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A L'ombre Du Virus

par El Yazid Dib

Tout évolue à son ombre. Depuis son apparition, une parenthèse a encerclé la vie. On agit, on attend, on espère et parfois on meurt. Il a décalé tous les agendas, explosé les poitrines, rendu impuissance toute puissance.

Les autres pays n'auraient pas fait mieux que nous devant l'intensité de la pandémie. « La situation est sous maîtrise » avait affirmé le président de la république tout au début de la pandémie. Des flottements depuis ont eu lieu et la panique s'est confortablement installée au sein de la santé publique. Des mesures ont été prises. Elles étaient salutaires mais sans nulle opiniâtreté. Sans cette fermeté qui sied à la gravité de situation. Avec un recul l'on peut oser dire que jusqu'ici la gestion de cette crise par l'Etat était de niveau appréciable. Il manquait cependant certaines dispositions devant venir combler beaucoup de distorsions. L'application rigoureuse et stricte des instructions édictées souffrait d'une nonchalance voire parfois d'un sentiment de laisser-faire.

Une sécurité sanitaire louable

Une valeur ajoutée vient d'être injectée dans la volonté déclarée de l'Etat de vouloir encore procéder à une reforme de la santé nationale. L'Agence de Sécurité Sanitaire est créée. Confiée au professeur Sanhadji, un éminent spécialiste de renommée internationale dit-on. Va-t-il avoir les coudées franches ? Il avait d'emblée certifié « la souveraineté totale de l'agence ». Illusion ou excès de confiance ? Attendons voir. Comprendra t-il aisément la culture comportementale du citoyen algérien ? Sait-il le profil socio-tensionnel du citoyen-patient algérien, le fonctionnement bureaucratique des caisses d'assurances sociales, le but financier aux dépends du souci professionnel des cliniques privées, les vertus et les vices de la médecine gratuite ? Un lourd et pesant travail. Encore que les frontières du pays recèlent d'innombrables compétences. Il suffit de les dénicher et leur permettre un « contexte » d'épanouissement identique à celui offert à ceux qui ont ailleurs réussi. Ce n'est pas à l'universalité de donner la capacité à quelqu'un mais l'attention et le rendu de mérite.

Quand l'on parle de sécurité sanitaire, l'on vise une affaire qui intéresse et concerne tout le monde. Dans la santé il n'y a pas que le secteur public qui doit affronter le mal. Ce virus nous a démontré que seul ce secteur, avec sacrifice et abnégation était au four et ou moulin. Au moment où le ravage décime des corps, les établissements privés ont mis la clef sous le paillasson. A l'exception d'un infime échantillon. Donc la santé n'a pas à être au couleur d'une idéologie ou d'un régime économique. Elle est à visage humain et au service du bien-être social. Que l'on n'importe pas de modèles exogènes et que l'on rétablisse la noblesse du local et du capital-expérience.

L'actualité Covidée

Quand l'actualité est malmenée et mouillée de plusieurs faits qui ne font pas les divers mais chacun est un essentiel, il est difficile de d'imposer une priorité. Celle-là s'impose cependant par l'angle de lecture qui se fait selon la profession de foi de chacun. D'ailleurs rare est l'événement qui prend la Une et unanimement. Le Covid (je le cite au masculin) persiste royalement à régner sur le trône du quotidien. C'est comme un capteur, il tracte toute l'actualité. Il régente les faits, les décisions et enfante ainsi l'information. Écrire en dehors de ce « contexte » ne semble pas emballer toutes les plumes. Pourtant, il existe bien des choses sur lesquelles beaucoup d'encre peut couler.

