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Inébranlable libre-échange

par Akram Belkaïd, Paris

La pandémie de Covid-19 va-t-elle provoquer un infléchissement des politiques économiques jusqu’à présent suivies par les pays les plus développés ? Confrontés à la colère des opinions publiques, plusieurs gouvernements ont fait des promesses en ce sens, notamment en ce qui concerne le domaine de la santé. En France, sans trop fournir de détails, le président Emmanuel Macron s’est engagé à changer les choses mais rien ne permet d’affirmer que la marchandisation des soins et la baisse des budgets appartiendront au passé. Les promesses, on le sait, n’engagent que celles et ceux qui y croient…

L’illustration par les masques

Avec la santé, c’est la question du commerce international qui fait l’objet de toutes les attentions. Après quatre décennies de désindustrialisations et de démantèlements tarifaires, des pays comme la France, l’Espagne, voire l’Italie, découvrent leur vulnérabilité. Ce thème est illustré par l’affaire des masques. En France, il n’existe plus aucune usine qui en fabrique, la dernière ayant été fermée en 2018 (!) car étant jugée peu rentable face aux importations venues de Chine. Pourquoi ces dernières sont-elles moins chères ? Deux raisons simples : le coût de travail qui est moindre dans les ateliers chinois et, chose que l’on ne cite pas souvent, l’absence de protection du marché français ou européen par le biais de taxes à l’importation.

Il faut bien se comprendre. Il ne s’agit pas d’ériger un mur étanche entre les pays mais de trouver le bon équilibre entre la nécessaire circulation des marchandises et le fait de protéger sa propre industrie et ses propres producteurs (et donc ses propres emplois). Ce «fine tuning» n’est jamais évoqué en tant que piste possible. Les défenseurs zélés du libre-échange accusent souvent les partisans du protectionnisme de vouloir revenir à une période révolue. Leurs arguments font appel au fait historique selon lequel le commerce empêche les nations de se faire la guerre. Une appréciation désormais relativisée par les historiens de la Seconde Guerre mondiale.

On sent bien que la conjoncture sanitaire oblige ces thuriféraires du libre-échange à nuancer leur propos. On commence à entendre parler de secteurs stratégiques à protéger, de rôle de l’État et même de retour à une fiscalité douanière plus appropriée. Faut-il croire à ce discours ? Certainement pas. L’ouverture des frontières -pour les produits, pas pour les individus- est le plan de bataille qui reste suivi. La preuve, crise du Covid-19 ou pas, l’Union européenne (UE) vient de signer, en toute tranquillité, un accord de libre-échange avec le Mexique.

Mise en concurrence des paysans

L’accord prévoit la levée de tous les droits de douane entre les deux parties. Autrement dit, 20.000 tonnes de viandes bovines mexicaines pourront être écoulées sur le marché qui leur était jusque-là interdit, notamment pour des raisons sanitaires. Dans le fond, cet accord contribue à renforcer une tendance des plus dévastatrices : la mise en concurrence des paysans et éleveurs, forcés de trouver les parades pour réduire leurs coûts, chose qui va souvent à l’encontre du respect de l’environnement (et de la santé du consommateur). En clair, on a beau dire et répéter que la crise sanitaire actuelle est le résultat du modèle économique ambiant (multiplication des échanges, déforestation, hausse des cultures pour le bétail, etc.), le libre-échange continue de régner dans les esprits et les pratiques.