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Quand une Bourse en avale une autre

par Akram Belkaïd, Paris

A quoi sert une Bourse de valeurs ? A permettre le financement des entreprises et donc au financement de l’économie, dira-t-on sans trop s’étendre sur l’évolution controversée de ces marchés devenus des terrains de jeux pour «investisseurs institutionnels» et divers sortes de fonds dont ceux dits spéculatifs ou de couverture. Longtemps, l’image de la Bourse est allée de pair avec sa «corbeille», endroit symbolique où se traitaient les transactions. Aujourd’hui, seule la Bourse de New York a gardé ses traders dont la possible disparition au profit de transactions cent pour cent électroniques est régulièrement évoquée.
 
La Bourse en Bourse
 
Avec le triomphe néolibéral et la dématérialisation des échanges, c’est le statut des Bourses qui a évolué. La Bourse de Paris, qui fut longtemps une sorte de coopérative publique est aujourd’hui une entité privée faisant partie d’Euronext, entreprise née en 2000 de la fusion entre les Bourses de Paris, Amsterdam et Bruxelles. Dit autrement, le Palais Brongniart (place de la Bourse) n’a plus rien à voir avec les marchés financiers et se contente d’accueillir fêtes et salons spécialisés.

Les Bourses sont ainsi devenues des entreprises comme les autres, dotées d’un capital ouvert aux investisseurs et soumises aux mêmes lois du marché. Ainsi, depuis 2014, Euronext est elle-même cotée sur... Euronext. Une situation que l’on croyait encore impossible au début des années 2000 mais qui a fini par devenir une réalité. Les entreprises qui gèrent les Bourses peuvent ainsi entrer en Bourse et même être soumises à des offres publiques d’achat (OPA), amicales ou hostiles.

Prenons, par exemple, la Bourse de Madrid. Toujours indépendante, ces dernières années, elle faisait office de survivante dans un environnement marqué par les regroupements initiés par l’incontournable trident : Euronext (autrement dit Paris), Deutsche Börse (Francfort) et London Stock Exchange (LSE, Londres). Ces trois géants concurrents n’ont eu de cesse de tenter de conclure un mariage à deux en excluant le troisième. A chaque fois, les discussions ont capoté, l’Union européenne veillant, notamment, à empêcher l’émergence d’un monopole boursier. Alors ?
 
Madrid perd son indépendance
 
Alors chacun des trois a fait son marché. Par exemple, Euronext s’est mariée – temporairement – avec la Bourse de New York puis a racheté les places de Dublin, de Lisbonne et même d’Oslo. Une stratégie d’expansion européenne qui faisait de Madrid un objectif logique. Or, la Bolsa y Mercados Espagnoles (BME) vient d’échapper à Euronext. Lancée en novembre dernier, l’OPA amicale de Six Group, l’opérateur suisse qui gère la Bourse de Zurich, vient de conclure de manière positive pour un montant de 2,57 milliards d’euros.

Pour Six Group, c’est une prise de choix. Outre le fait que cela lui donne un accès direct au marché de la zone euro, cette acquisition lui donne plus de poids pour résister aux appétits d’Euronext ou de la Deutsche Börse. La logique est évidente : grossir pour ne pas être mangé trop vite ou se ménager des conditions plus favorables en vue d’une inévitable OPA. En tout état de cause, cette acquisition ne changera rien à la hiérarchie des capitalisations boursières (valorisation au prix de marché de l’ensemble des actions émises par l’entreprise) : 5 milliards d’euros pour Euronext, 26 milliards d’euros pour le London Stock Excange (LSE) et 28 milliards d’euros pour Deutsche Börse.