Les affaires de foot, le tiers présidentiel, l'externalisation des missions de l'armée, la communication présidentielle. Mais, tenace qu'il est , le Covid affecte la primauté à ses desseins macabres et ne sen détache pas. Le Hirak et tous les penchants vers sa reprise, le FLN et ses vaines tentatives de se réanimer, le sénat et le silence constitutionnel qui l'entoure, récemment « l'incident » de Tin Zewatine dans le Sud et les complots qui le minent ; tout cela ne peut être traité sans avoir à l'œil le contexte « de la crise sanitaire ». Tout reste lié à la distanciation que prennent les uns par rapport à leur semblables masqués ou non, et les autres par rapport à ce qui se triture dans les hauteurs du pouvoir. En fait c'est ce « contexte » qui a tendance à déterminer durement et pour longtemps les contours de l'avenir. Un débat politique aurait dit-on à se tenir via le net, un achat de sous-vêtements également, un enterrement et des condoléances se font à distance, le café se prend clandestinement au gobelet, la bavette est un autre document de circulation devenu enfin obligatoire.

Une constitution à déconfiner

Le dit » contexte » n'a empêché personne d'apporter sa lecture à la mouture du projet constitutionnel. L'on cherche malgré tout à le déconfiner. Lever l'huis-clos. Seulement l'âme n'y est pas. Encore moins le cœur, quand la malédiction hospitalière, le cri des démunis, des damnés de la terre reste tout de même inscrit sur le fronton de ceux qui ne parlent pas trop. Ceux qui prennent le silence majoritaire pour une réponse à ne pas marginaliser. Il est de droit que le débat soit libre, tant est le vœu officiellement émis par le président. En plus, ce texte à discuter en long et en large ne doit pas connaître un confinement uniquement au sein de ses initiateurs. Il est de portée générale.

Chacun détient naturellement toute possibilité d'émettre son avis sans qu'il ne soit mis à l'index ou puisse crouler sous les pires procédures judiciaires. Si l'on se met à en discuter, il nous faudrait une table et beaucoup de temps.      

La constitution à ce stade de l'évolution nationale n'est pas une œuvre de tailleur d'habit en sur-mesure nonobstant les furtifs essayages. C'est un livre auquel tout le monde contribue, un contrat de devoirs et de droits qui tient en l'état tout le monde. D'où la totale liberté de dire et de redire ses ressentis, ses marquages et ses appréhensions.

Une communication fiévreuse

Toute information peut être objective, la propagande n'est qu'officielle. Ainsi, c'est cette «officialité» qui placerait l'information dans le rang de la propagande. L'histoire de l'humanité est riche en ces exemples. Beaucoup ne croient plus à ce qui se dit dans la sphère officielle. Tout discours est sensé, aux yeux de l'ensemble être entaché de roublardise. A un certain niveau, la communication de l'Etat doit être fiable et ne souffrant d'aucune hésitation. A ce niveau là, hélas on communique mal. La république gagnerait à changer de look communicatif. Une Algérie qui se veut nouvelle s'astreint également à la nouveauté des visages, des profils et des discours. Des voix neuves, innocentes, sans sensations ni spasmes d'un passé révolu auraient à créditer d'un blanc-seing citoyen tout ce qui se dit au nom du président. L'on n'explique pas la constitution, on doit se tenir à booster son explication par les autres, à les faire intéresser et non pas leur imposer une grille de lecture. Pour ce qui de la prévention et de la lutte contre cette saloperie de virus , la communication institutionnelle la traite ordinairement et avec les mêmes modes communicatifs usuels. Un spot sur les voies de transmission, des recommandations d'hygiène et bien d'autres messageries utiles certes, mais sans nulle incidence sur le récepteur. Ne faudrait-il pas passer à une autre vitesse plus effrayante, plus convaincante, plus horripilante ? Une communication qui produit de la peur, qui crée de la crainte. Montrer l'horreur, l'agonie, la mort. En soulignant que cela peut heurter les personnes sensibles. C'est à notre légendaire curiosité après, de faire son œuvre.

Des chiffres l'on doute, des promesses l'on doute, pourtant du tangible il y en a quelque part. L'information devient douteuse quand elle manque de précision et de détails. Ce qui ouvre les pistes à tout genre de défiance et d'ambigüité.

