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Ourad Boumédiène, un grand maestro, le rossignol de la RTA

par Allal Bekkaï

« La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné où gisent, sans honneurs, des hommes qu'ils ont cessé de chérir ». (Marguerite Yourcenar)

Ne pas évoquer une figure emblématique de la chanson algérienne comme le grand maestro Ourad Boumédiène, à l'occasion de la Journée de l'Artiste coïncidant avec le 8 juin, relèverait de l'amnésie, ce redoutable « syndrome » dont furent victimes, via les médias lourds notamment, de grands hommes de l'Art et de la Culture dans notre pays, à l'exemple du chantre de Laghouat, le roi du luth Rey Malek, qu'une association culturelle locale dénommée « Racines » fit sortir de l'oubli à travers un vibrant hommage (Journées nationales) rendu en sa mémoire dans sa ville natale.

A quand un geste culturel « historique » (festival) à l'endroit de Ourad Boumédiène ? Originaire de Tlemcen, croit-on savoir, Ourad Boumédiène est né le 6 octobre 1931, à Oujda, au Maroc, dans le quartier dit ?la Casbah', près de Dar el Pacha, au sein d'une famille lettrée et conservatrice des valeurs traditionnelles.

Doué, dès sa tendre enfance, pour la musique et le chant, il intègre un groupe de musique amateur à Oujda, avec lequel, il se familiarise au chant interprété en chœur, ainsi qu'au jeu du luth et du violon. Parallèlement à une scolarité classique qu'il effectue d'une manière très studieuse, le jeune Boumédiène mémorise toutes les ritournelles du melhoun répandues dans cette région du Maroc. Il apprendra, également, tous les airs orientaux diffusés à la radio, dans les salles de cinéma ou encore à l'occasion de concerts publics et familiaux.

Oum Kaltoum, Mohamed Abdelwahab et Farid El Attrache tenaient le haut de l'affiche tandis que les Marocains, influencés par le courant égyptien, produisent déjà au cours de cette période d'après-guerre (1945-1950), de très belles œuvres.

Certaines personnalités font figure de grandes stars, telles que Ahmed El Bédaoui, Abbès El Khiyati, Abdelkader Rachedi, Abdelwahab Agoumi, Mohamed Fouiteh, Abderrahim Sekkat entre autres. En fait, Ourad Boumédiène fera ses premières armes auprès de Cheikh Mohamed Bensmaïn ainsi que Rey Malek (comme formateur) au sein de l'Association « El Andaloussia », fondée en 1921 par le premier cité.

Il exercera le métier de «derraz » (tisserand), spécialisé dans le «h'chaïchi», avant de devenir releveur de compteurs dans le Service des Eaux. Virtuose du violon et du luth, il s'intègrera à l'orchestre de la radio de Fès qu'il dirigera avec Ahmed Sedj'i, célèbre violoniste, compositeur du morceau d'anthologie « Essed », pendant de « Afrah chaâbb » et « Raqsat el Atlas» de Abdelkader Rachedi.

El Hadj Abdelhafid Acimi, ancien interprète à la RTA et ex-directeur de la radio FM de Tlemcen, qui avait toujours souhaité lui organiser un hommage à titre posthume, se souvient de cet artisan-artiste quand il vivait à Oujda. « J'étais encore enfant, je le revois debout à l'ouvrage devant sa «m'rama» (métier à tisser)...». Ourad Boumédiène formera après son propre groupe avec comme bras droit Si Brahim, le brillant accordéoniste à la typique « chéchia fassia » (que nous avions eu le privilège de voir à l'œuvre à l'occasion d'une soirée de mariage organisée à Bel Horizon (Tlemcen) dans les années 70 chez la famille Abed). Sur la scène artistique « populaire» oujdie évoluait également l'orchestre de Moulay El Habib (à qui nous consacrerons un portrait à la prochaine occasion) ainsi que celui de Sellem, qui étaient, tous deux, installés à Oran, où réside par ailleurs, la sœur de Ourad qui conserverait le précieux luth de ce dernier.

