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Santé : on peut mieux faire !

par Bouchikhi Nourredine*

Partout à travers le monde les Etats ne veulent surtout pas laisser passer l'occasion de l'épidémie pour réformer le secteur de la santé et le gouvernement algérien ne fait pas exception; il semble d'ailleurs déterminé à revoir sa copie en matière d'organisation du secteur. Le gouvernement, selon les dernières déclarations du ministre de la Santé, envisage de prendre plusieurs mesures dont la plus importante est la décision récente qui autorise le conventionnement de la CNAS avec les cliniques privées pour la prise en charge des femmes enceintes ; une décision salutaire; les femmes assurées et à leur grande satisfaction auront donc le choix de se faire accoucher ou opérer indifféremment dans les structures publiques ou privées.

L'autre priorité du gouvernement évoquée est la cancérologie ; spécialité de plus en plus sollicitée avec la transition démographique et qui souffre surtout de pénuries récurrentes d'antimitotiques qui chamboulent les cures laissant dans le désarroi malades comme médecins obligés de faire des gymnastiques pour amener à leur terme les protocoles thérapeutiques et la problématique des rendez-vous souvent éloignés des séances de radiothérapie incompatibles avec l'espérance de vie de certains cancers ; sans omettre à l'occasion d'évoquer aussi de prendre en considération l'épineux problème de la médecine palliative pour les malades en fin de vie.

Les urgences médicochirurgicales

Le troisième point abordé par le ministre de la Santé est celui des Urgences médicochirurgicales (UMC) (nous n'abordons pas ici les urgences obstétricales) qui représentent le tendon d'Achille de l'organisation sanitaire, son image de marque et le baromètre de la satisfaction des usagers en matière de santé du pays ; mais là la solution proposée semble faire abstraction totale du rôle des structures privées, cabinets surtout ; mettre sur pied des cliniques de proximité équipées comme c'est prévu ne pourra que déplacer le problème au lieu de le résoudre ! En fait, aborder les problèmes des UMC c'est tenter d'élucider deux aspects qui se confondent.

Les urgences vitales

Le premier est celui des véritables urgences vitales et le second c'est celui de l'affluence souvent injustifiée du point de vue strictement médical et la pression engendrée sur le service sans qu'il y ait d'urgence dans le véritable sens du terme. Les urgences médicales sont représentées par deux grands chapitres; les urgences cardiovasculaires et à leur tête les infarctus et les troubles du rythme et les urgences neurologiques représentées par les AVC (Accidents vasculaires cérébraux) grands pourvoyeurs de la mortalité et des séquelles invalidantes et qui ne peuvent se permettre une perte de temps entre compétences de différents services car les minutes comptent et la prise en charge doit être instantanée dès l'arrivée des premiers secours pour se poursuivre au niveau de l'hôpital ; l'organisation doit donc absolument répondre à cet impératif par la mise en place d'un Service ambulant médical des urgences (SAMU) équipé du nécessaire et qui en dehors des grands centres urbains fait défaut malheureusement dans la grande majorité des villes du pays ; la protection civile qui compte parmi ses effectifs des médecins pourrait pallier temporairement cette insuffisance à condition que ses équipes soient formées et disposent de l'arsenal thérapeutique pour faire face.

Le service de tri

La quasi totalité des autres urgences pourra être jugulée dans un service de tri qui doit être non seulement près des citoyens mais près des hôpitaux ; le tri vu la longue expérience des hôpitaux européens et son succès pourra se faire avec l'aide de paramédicaux formés et bien rétribués.

Le statut de médecin urgentiste

Les urgences médicales ne doivent pas être considérées du seul point de vue des structures hospitalo-universitaires mais il faut les intégrer dans une stratégie qui englobe l'ensemble des structures hospitalières à travers le pays ; un malade doit avoir les mêmes chances d'être correctement soigné où qu'il se trouve en Algérie surtout pour ce qui est des urgences cardiaques et neurologiques ; cela exige la création d'un statut spécial de médecin urgentiste qui fait encore défaut avec des postes stables, des médecins volontaires de préférence, bien rémunérés, bénéficiant d'une formation continue, disposant des moyens qu'il faut pour accomplir leurs tâches ; ce qui n'est pas le cas aujourd'hui où la plupart des médecins affectés aux urgences surtout dans les villes ne disposant pas de CHU sont des médecins sans expérience souvent contraints n'ayant ni la formation adéquate ni la reconnaissance, exposés à la violence et manquant souvent du minimum. Cette situation est à l'origine d'une injustice en matière de couverture sanitaire des citoyens à travers le pays face aux urgences vitales et qu'il va falloir rapidement lui trouver réponse.