Sétif, le suicide collectif

Ce même « contexte » de crise sanitaire ne fait citer Sétif qu'en ses termes de transmission virale en hausse, de classement en haut de la courbe. Le président de la République l'avait évoqué à maintes reprises dans sa dernière intervention. Ce n'était pas uniquement par exemplarité ou illustration de cas malheureux. Il voulait attirer l'attention sur le grand danger qui rôde et menace la deuxième population en nombre du pays. La wilaya vit la contamination et ne respire que l'horizon de la mort.

Que font ceux qui officient à sa santé publique ? Peu ou prou. En théorie, en prise de mesures, en discours, en réunions, en sorties, en admonestations, en fermetures ; oui il y a eu du genre. Mais le résultat est là. Une courbe exponentielle. Certains citoyens et nombreux se foutent de l'élan préventif, d'autres n'y adhérent pas quand ils renient l'existence même du virus. Que faire alors ?

Alors avec l'allégement des horaires du confinement, personne ne pense que la situation va être « maitrisée ». Pourtant, il se dégage à l'apparence une volonté de vouloir bien cerner la chose et bien le faire.

Voir un responsable distribuer des masques grand public au grand public ,dans la rue , ça c'est du palpable, sauf que, ce n'est pas de ses attributions de le faire. Lire que les hôpitaux sont chargés, les angoisses sont multiples, les tests au compte-goutte c'est aussi du visible.  Que faire donc? Engager rapidement, par une commission nationale spécialisée en la matière une étude des foyers, des enquêtes épidémiologique pour détecter les noyaux de la contamination, les isoler et assurer la suite. Sévir à grande échelle par la loi dans sa totale et rigoureuse application. Limiter la circulation automobile, source qui favorise les regroupements. Enfin, par fatalité, accentuer les prières et dire Allah ghaleb. Le ridicule est à son comble dans une mairie amputée de cœur, ligotée d'esprit quand elle prétendant agir dans le bon sens hygiénique, se suffit à lancer un concours de propriété des cités. Pas trop d'effort à signer un avis, alors que l'effort recommandé et exigé est de mettre à la disposition de ces cités les moyens, de générer le premier pas, de produire de l'exemple et laisser la solidarité citoyenne ainsi faire le reste. Quand, il n'y a pas de bacs à ordures, juste un enlèvement superficiel, faut pas s'attarder sur un prix quelconque ou espérer la vie en co-propreté ou en rose bonbon. Un sourire aimable ou une éducation familiale est insuffisant pour croire être un bon maire de cette ville. Il vaudrait mieux avoir un administrateur sous tutelle qu'un fonctionnaire qui se prend pour un élu.

...Et la vie doit continuer

L'histoire nous raconte qu'en 1918 la grippe dite espagnole aurait fait plus de 50 millions de décès parmi les 500 millions de contaminés. Elle s'étala sur deux ans et se propagea en trois vagues successivement meurtrières. La majorité des décès s'enregistra durant la seconde vague prenant ainsi à leur hérésie les gens qui eurent à se réjouir après le premier déconfinement. Croyant en une fin illusoire de la pandémie ils abandonnèrent, dégoût leur en pris ; tous les gestes de barrière et de distanciation. Pourvu que l'histoire pandémique ne se répète plus eu égard à l'avancée des sciences et des technologies. Cependant la vigilance reste de mise. Mettez un masque face à cette histoire.

Malgré tout le soleil continue à se lever sur tous les dispensaires et le temps ne s'est pas arrêté au seuil de l'institut Pasteur. Les gens vaquent différemment à leurs déceptions, qui dans une inconscience princière, qui sous la conviction de l'alerte et du danger. On prépare déjà les examens et aussi les candidatures pour les locales, on s'initie au recyclage des personnages usées et on crache sur un passé que l'on tente curieusement de revivifier. L'espoir vit de la confiance que l'on a en soi, en ses profondes croyances que ce qui se passe n'est pas un simple jeu d'ombre.