Une concurrence saine régnait entre les trois musiciens, selon Mustapha (Benhadi) El Moghrabi, musicien, artisan boyaudier (décédé au début de l'année 2008) qui enregistra à Oujda avec Ourad Boumédiène « Rani m'hayer », «Ya ben sidi ya khouya ».. « J'ai appris de lui la qacida « Nass el ghram » de Cheïkh Nedjar que j'ai chantée devant lui; il était satisfait de moi.. », se souvient, de son vivant, notre interlocuteur, ajoutant que Ourad aurait décliné l'offre de «service» des artistes marocains l'invitant à leur réserver exclusivement ses compositions, sa célébrité étant déjà acquise. L'artiste « oujdi» venait souvent à Tlemcen où il animait des soirées musicales à l'occasion de mariages ou pour rendre visite à des parents à Feddane Sebaâ, un quartier situé au nord de la ville ou à Nédroma, le fief de Cheikh Nekkache, un virtuose du « gunibri », un maître du « gherbi ».

De retour à Tlemcen en 1950, Ourad Boumédiène rencontre Cheikh Abdelhamid Ababsa, alors en tournée dans la région. Séduit par sa virtuosité dans le jeu instrumental et sa maestria en matière de chant, Cheikh Ababsa s'attellera aussitôt à l'engager dans son orchestre en qualité de luthiste et de violoniste. C'est ainsi qu'en 1953, il accompagnera, aux côtés de Haddad El Djillali, le Tunisien Ahmed Hamza et Leïla El Djzaïria, à l'occasion d'une tournée artistique à travers le territoire national.

Il prendra part, ainsi, à toutes les représentations organisées sous la houlette de Cheikh Abdelhamid Ababsa qui l'encourage particulièrement, trouvant en lui un artiste aux qualités indéniables. Ces tournées lui permettront de rencontrer toutes les grandes personnalités maghrébines, avec lesquelles, il nouera de fortes relations amicales et artistiques. Après l'indépendance, il rentrera au bercail d'abord à Sidi Bel-Abbès (sa ville adoptive) puis à Oran (ville qu'il a de son vivant toujours aimée et dont le public connaisseur lui réservait un accueil des plus chaleureux à chaque fois qu'il s'y produisit) et enfin, à Alger, où il s'installa définitivement pour des causes surtout professionnelles. Il y travailla comme auteur-compositeur et surtout en qualité de musicien permanent au sein de l'orchestre moderne dirigé par Haroun Rachid avant de diriger un orchestre au sein de la RTA, dont faisait notamment partie Chérif Kortébi. Il jouait du luth, du violon en plus de la cithare (qanoun) qu'il exécutait avec une grande adresse.

Il comptait parmi les meilleurs joueurs de luth (oûd) algériens de tous les temps ; très jeune, il a été influencé, tout comme el-marhoum Ahmed Wahby, par les maîtres de la musique égytienne, tels que Essayed Darwiche, Mohammed Abdelwahab et Farid El Atrache dont il chantait à ses débuts et avec brio presque tous leurs grands succès. Garçon sérieux et méthodique, il ira parfaire ses connaissances en s'inscrivant au Conservatoire municipal d'Alger, ce qui confirme sa volonté pour l'amélioration de ses connaissances et, partant, l'accomplissement remarquable de son métier de musicien. Omniprésent, Ourad Boumédiène est sollicité, aussi bien à la Radio Télévision, que les studios d'enregistrement privés ainsi que les tournées et galas publics. On lui connaît un solo de violon d'anthologie qu'il réalise dans une chanson interprétée par le Marocain Abdelhaï Skalli intitulée « Tèn souel ndjoum ellil» (chantée initialement par son concitoyen Mohammed Mezgueldi), qui aura un très large succès à travers le Maghreb. Pour ce même chanteur, il offrira l'une de ses premières compositions « Alel el bab talet el gamra » sorties en disque 45 tours en 1963.