Le problème d'affluence

L'autre volet qui constitue le point d'achoppement au niveau des UMC est le flux important et permanent plus marqué en dehors des heures de travail, durant les weekends et jours fériés et c'est cela qui a sûrement amené les autorités à réfléchir à créer des structures de proximité ; le ministre de la Santé a avancé le chiffre de 80 sans plus de détails sur leur répartition géographique ? Ni le personnel qui va les faire tourner ? Va-t-il être recruté ? Ou bien il s'agit juste d'une réaffectation de celui qui est déjà en place, sachant qu'il existe d'ores et déjà un manque flagrant surtout en personnel paramédical qui handicape le bon fonctionnement de beaucoup de structures hospitalières ! Le problème de l'affluence ne peut pas être résolu en mettant en place d'autres structures qui fonctionnent de la même façon que ceux qui existent déjà et qu'on n'arrive pas à gérer !

Tous les professionnels et à leur tête ceux qui exercent dans les UMC s'accordent à dire que la majorité de ceux qui s'y présentent relèvent de la simple consultation, plus de 80% selon diverses statistiques, cela va du simple bobo à celui qui est en rupture de médicaments ou celui qui n'a pas pu consulter la journée en raison de son agenda de travail ou par manque de moyens de transport à celui qui ne veut pas ou n'a pas de quoi s'acquitter des honoraires d'une consultation en externe, etc.

D'ailleurs la crise du Covid19 a prouvé cette réalité par la diminution drastique du nombre de « malades » sollicitant les services des UMC ! Pourtant des solutions existent parmi lesquelles l'établissement de listes de permanence qui couvrent les heures d'affluence qui se situent généralement entre 19 et 21 heures, les jours fériés et les weekends et qui doivent intégrer aussi bien les structures publiques que privées pour combler ce vide.

Et pour ceux qui échappent à cette organisation et se présentent directement aux UMC de l'hôpital c'est aux structures de tri qu'incombe alors le rôle de filtre.

Mais pour espérer relâcher définitivement la pression sur les structures publiques, il va falloir utiliser toutes les potentialités qui existent déjà et qui sont marginalisées et dans la ligne de mire le secteur privé qui souffre déjà de la concurrence déloyale des structures étatiques et passe un mauvais quart d'heure avec l'épidémie du Covid-19 et ses conséquences encore incalculables.

C'est une occasion pour que l'Etat fasse d'une pierre deux coups en faisant l'économie des dépenses envisagées qui pourront être utilisées pour mettre à niveau les structures déjà en place tout en venant en aide au secteur privé en l'associant comme acteur à part entière dans la politique de santé.

Le secteur privé et son rôle

Le secteur privé qui se trouve malgré les apparences et fausses croyances sinistré et qui malgré les risques, les sacrifices et le manque de moyens a continué à assumer son rôle mais qui malheureusement a été laissé pour compte avec toutes les répercussions déjà visibles sur l'emploi car la majorité des cabinets ont soit réduit leurs personnels soit les ont mis au chômage technique ; et à ce rythme ils ne pourront même plus s'acquitter des charges fiscales et parafiscales. Il était donc temps, comme on ne cessera jamais de le répéter, d'intégrer le secteur libéral dans toute tentative de solutionner les problèmes de la santé; l'objectif est la satisfaction du citoyen et la préservation de sa santé.

Le conventionnement, une solution simple et efficace

Il est donc aussi impératif non seulement de conventionner des cliniques et pas seulement pour quelques actes, mais tous les médecins installés qui remplissent les conditions réglementaires ; nous n'inventons rien, cela marche parfaitement ailleurs et il n'y a pas de raison pour que ça ne marche pas chez nous ! Le malade assuré aura ainsi un vrai choix et ne sera pas contraint de solliciter les structures publiques entretenant la pression sur les infrastructures et le personnel, il lui suffira comme c'est le cas pour les officines conventionnées de présenter sa carte « Chiffa » pour se faire examiner sans devoir s'acquitter directement des honoraires et comme c'est le cas aussi pour les officines où le malade s'acquitte d'un supplément correspondant au tarif de référence le médecin pourra réclamer un complément au cas où le tarif de référence de la sécurité sociale ne prend pas en charge l'évolution des prix à la consommation et l'inflation ainsi que des actes complémentaires qu'exige l'état du patient du moment que celui-ci est consentant ; avec comme verrou le contrôle à postériori qui pourra sanctionner les abus. La convention actuelle ne répond ni aux doléances des malades ni à celles des médecins ; elle concerne depuis son expérimentation qui n'a que trop duré uniquement les retraités et leurs ayants droit, elle consacre aussi des injustices par le fait qu'elle exclut de facto certaines spécialités comme c'est le cas de la pédiatrie car à l'évidence il sont rares les retraités qui ont encore des enfants en bas âge nécessitant le recours aux pédiatres! De même qu'elle criminalise tout recours à la perception de complément au lieu de réglementer dans le cadre d'un véritable partenariat avec les caisses de sécurité sociale sur la base d'une convention débattue par les deux parties prenant en compte les intérêts de chacun d'eux y compris du malade bien sûr. La prise de conscience des autorités semble sincère mais pour arriver à atteindre les objectifs espérés toute stratégie ne doit pas souffrir des mêmes erreurs faites par le passé où des décisions qui engagent la santé du citoyen ont été prises par des cercles restreints qui souvent ignorent la réalité de l'Algérie profonde.

*Dr