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Covid-19/Algérie : entre constat, observations et suggestions

par Zerrouk Ahmed*

Le 13/04/2020, le président de la République a affirmé que l'Algérie « maîtrise la situation » concernant la pandémie du coronavirus.

Le 14/04/2020, le ministre en charge de la santé a déclaré que « grâce à l'utilisation de la chloroquine et à la prise de conscience de la population, il y a une stabilité de la pandémie ».

Le 20/04/2020, le ministre en charge de la santé a précisé que la mortalité due au Covid-19 en Algérie était en décrue, en soulignant que 40 malades seulement étaient en phase de réanimation. S'agissant du traitement à la chloroquine, il a fait état de son efficacité, en précisant que « 4000 malades ont suivi le protocole ».

Par ailleurs, un communiqué des services du Premier ministre daté du 19/04/2020 a prévu la reconduction pour une période supplémentaire de dix (10) jours jusqu'au 29/04/2020 du dispositif actuel de confinement ainsi que pour l'ensemble des mesures préventives qui l'accompagnent.

Il est rappelé que le dispositif en vigueur concerne le confinement total pour la wilaya de Blida et le confinement partiel pour trente-huit (38) wilayas, de 19h à 7h ainsi que neuf (9) autres wilayas, en l'occurrence les wilayas de Bejaia, Tlemcen, Tizi-Ouzou, Alger, Sétif, Médéa, Oran, Tipaza et Aïn Defla, de 15h à 7h.

Depuis le 19/04/2020, le ministère en charge de la santé précise que les cas nouveaux « ont été confirmés Covid-19 biologiquement à la PCR »

Au 21/04/2020, il a été enregistré 2811 personnes infectées dont 392 sont décédés. Comme il a été, également, souligné que 4527 personnes sont sous traitement, sans aucune autre précision.

Ce constat et ces décisions des pouvoirs publics impliquent quelques observations :

1-Aucun vaccin, aucun traitement (médicament) n'a été découvert pour lutter contre le Covid-19. Ce pourquoi, aucun Etat ne peut maîtriser cette situation sanitaire alarmante.

2-Seules les mesures de distanciation sociale et les règles de protection individuelle sont à même de diminuer la propagation de ce virus.

3-Pour assurer une « maîtrise » du Covid-19, il faut réduire la vitesse de propagation du virus, à défaut d'un médicament ou vaccin.

4-Il est trop tôt de parler de décrue de la mortalité. Le nombre de morts fluctue sans qu'on puisse connaître les causes exactes. Pour cerner une baisse de la mortalité due au Covid-19, une certaine stabilité dans la baisse du nombre de morts est requise.

5-Corrélativement à l'observation suscitée, le nombre de personnes infectées par jour n'a pas connu une tendance à la baisse. Qu'on en juge, sur une semaine, soit du 15 au 21/04/2020, le nombre des personnes infectées est ainsi qu'il suit :

- Le 15/04/2020 : 90 personnes infectées,

- Le 16/04/2020 : 108 personnes infectées,

- Le 17/04/2020 : 150 personnes infectées,

- Le 18/04/2020 : 116 personnes infectées,

- Le 19/04/2020 : 95 personnes infectées,

- Le 20/04/2020 : 89 personnes infectées,

- Le 21/04/2020 : 93 personnes infectées.

6-Le test biologique PCR (Polymerase Chain Reaction ? réaction en chaîne polymérase), repose sur l'analyse génétique et se base sur le génome du virus. Ce test ne réagit que si la personne testée est déjà malade et dans les premiers jours du symptôme. Selon plusieurs études, les cas de faux négatifs pourraient représenter 30% des patients testés. Il se pratique par un écouvillon (un sorte de grand coton-tige) que l'on enfonce dans le nez du patient pour y prélever de l'ADN ou dans la bouche jusqu'à l'arrière-gorge.

7-Les 4527 personnes sous traitement ont-elles été diagnostiquées comme étant contaminées au Covid-19 ? Sont-elles des patients positifs au Covid-19 ? Le ministre en charge de la santé, dans une interview au quotidien El-Watan, dans sa livraison du 19/04/2020, a déclaré sur cet écart significatif entre le nombre de personnes sous traitement à la chloroquine et le nombre des personnes infectées, ce qui suit : « dès lors qu'un patient arrive même sans signes cliniques et s'il a été en contact avec un Covid-19, on fait un scanner car devant une forte présomption au Covid-19, on fait une imagerie à défaut de test. On préfère démarrer le traitement (à la chloroquine) que de laisser évoluer vers une forme plus grave, même si l'on a pas de certitude de la contamination? c'est pourquoi les cas diagnostiqués au scanner, qui n'est pas affirmatif, sont mis à part et ne peuvent être cumulés avec ceux diagnostiqués à la PCR, qui est l'examen le plus sûr ».