Au cours de la même année, Ourad Boumédiène interprète deux chansons qui feront date dans les annales de la musique algérienne; il s'agit de « Rani m'hayer» et «Ya ben sidi ya khouya » du poète Mostéfa Benbrahim.

Le musicien tlemcénien, le regretté Cheikh Boubekeur Benzerga l'aurait interprétée avant lui, en 1952, mais avec une autre mélodie, selon un témoignage que nous avons recueilli de lui de son vivant. Cette dernière, sortie chez ?Pathé Marconi' en disque microsillon 45 tours, a été réalisée en duo avec la grande chanteuse Noura. Une chanson-phare, faut-il le souligner, dont se sont vraisemblablement inspirés nombre de paroliers du genre raï, en termes de translitération (intrusion de mots français, en l'occurrence « Excuse-moi, madame, je ne comprends pas del hadra »). A propos de raï, relevons au passage le « massacre » de la chanson précitée commis par un raïman au titre d'un remake de mauvais goût... Démontrant sa pleine capacité artistique, Ourad Boumédiène composera durant cette période, « Ma t'heyerhache» (ne l'inquiète pas), pour la chanteuse Nadia (Karahbache) d'origine syrienne qui venait de s'installer à Alger. Il travaillera avec les grands paroliers du moment, que sont Mohamed Bouzidi, Hadj Rabah Deriassa, Tayeb Bouazza et Driss Benhadj ainsi que le chef d'orchestre Haroun Rachid qui lui compose l'un de ses plus grands succès, une œuvre ayant pour titre générique «Ouchoudet errabiê » sur des paroles de Mohamed Bouzidi. Ourad Boumédiène a également chanté et composé d'autres chansons comme «Hob zine f'nani», «Gou' lou' lou», «Ya chaghel el bal», «Sbeb, Khalletni», «Hbibi baâd el ghiba», «Alalla ye lally», «Nahnou oumel el biled» (chant patriotique)... Au fait, lequel des deux a chanté le premier la chanson « Gou lou lou », Ourad Boumediène ou Abdelhaï Skalli ? Notons que rares sont les musiciens (qu'ils soient professionnels ou amateurs) qui oseront reprendre ses chansons. Et pour cause. La densité de son répertoire en matière de composition musicale dissuaderait plus d'un, nonobstant la « tentative » pour ne pas dire la tentation de certains, comme celle de Benhadi Mustapha dit El Moghrabi, musicien à Tlemcen, qui chantera dans les soirées de mariage dans les années 70 «Hob zine f'nani», suivi dans les années 80 par Abdelouahid Bensahla, parent de Ourad, percussionniste dans l'orchestre de variétés de Hami Hamsi, qui interprètera pour sa part «Gou' lou' lou», outre Zakia Mohamed «imitée» par Nada Rayhane qui chanteront, dans les années 90 à l'instigation de Chérif Kortébi (nostalgie oblige) « Ouchoudet errabiê».

Lors d'une émission télévisée (défunte) « Nadi el fananine» (Le club des artistes) animée alors par la sympathique Afifa Maalem, la chanteuse Zakia Mohamed avoua, au passage, ne pas connaître le parcours de Ourad Boumédiène, qui sera, faut-il le souligner dans ce contexte, le grand « absent » des soirées-hommage « Layali ettarab » organisées par l'ENTV et animées par Belkacem Zitout. Idem pour les récents mégas hommage, version « kheïma », initiés par le DG de l'ENTV, Hamraoui Habib Chawki (lequel rendit personnellement hommage en cette occasion à la chanteuse Nora, une « interface » de Ourad).

