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Du pétrole pour moins que rien...

par Akram Belkaïd, Paris

C’est du jamais vu ! Lundi, en fin de séance, à New-York, le baril de pétrole, référence West Texas Intermediate (WTI) cotait au-dessous de zéro dollar. Un prix négatif pour l’or noir - certains contrats valant moins trente-sept dollars (- 37 dollars), ce qui signifie que le «vendeur» donne 37 dollars à l’ «acheteur» pour qu’il lui prenne sa marchandise. Payer pour trouver preneur de ses barils, la situation est à l’aune du désordre mondial sur les marchés en raison de la pandémie de Covid-19 mais pas seulement. Notons, aussi au passage, que la référence du Brent mer du Nord n’est pas mieux lotie. Certes, cette catégorie (qui influence directement les prix de vente du pétrole algérien) demeure dans le positif mais elle passe à moins de 30 dollars, ayant donc perdu 40 (!) dollars en moins de 4 mois ! Signalons aussi que les cours du WTI se reprenaient dès le lendemain, touchant les 20 dollars, ce qui confirmait une chose : la volatilité règne désormais sur ce marché.
 
Abondance d’or noir et contrats futurs
 
On connaît les raisons de cette débâcle. La bagarre des prix entre l’Arabie saoudite et la Russie a provoqué une surabondance de l’offre sur le marché. Certes, Saoudiens et Russes ont gagné une partie non négligeable, à savoir faire la peau aux compagnies américaines, essentiellement texanes, de pétrole de schiste. Une attaque qui aura des conséquences à long terme puisque les Etats-Unis risquent fort de perdre leur rang de premier producteur mondial de brut (12 millions de barils par jour) acquis de haute lutte, en 2018. Plus important encore, dès l’année prochaine, ce pays pourrait même redevenir importateur net d’or noir si les faillites des compagnies texanes se poursuivent au même rythme. Sur le plan géopolitique, cela veut dire que l’Amérique sera de nouveau exposée aux risques liés au Proche-Orient ce qui remettrait en cause toute la stratégie de désengagement suivie par Donald Trump.

Un autre facteur, plus technique, explique la débandade de lundi, à New York. En règle générale, les marchés à terme fonctionnent rarement sur une livraison effective de pétrole. Le détenteur d’un contrat «futur» déboucle sa position en encaissant, ou en payant, le différentiel entre le prix libellé par le contrat et celui indiqué par les cours. C’est ainsi que le marché pétrolier traite parfois jusqu’à 10 fois les quantités réelles de pétrole disponible. Cette fois, des détenteurs de contrats de livraison à terme, arrivés à échéance cette semaine, n’ont pas trouvé preneurs pour le «pétrole papier» ce qui les a rendus tributaires d’une livraison physique. Or, «big problem», il n’y a plus d’endroits (bon marché) pour stocker le brut. Aux Etats-Unis, on estime que de 70% à 80% des capacités de stockages sont déjà mobilisées. Les contenances qui restent disponibles sont souvent hors de prix. Résultat, les détenteurs de quantités de brut étaient prêts à s’en défaire quitte à payer pour. Cela fait des années que des experts critiquent la financiarisation du marché pétrolier et la transformation du brut en produit de spéculation : ce qui est arrivé lundi leur donne raison mais il n’est pas sûr que la leçon soit tirée.

Course contre la montre

Comment les choses vont-elles évoluer. D’un côté, il y a la surabondance de l’offre dans une conjoncture marquée par les effets dévastateurs de la pandémie de Covid-19 (économies à l’arrêt, avions à terre, chute de la consommation d’essence, ménages qui dépensent peu, etc). De l’autre, il a les espoirs que les déconfinements qui s’engagent vont relancer, peu à peu, l’économie. A cela s’ajoute que l’accord de réduction de la production entre l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et d’autres producteurs dont la Russie entrera en vigueur au mois de mai. Quelle tendance fera basculer le marché ? On n’en sait rien. Une course contre la montre est engagée et il est fort possible que la volatilité s’installe de manière durable, le yoyo des prix devenant une habitude plutôt qu’une exception.