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Sonatrach : le jeu et l'enjeu ? (1ère partie)

par Lagha Chegrouche*

Les «premières annonces» de la nouvelle direction de Sonatrach ont suscité «enthousiasme» et «scepticisme» et ce, selon les intérêts des acteurs en jeu. Un jeu qui exige une clarification de ses enjeux pour le pays et son «entreprise nourricière». Si Sonatrach est une compagnie pétrolière comme les autres sociétés nationales (NOCs) ou compagnies internationales (IOCs), à l'instar de Chevron, ENI, Total, BP, Lukoil, Aramco ou Qatar Petroleum, elle devra être traitée comme telle, sans concession aucune, d'une manière académique, loin de tout positionnement partisan ou rentier.

Une démarche de rigueur adoptée d'ailleurs par des compagnies pétrolières comme Exxon, Chevron, ENI, Total ou BP. La rentabilité d'un groupe est d'abord dictée par ses profils industriels et managériaux sur tous les segments d'activités ou les portefeuilles d'affaires et non, évaluée exclusivement en fonction de sa rente générée par une position dominante sur un gisement ou un segment d'activités d'hydrocarbures ou encore, par une hausse des prix du pétrole. Pour ces compagnies internationales (IOCs) en particulier, la variation des prix n'impactent la rentabilité de l'entreprise que par ricochet. Est-ce le cas de la compagnie algérienne pendant ces deux dernières décennies ? Non ! C'est la rente pétrolière qui maintient cette compagnie stratégique d'Algérie en survie, une perfusion qui devient syndromique (Chegrouche, «Géopolitique d'Algérie : Syndrome de la régence», 300 P.) !

Cependant, la présente contribution n'est        ni un réquisitoire contre un quelconque pouvoir politique, ni un satisfecit à l'endroit d'une gouvernance managériale de Sonatrach et encore moins, une célébration d'un illusoire succès d'une quelconque technostructure de gouvernance. Il a pour ultime finalité de clarifier le jeu et l'enjeu de la gouvernance de Sonatrach. Il tente de réfuter des «entendements», des «polémiques» par presse interposée et «experts» missionnés. Pourtant, j'étais parmi les plus critiques, avec un esprit constructif mais sans concession, vis-à-vis de la gouvernance de ce groupe pétrolier, depuis son «plan Valhyd» à ce jour (voir ma contribution, in «Révolution Africaine» 1978 ou mon ouvrage «Chroniques nord-africaines : régence et gouvernance», 2020).

Quel est l'enjeu de cette agitation autour de Sonatrach, en filigrane des«premières annonces» de sa nouvelle direction ?

Sonatrach, le jeu ?

L'enthousiasme d'un premier groupe d'acteurs (Experts, Politiques, IOCs, Partenaires internationaux) peut apparaitre légitime parce qu'ils pensent que le nouveau PDG procède d'une manière innovatrice, en rupture avec le régionalisme, le clanisme, l'esprit rentier de l'ancienne direction, une technostructure qui a réduit Sonatrach à une apparence fantomatique : «Géant en apparence, Colosse aux pieds d'argile». Aucun acteur de cette typologie n'a un intérêt de coopérer avec une entreprise «malade» de sa rente ! Donc, une compagnie qui vit sur une ponction de la rente pétrolière. Nombreuses études et expertises montrent que le principal «rentier» en Algérie est Sonatrach. Ses investissements sont même financés par l'Etat. Son ancien top-management doit rendre compte, au lieu de tergiverser par presse interposée et experts missionnés. Le poisson ne pourrit que par sa tête !

D'abord, quand un PDG prend les fonctions de direction d'une entreprise, petite ou grande, il est tenu de s'entourer de compétences de son choix et d'une gouvernance en mesure d'appliquer la politique pour laquelle il a été choisi. Dans le cas de Sonatrach depuis le retour de Chakib Khelil, de son refuge états-unien, en 1999, c'était toujours le «bricolage à la cousine». Le crédo rhétorique et bien-pensant de l'ancienne technostructure était la «continuité partenariale», la «stabilité du management», la «captation de la rente» et bien sûr la «promotion claniste». Le nouveau PDG a procédé d'une manière différente, moderne et innovatrice. Huit Vice-Présidents ont été nommés de suite. Une nouvelle direction, un top-management renouvelé, presque intégralement ! Les «déchus» sont ces rentiers, carriéristes ou clanistes. Ce sont ces cadres qui n'ont pas été reconduits ou des «affidés», allaités à la rente pétrolière à la naissance. Le changement suscite évidemment des mécontents et incitent ces «affidés» de l'ancienne direction à hurler avec les loups !

Ensuite, le nouveau PDG enchaine après ce mouvement à la tête de Sonatrach, en annonçant une décision absolument stratégique et fondatrice dans l'histoire du pays et de Sonatrach. Le 3 avril 2020, le PDG précise que «L'objectif est de reporter certains projets et de réduire les charges d'emploi de près de 30 %, pour d'atteindre l'objectif tracé à savoir 7 milliards de dollars soit l'équivalent de 50 % du budget de Sonatrach pour cette année 2020 !». C'est une décision qui propulserait Sonatrach sur une trajectoire de croissance et d'excellence, si elle est menée avec intelligence et rigueur. C'est véritablement une rupture avec la logique rentière et des «commissions tout azimut»de l'ancienne direction.