Cette «amnésie» serait-elle due à un ostracisme qui ne dit pas son nom, ou bien à une «pénurie» drastique de chanteurs capables d'« affronter » le public (les mélomanes) avec le répertoire de celui qui fut le rossignol de la RTA ? Même la fameuse école « Alhane oua chabab » sera atteinte par ce « syndrome » (exit Ourad Boumediène lors de la 1re édition). Son nom n'a jamais été évoqué dans l'émission télévisée « El Qaâda » ou «Fen bladi» de Canal Algérie. Omission ou occultation dans des émissions radiophoniques lyriques comme « Nostarchives » animée par Nesreddine Baghdadi (Chaîne 3), « Min archif el aghani » de Fatima Ould El Khissal (Chaîne1), « Ras toua maya » de Abdelkader Bendaâmèche (chaîne 3) ou « Arabesques » de Abdelhakim Meziani (chaîne 3) ainsi que « Hanine » animée par Fouad Ouamane, illustrée par un générique kaléidoscopique où l'icône nommée Ourad Boumédiene est absente.

Nonobstant, ce maestro fut enfin ajouté au lot des « Choumou etilifizioune » (Les bougies de la télévision), une émission rétrospective animée par le pétillant Djallal Chanderli, qui l'évoquera en deux occasions (émission de décembre 2007 avec comme invité Djamel Khouidmi et Kamel Hammadi dont l'épouse Nora la chanteuse avec qui Ourad était fiancé avant d'être ravi aux siens, et celle de mai 2008 avec Haroun Rachid, compositeur de « Ounchoudet Rabi'».

Par ailleurs, s'il ne lui a été consacré que quelques misérables lignes (deux phrases) dans le dictionnaire biographique «Mémoire algérienne» de Achour Cheurfi, pas un traître mot n'a été soufflé sur sa vie dans l'ouvrage de Habib Hachelef sur les musiciens algériens (tous genres confondus). En revanche, Abdelkader Bendamèche ne l'a pas oublié dans son livre «Les grandes figures de la musique algérienne »... Quant à « Alger, capitale de la culture arabe», Ourad Boumediène, connais pas? Une partie de sa discographie est mise en ligne via un site web ( www. maroccan. salmiya. net) ainsi qu'une pochette d'un ancien 45 tours frappée à son effigie sur www.flicker.com...

La Gazette du Maroc le cite dans une de ses éditions en ces termes: « Abdelhay Skalli, « Ala al bab tallat al gamra », composée par l'Algérien et regretté Ourad Boumédiène, auteur du célébrissime « Ya ben sidi, ya khouya ».

Alors qu'un blog libellé sba2007.over.blog.com lui est dédié à travers «Sidi Bel Abbès Story », en hommage à la chanson fétiche «Ya ben sidi..» où il vante l'image de « Bel-Abbès kheïr men baris (Paris) fi soukna »... Une chanson qui est également à l'honneur via Youtube, avec en duo la diva Nora...

Cet artiste aux multiples facettes et à l'amabilité légendaire s'abreuvait à la source intarissable des chants melhoun, bédouins et citadins (hawzi, aroubi, chaâbi) lesquels apparaîtront dans l'ensemble de son œuvre produite tant pour la Radio que pour le commerce. Tout comme il excellera dans la chanson nationaliste très largement radiodiffusée durant cette période de l'indépendance. A ce titre, Il fera également un grand succès avec la chanson patriotique « Nahnou oumel el biled ». A quand des Journées nationales de musique de variétés « Ourad Boumédiène» à l'instar de Rey Malek ?

Ourad Boumédiène épousera la célèbre artiste de ballet Sabéha, originaire de Cherchell. Ayant fréquenté le milieu artistique, El Habib, le pittoresque libraire de la Place du Méchouar, nous évoquera de son vivant, non sans émotion, les circonstances de la disparition tragique du grand maestro. « Ourad Boumédiène Allah ya rahmou est mort à Alger, après une soirée musicale, dans un accident de voiture contre un bus à Bab El-Oued, ravi à la « fleur » de l'âge...». C'était un 7 avril 1965, un jour de printemps, cette merveilleuse saison qu'il chanta aussi merveilleusement à travers «Ounchoudat rabi'». Il avait 34 ans. Il est enterré au cimetière El-Kettar, aux côtés d'un autre monument de la musique populaire, son immortel alter ego : Ahmed Wahbi...