Cette réponse pose un réel problème d'éthique. En effet, comment peut-on soumettre 4527 personnes, le nombre arrêté au 21/04/2020, au protocole du traitement à chloroquine, alors qu'on n'est pas sûr de leur contamination au Covid-19.

Et ce d'autant plus que la revue indépendante Prescrire, dont les travaux font référence depuis de nombreuses années en matière d'analyse de l'efficacité du médicament, a estimé que le traitement à la chloroquine augmente le risque d'effets indésirables cardiaques graves.

En outre, comment peut-on s'autoriser à soumettre une personne dont on n'a pas la certitude qu'elle est contaminée au Covid-19 au protocole du traitement à la chloroquine. La solution, c'est de demander à cette personne de rester confinée chez elle, sans aucun contact avec les membres de sa famille, durant quatorze (14) jours, la période d'incubation du virus, et dès l'apparition des symptômes d'essoufflement ou de difficultés respiratoires de la prendre en charge médicalement.

Traiter par le recours au protocole du traitement avec la chloroquine des personnes dont le médecin n'a pas la certitude de leur contamination par le Covid-19, c'est faire subir à ces personnes des effets indésirables, dont ceux liés à des troubles cardiaques, nonobstant les maladies nosocomiales.

Deux questions se posent : pourquoi ne pas compléter le dépistage de ces personnes par un prélèvement sanguin ou de les soumettre au test biologique pour avoir la certitude qu'elles sont positives au Covid-19 ? Est-ce un problème de disponibilité en quantité suffisante des kits de dépistage et des réactifs y afférents ?

8-Sur les 4527 personnes sous traitement à la chloroquine associée à un autre produit, combien sont-elles décédées ? Quelles en sont les causes ? Est-ce le Covid-19 ou les effets indésirables du traitement ? Nombreuses sont les questions sur ce sujet, du fait qu'on fait subir un traitement à la chloroquine sur une suspicion de contamination au Covid-19. C'est aléatoire et problématique.

De plus, comme l'ont précisé plusieurs études, « les prescriptions de ces produits et la prise en charge des patients doivent se faire en milieu hospitalier », du fait des effets secondaires que peuvent engendrer la prise de ce protocole (troubles cardiovasculaires, nausées, vomissements et des signes neurosensoriels). En outre, un EGG avant et pendant le traitement est fortement conseillé. Par conséquent, est-ce que tous ces patients sont hospitalisés ou sont-ils rentrés chez eux ? Et, comment le suivi est-il assuré ?

9-La décision prise de confinement partiel à domicile pour neuf (9) wilayas de 15h à 7h a eu comme conséquence directe et visible une affluence des citoyens entre midi et 15h dans les commerces et un embouteillage de la circulation routière. Cette situation a conduit à une promiscuité des citoyens, sans aucun respect de la distance de sécurité individuelle d'au moins un (01) mètre.

10-Le discours officiel de maîtrise de la pandémie du Covid-19 en Algérie a eu comme effet un relâchement de la vigilance et de la discipline des citoyens quant à l'observance de mesures de distanciation sociale considérant que les pouvoirs publics assurent un réel contrôle de la propagation du virus.

11-Les citoyens constituent des groupes et discutent entre eux sans aucun respect de la mesure de distance de sécurité d'au moins un (1) mètre. Certains continuent, également, à se serrer la main et à se donner l'accolade.

12-Certains conducteurs ont à bord de leur véhicule trois (3) ou quatre (4) passagers, sans porter un masque de protection/bavette.

13-Les conducteurs de motos continuent à être accompagnés par un passager et ignorent superbement la mesure de prévention obligatoire de respect d'une distance de sécurité d'au moins un (1) mètre entre deux personnes (article 13 du décret exécutif 20-70 du 24 mars 2020 fixant des mesures complémentaires de prévention et de lutte contre la propagation du Covid-19).