«Reporter des projets»

Différer certains projets, c'est une décision qui exige méthode et analyse critique de leur opportunité : réévaluation des frais de maturation des projets, mise à nu des «commissions» d'affaires et d'intermédiation, coûts d'études techniques et financières, frais de mission internationale. L'exemple de la raffinerie d'Alger est plus que significatif : une rénovation chaotique, une forte perturbation de l'approvisionnement de l'Algérois en carburants, une procédure d'arbitrage à l'encontre de Technip. Qui porte la responsabilité de ce fiasco, de l'échec du programme pétrochimique, de la surexploitation des gisements ? Personne ! Surtout pas l'ancienne direction et son «génie», cet ancien «auditeur» de MIT ou encore ce célèbre «expert»de la Banque Mondiale qui a fait «couler l'Argentine» : crise politique et paupérisation des populations dans les années 80 !

Reporter des projets, c'est une décision extrêmement audacieuse, permettant de repenser leur opportunité, leur rentabilité, leur trajectoire d'intégration verticale et horizontale, leur enjeu pour le pays et l'Afrique du nord (Chegrouche, «Chroniques nord-africaines : Régence et Gouvernance», 500 P). Pourquoi ne pas aller vers une dynamique de développement durable de «Pôles d'excellence»au Sahara, similaire à celle des pays du Golfe : une «Dubaï» à Hassi Messaoud, une«Doha» à Hassi R'Mel ! Des pôles d'excellence intégrant projets industriels, pétrochimiques, urbanistiques et sociétaux, à réaliser pour moins de 5 milliards de US $. Le coût de faisabilité de ces pôles d'excellence demeure encore faible, en comparaison avec l'économie escomptée par le report des projets et la réduction des charges d'emploi. Une économie souhaitée par Sonatrach de 7 milliards de US $/an. Les avantages induits d'une telle préférence sont inestimables : développement durable local, équilibre régional équitable, création de bassins d'emploi, rupture avec l'extraversion économique, rupture avec la logique de «tube digestive», économie salariale indirecte (égalité salariale, prime du sud, congé spécifique) : «Oser imiter Qatar ou Dubaï» pour créer des nouvelles «oasis» industrielles et urbanistiques.

«Réduire les charges d'emploi»

Réduire les charges d'emploi, non les salaires directs, c'est une décision salvatrice pour Sonatrach. Elle fait sortir cette compagnie algérienne de la logique rentière. Traditionnellement, la baisse des prix n'affecte que le budget de l'Etat et celui des ménages. Sonatrach est toujours à l'abri des variations des prix notamment à la baisse, insensible aux fluctuations du marché international. Parce que l'ancienne direction prélève son «revenu»à la source, par abus de position, sans se soucier des conséquences qui pourraient être dévastatrices pour le pays, comme en 1988, après le«contre-choc pétrolier». Réduire les charges d'emploi quand le prix du pétrole baisse est fondatrice d'une nouvelle doctrine économique, une doctrine d'excellence à l'honneur de cette nouvelle direction de Sonatrach. Elle participe à refonder l'entreprise sur une base managériale saine, à améliorer son efficacité technique et économique. Deux enjeux salariaux méritent d'être repensés : les charges salariales du top-management, les charges d'emploi au sud.

Les rentiers de l'ancienne direction de Sonatrach ont abusé massivement d'un bien public confié à leur management. Au lieu de servir le pays, ils se sont servis ! Ils se sont attribués des gros salaires et diverses rétributions pécuniaires ou en nature (primes, logements, voitures, carte bleue, missions à l'international, frais de bouche et de séjour, vacances et festivité, crédit à taux zéro). Le management des IOCs pourtant privés, éprouve l'envie et même l'agacement face à autant d'avantages financiers et économiques. Les comptes salariaux de ces IOCs n'ont rien à avoir avec ceux de Sonatrach. Une préférence supposée contributive à la «lutte contre la corruption», est inexplicable de point de vue de la science économique. Juste un abus de biens sociaux, un abus de position : tel «un serpent qui guette autour d'un puits» selon l'adage touareg !

Enfin, les ressources naturelles d'Algérie sont un bien inaliénable et souverain. Le pétrole ou le gaz est un bien public, celui d'une communauté nationale de destin et de droit. Cette richesse est une «malédiction» quand ça profite à une caste, une technostructure de suppléance, ces «coopérants» d'origine algérienne venus «d'ailleurs» ! Une sagesse touarègue disait : «La rivalité, la convoitise est toujours autour d'un puits».Pour les Touaregs, juste un puits d'eau. Pour l'ancien management de Sonatrach, un puits de pétrole ! Le niveau des salaires du Top-management de Sonatrach reflète cette réalité inacceptable de tout point de vue, selon nos propres études et recherches conduites depuis 20 ans, secteur par secteur, en comparaison avec les pratiques salariales et managériales dans plusieurs compagnies internationales. Une expertise corroborée par des standards techniques et économiques en vigueur dans le monde pétrolier.

A suivre...

*Dr.Chercheur en Economie & Stratégie, Université Paris I - Directeur du Centre d'Etudes Nord-Africaines (Paris) - Auteur de nombreuses publications relatives à l'économie et à la géopolitique. En 2020, il a publié deux ouvrages : «Chroniques nord-africaines : Régence et Gouvernance» (500 P), «Géopolitique d'Algérie : Syndrome de la régence» (300 P). Il s'exprime souvent dans la presse ou lors des forums sur des problématiques de Géopolitique comparée et de Relations internationales. Chroniqueur sur de nombreuses chaines de télévision internationales.