tributaire de la volonté d'une seule personne qui va incarner, durant une période, l'homme providentiel, l'homme fort du régime, le puissant du moment et à qui tous les responsables des institutions qu'elles soient exécutives, législatives ou judiciaires, doivent obéir et croient fermement ou par calcul politicien ou de longévité dans la fonction exercée qu'ils sont tenus de s'y soumettre et de se plier à sa seule volonté, en violation de la loi et de la réglementation. En définitive, une Constitution ne vaut que par la qualité des hommes et des femmes représentant le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

La Constitution la plus aboutie et la meilleure du monde n'est qu'un document banal et sans effet, lorsque les hommes et les femmes représentant les différentes institutions sont dans la soumission, dans l'allégeance et dans la soumission au puissant du moment, lorsque ces hommes et femmes sont dans la corruption, le népotisme, le détournement, la concussion, le trafic d'influence l'abus d'autorité, le favoritisme. En un mot, lorsque ces hommes et femmes cherchent par tous les moyens et autres voies dolosives à s'enrichir et à enrichir leurs proches (famille, alliés et amis), sans se préoccuper le moins du monde de leurs concitoyens, « le peuple qui est la source de tout pouvoir ».

Les dispositions de l'article 23 de la Constitution sont claires et ne souffrent d'aucune équivoque : « Les fonctions et les mandats au service des institutions de l'Etat ne peuvent constituer une source d'enrichissement, ni un moyen de servir des intérêts privés ».

Cette disposition constitutionnelle et l'armada des textes répressifs n'ont nullement empêché les plus hautes autorités civiles et militaires de les fouler aux pieds, assurée de l'impunité totale. Elles incarnaient l'Etat. Elles se garantissaient l'impunité et agissaient pour assouvir leur appétit et leur voracité prédatrice du patrimoine et des deniers de l'Etat.

C'est le mouvement de contestation du 5ème mandat qui a débuté le 22 février 2019 et qui s'est transformé en un Hirak citoyen et pacifique, après la démission forcée du président de la République déchu, qui a permis l'ouverture d'informations judiciaires contre des ex-premiers ministres, des ex-ministres, des ex-hauts fonctionnaires, des généraux-majors, des hommes d'affaires?etc., pour différentes infractions infamantes, dont la corruption. La liste est ouverte et doit rester ouverte.

La phrase « la loi, c'est moi », qui est la source de toutes les dérives, doit être bannie à jamais du langage de certains « hauts responsables ». Aucune autorité civile ou militaire ne personnifie la loi, « force doit rester à la loi » et « nul n'est au-dessus de la loi ».

Espérons, ne dit-on pas que l'espoir fait vivre, que cette révision de la Constitution va consacrer effectivement la primauté du droit par des hommes et des femmes de bonne volonté. Des hommes et des femmes qui se sacrifient pour le bien-être de leurs concitoyens. Des hommes et des femmes soucieux de la chose publique et complètement désintéressés par l'accumulation frauduleuse de richesses à leur profit et de leurs proches. Des hommes et des femmes honnêtes, probes, compétents et qui font preuve d'une réelle abnégation dans l'exercice de leurs attributions pour une société juste, égalitaire et prospère où ces hommes et femmes sont au service exclusif du citoyen, du peuple. Mais, ceci est une autre histoire.

Enfin, il est suggéré que les articles de la révision de la Constitution soient adoptés, l'un après l'autre, par une commission comprenant les membres du Comité d'experts élargi à des hommes et femmes politiques, des sociologues, des économistes, des hommes de religion, des magistrats, des avocats ainsi que des représentants de la société civile et des organisations professionnelles et syndicales.

Cette commission composée de 36 à 40 personnes serait présidée par le président du Comité d'experts.

L'adoption de chaque article, après débat, se fera par un vote des 2/3 des membres de la commission. Au cas où un article n'obtient pas le nombre de voix nécessaire, il est ajourné, et la commission passe à l'article suivant.

En deuxième étape, les membres de la commission votent à la majorité simple pour chaque article ajourné, faute du nombre de voix requis (les 2/3).

Au cas où des articles ne recueillent pas la majorité simple, ils seront transmis, avec un rapport de synthèse, au président de la République.

Ces articles seraient examinés et leur adoption décidée par une commission restreinte présidée par le président du Comité, comprenant :

- le premier président de la Cour Suprême ;

- le président du Conseil d'Etat ;

- le président de la Cour des Comptes ;

- le président du Conseil National Economique et Social ;

- un (1) membre du Conseil constitutionnel, élu par ses pairs ;

- le rapporteur général et porte-parole du Comité.

A l'issue, la révision constitutionnelle sera remise par les membres du Comité au président de la République qui décidera de la voie de son adoption. Le référendum serait la meilleure solution et la plus démocratique, et ce conformément aux articles 98/8 et 208 de la Constitution.

Notes

1 - Les conventions de La Haye ont été adoptées pendant les conférences de la paix de La Haye en 1899 et 1907. Ce sont l'ensemble des règles que doivent observer les belligérants dans la conduite des hostilités.

2 - Décisions 01 et 02/D.CC/EI/19 du 20 novembre 2019. Contestation de la constitutionnalité de l'article 416/1er alinéa, du code de procédure pénale, modifié et complété, dans son membre de phrase relatif à la personne physique. Le Conseil Constitutionnel déclare l'inconstitutionnalité de la disposition législative prévue à l'alinéa 1er de l'article 416 du code de procédure pénale, dans son membre de phrase ainsi rédigé : « Lorsqu'ils prononcent une peine d'emprisonnement ou une peine d'amende excédant 20.000 DA pour la personne physique », et celui rédigé comme suit : « et 10.000DA pour la personne morale » ainsi que la disposition législative prévue à l'alinéa 2 de l'article 416 du code de procédure pénale, dans son membre de phrase, ainsi rédigé : « Lorsqu'une peine d'emprisonnement avec ou sans sursis a été prononcée ». Ces dispositions législatives déclarées inconstitutionnelles cessent leurs effets immédiatement, c'est-à-dire à compter du 19 novembre 2019. Décision 01/D.CC/EI/20 du 6 mai 2020. Contestation de la constitutionnalité de l'article 496/point 6 du code de procédure pénale, modifié et complété. Le Conseil Constitutionnel déclare le point 6 de l'article 496 du code de procédure pénale, constitutionnel.

*Ex-cadre/MDN. Colonel à la retraite