14-Les marchés et supermarchés ne respectent pas les précautions sanitaires, puisque les clients n'ont pas l'obligation du port du masque, ni des gants, ni même des entrées et sorties alternées, voire la mise à disposition du gel hydroalcoolique, avant et à la sortie de ces espaces. Or, il est établi que le virus se transmet par le contact, sur les objets et les surfaces, ce qui implique un risque potentiellement élevé de contamination.

15-Dans ce cadre, il est à relever la déclaration faite le 13/04/2020 par le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé qu'il faudra un vaccin pour interrompre totalement la transmission du coronavirus. Il a ajouté dans son allocution liminaire, lors du point de presse sur le Covid-19 le 15/04/2020, que « trois vaccins en sont d'ores et déjà au stade des essais cliniques et plus de 70 autres sont en développement ». La mise sur le marché d'un vaccin nécessite, au minimum, une année. Seul un médicament peut contrer ce virus avant ce délai. Mais, à l'heure actuelle, aucun médicament n'a été découvert pour lutter efficacement contre le Covid-19.

16-Les mesures de distanciation sociale destinées à prévenir et à lutter contre la propagation du Covid-19 qui visent à diminuer, à titre exceptionnel, les contacts physiques entre les citoyens dans les espaces publics et sur les lieux de travail sont applicables à l'ensemble du territoire national pour une période de quatorze (14) jours (articles 1 et 2 du décret exécutif 20-69 du 21 mars 2020 relatif aux mesures de prévention et de lutte contre la propagation du Covid-19- in Journal Officiel 15 du 21 mars 2020). Question : pourquoi les pouvoirs publics décident de telles mesures pour une période de dix (10) jours et procèdent au renouvellement desdites mesures pour la même durée, en contradiction flagrante avec la période de 14 jours fixée par le décret exécutif suscité?

De ce qui précède, quelques suggestions s'imposent. Elles sont ainsi qu'il suit :

- Le confinement partiel à domicile pour les 46 wilayas, à l'exception de la wilaya de Blida, devrait débuter à 19h et prendre fin le lendemain à 7h. Cette décision aurait pour effet de ne plus concentrer l'affluence des citoyens durant trois (3) heures, de 12h à 15h, dans les commerces et autres lieux publics, comme c'est les cas des neuf (9) wilayas concernées par le confinement partiel à domicile de 15h à 7h.

Une pareille décision aurait comme conséquence d'atténuer les tensions, pour différentes causes, surtout durant le mois sacré de Ramadhan au cours duquel, il est généralement constaté un état d'énervement ambiant, les nerfs sont à fleur de peau et une irritabilité inhabituelle.

- Les commerces et les marchés devraient fermer à 18h pour permettre aux citoyens de rejoindre leur domicile une heure avant le début, à 19h, du confinement partiel à domicile, et éviter en conséquence la vitesse sur les routes et ses répercussions en perte de vies humaines et d'accidents matériels.

- Le fait d'étendre la durée de la circulation des personnes de 7h à 19h devrait avoir des répercussions positives et éviter dans de grandes proportions les tensions au sein des familles, notamment les violences conjugales ainsi que les incivilités et les actes de violence entre citoyens. Comme il aurait comme conséquence de réduire les incidents avec les services de sécurité.

- Etendre le dépistage du Covid-19 par le recours au dépistage biologique PCR et à la prise de sang.

- Le protocole de traitement à la chloroquine ne devrait être dispensé qu'aux cas reconnus positifs au Covid-19.

- Généraliser le port du masque/bavette, ce qui implique une disponibilité permanente de cet équipement dans les pharmacies et autres lieux de vente.

- Assurer la mise à disposition, à titre gracieux, du masque/bavette, en quantité suffisante, aux familles nécessiteuses et celles qui habitent dans des lieux difficiles d'accès.

Je terminerais sur cette phrase du Directeur général de l'Organisation mondiale de la santé : « Sans l'unité nationale et la solidarité mondiale, croyez-moi, le pire est encore devant nous. Empêchons cette tragédie », phrase extraite de son appel vidéo du 22/04/2020.

Enfin, je prie Allah le Tout-Puissant de nous accorder Sa Miséricorde, et que les relations entre les citoyens, en ce mois sacré de piété et de prière, soient empreintes de fraternité, d'amour de l'autre, de tolérance, d'ouverture d'esprit, de droiture, d'entraide sociale et de solidarité accompagnées d'un strict respect des mesures de distanciation sociale et des règles de protection individuelle.

*Colonel à la retraite, ex-cadre/MDN.