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L’Allemagne contre la BCE (et l’Union européenne...)

par Akram Belkaïd, Paris

Cela fait des années que la menace planait mais elle vient de se concrétiser. Le 5 mai dernier, alors que l’attention d’une bonne partie du Vieux continent portait sur la pandémie de Covid-19, le Tribunal constitutionnel allemand jugeait non conforme au droit européen, la stratégie de la Banque centrale européenne (BCE) en matière d’intervention non-orthodoxe sur les marchés. Pour les juges de Karlsruhe, l’institution financière n’a pas le droit d’acheter des obligations d’État comme elle fait, depuis plusieurs années, dans sa lutte contre les conséquences de la crise financière de 2008.

Mise en cause frontale

Logique avec lui-même, le Tribunal constitutionnel a donc ordonné aux autorités allemandes de s’opposer à la BCE et de remettre sur le marché les 534 milliards d’euros d’obligations publiques que détient la Bundesbank - la Banque centrale allemande - pour le compte de la BCE. Cette dernière a trois mois pour démontrer que son action est conforme à la loi européenne. Pour les juges constitutionnels, si une telle démonstration n’est pas faite, alors la «Buba» devra aussi se retirer du capital de la BCE. On imagine, sans peine, le choc qui serait provoqué par la vente des obligations détenues par l’institution allemande. Mais on n’imagine même pas l’onde de choc qui serait provoquée par un retrait de l’Allemagne du capital de la BCE. En un mot, cela signifierait à terme l’éclatement de la zone euro et le retour aux monnaies nationales.

Cette affaire n’est donc pas anecdotique et trouve ses racines dans le laisser-faire des Européens à l’égard de la BCE. Depuis sa naissance, mais surtout depuis 2008, cette dernière agit sans rendre de comptes ni aux États ni aux parlements nationaux et encore moins à la Commission européenne ou encore au Parlement européen. Le Tribunal constitutionnel allemand reproche à la Banque centrale européenne d’avoir «outrepassé» son mandat et de ne pas agir correctement pour défendre les épargnants par le biais de la lutte contre l’inflation.

Pourquoi le Tribunal allemand se réveille-t-il maintenant alors que cette situation dure depuis des années ? La cause se trouve dans les conséquences de la pandémie de Covid-19. Le 18 mars dernier, la BCE lançait un «plan pandémie» (Pandemic Emergency Purchase Program, PEPP) d’un montant de 750 milliards d’euros. Cet argent créé pour les besoins de la cause par l’institution, autrement dit par de la planche à billets, est destiné à racheter de la dette publique afin d’empêcher toute attaque des marchés contre un pays membre de la zone euro. Selon les premières indications (la BCE ne brille pas par sa transparence sur ce sujet), c’est l’Italie - dont la dette dépasse désormais les 135% du Produit intérieur brut- qui, jusqu’à présent, a bénéficié le plus de ce programme.

Sanctions européennes ?

Un casus belli pour les juges de Karlsruhe pour qui la BCE manque au «principe de proportionnalité» qui veut que cette aide indirecte soit fonction des performances économiques des pays. En clair, le Tribunal constitutionnel n’admet pas que l’argent européen serve à sauver l’Italie au détriment des épargnants allemands. Une position très populaire au sein de l’opinion publique germanique et qui montre les failles du dispositif européen en matière de solidarité. Nul ne sait comment cette crise va se terminer mais l’Allemagne devrait écoper de sanctions européennes car l’initiative de son Tribunal constitutionnel remet clairement en cause l’autorité de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) censée primer sur les juridictions nationales.

«Nous analysons maintenant le jugement de la Cour constitutionnelle allemande dans le détail. Et nous examinerons de possibles prochaines étapes, qui pourraient inclure l’option d’une procédure d’infraction», a ainsi déclaré la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen en rappelant aussi que la «parole ultime sur le droit européen est rendue au Luxembourg», autrement dit par la CJUE.