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Après le coronavirus une autre Algérie est possible et ce n'est pas une utopie*

par Mohammed-Brahim Farouk**

Depuis le début de l'épidémie de coronavirus en Chine, et devenant en mars 2020 une pandémie mondiale, le monde a enregistré plus de 70 000 morts avec une récession économique qui pointe du nez et qui intéressera l'ensemble des pays, même les plus riches.

Le survol par des caméras des sites les plus visités dans le monde où l'on ne voit âme qui vive comme la place Saint Marc à Venise, la place de l'étoile et les Champs-Élysées à Paris, la plage de Copacabana au Brésil, ou pour les musulmans la mosquée al Haram et la Kaaba donne l'image d'un film de science-fiction relatant la fin du monde.

Jacques Attali écrit : «aujourd'hui rien n'est plus urgent que de maîtriser les deux tsunami, sanitaires et économiques qui s'abattent sur le monde. Il n'est pas assuré qu'on y parvienne...si on échoue des années sombres nous attendent et il rappelle que chaque épidémie majeure depuis 1000 ans a conduit à des changements essentiels dans l'organisation politiques des nations et dans la culture qui sous-tendait cette organisation.»

Cette pandémie dont l'on est loin de sa fin, même si certains signes de son recul sont sensiblement visibles dans certains pays durement touchés comme la Chine,l'Italie, ou encore l'Iran, rien nevient scientifiquement exclure un autre pic à venir.

Dans cette contribution je ne veux pas aborder des problèmes économiques et sociaux induits par cette pandémie n'étant pas dans mes compétences, mais je souhaite aborder la situation des systèmes de santé de par le monde, lesquels sont dépassés par le nombre de victimes mettant à nu ainsi les défaillances de ces systèmes.

Devant cette guerre mondiale que livre le monde contre le coronavirus la solidarité entre états, même les plus proches idéologiquement fait nettement défaut.L'exemple le plus concret est l'histoire du manque de masques. Devant ce manque on assiste à une véritable «foire d'empoigne» à la porte de la Chine laquelle n'honore pas les pays se réclamant de la démocratie et des droits de l'homme.(Surenchère des prix, même sur les tarmacs des aéroports, détournement de stocks par les USA, ajoutant à cela les certitudes sur leur qualité et les problèmes de logistiques pour leur acheminement à temps). Selon l'hebdomadaire le canard enchaîné du premier avril,l'Espagne s'est vu livrer des tests bidons !Cependant signalons quand même l'aide de la Russie à l'Italie et celle de Cuba à ce même pays puis aux départements français d'outre-mer.Cette petite île de 11 000 000 d'habitants a fait preuve de la performance de son système de santé, qui malgré plus de 60 années d'embargo est à même avec ses 150 hôpitaux, ses 95 000 médecins et 85 000 paramédicaux d' endiguer efficacement la pandémie.

Aux Etats Unis où l'épidémie viens de les frapper de plein fouet et avec célérité a ébranlé les certitudes de Donald Trump comptabilisant près de 10 000 morts.

L'américain Douglas Kennedy, auteur du livre «à la poursuite du bonheur», dans une tribune au journal Le Monde le premier avril écrit : «cette crise mondiale à révélé l'impréparation totale du gouvernement fédéral américain à aider les citoyens à survivre.

Viendra la dévastation personnelle .Aux États-Unis il ne reste plus rien du filet de protection sociale après des décennies de coupes et où l'Obamacare bien qu'essentiel, était un système de santé national largement inadéquat.Le cauchemar qui atteint des milliers de personnes sera terrible». Pour illustrer ce cauchemar en plus du nombre de morts les Etats Unis ont enregistré en 2 semaines 6 600 000 de chômeurs en plus. Le système de santé français réputé comme l'un des meilleurs du monde tant au plan prise en charge des patients, qu'aux plans en organisationnel et social, devant cette crise sanitaire ont été mises à jour toutes ses insuffisances.Pourtant les professionnels de santé toutes catégories confondues n'ont jamais cessé de tirer la sonnette d'alarme à la face des pouvoirs tant de droite que de gauche, qui sont restés muets ou se sont contenté de replâtrage.Devant les déficits budgétaires des hôpitaux en 2005 a été introduite la réforme dite T2A ou«tarification à l'acte» et ce après «le prix de la journée» de 1945 à 1981, puis le «budget global» de 1982 à 2004, inspiré du «New public management» ou« nouvelle gestion publique» entrée déjà en vigueur quelques années auparavant aux États-Unis.

Après la diminution de lits de malades par la fermeture de maternités, de certains services dans les hôpitaux régionaux et la diminution des personnels paramédicaux et le numerus clausus pour les études médicales, des promesses du candidat macron ont été faites mais passées aux oubliettes dès son élection.Le système français a commencéà s'essouffler.

Devant cette crise sanitaire, le président Macron reconnaît les effets positifs de l'état-providence.

Le 25/4/2018 dans «le Journal du dimanche» le docteur Patrick Bouet, président du conseil national de l'ordre des médecins demande une réforme globale du système de santé lequel est jugé à bout de souffle.Nous sommes arrivés en fin de cycle. Il y-a urgence à tout repenser de fond en comble.Il ajoute que si la machine continue de tourner c'est grâce à l'engagement des aides-soignantes, des infirmiers, des kinés, des médecins, des étudiants,libéraux ou salariés du public ou du privé.C'est miraculeux qu'ils continuent de croire en leur mission.

Cette déclaration est prémonitoire, car deux ans après, cet engagement se concrétise sur le terrain pendant cette urgence sanitaire.Une année après cette déclaration Madame Agnès Buzyn (ancienne ministre de la santé) remet encause la réforme des T2A dont selon elle les effets pervers de cette réforme surpassent les avantages.Nous sommes arrivés au bout d'un système ajoute-t-elle.

Mais il faut reconnaître que s'il est urgent de repenser tout le système de santé français, celui-ci ne s'est pas encore effondré.Vu des États-Unis par le professeur Romain Perracchio chef de service de réanimation à l'hôpital de San Francisco, déclare dans lemonde.fr du 05/04/20 «le système français est capable d'une plasticité assez extraordinaire dans les moments de crise à l'échelle des établissements de santé, à l'échelle de la réponse sanitaire globale, la France a cette capacité de se mettre en ordre de marche très rapidement et de manière très centralisée, ce qui permet de réorganiser très vite les structures en fonction des besoins». Le corona est une pandémie mondiale impliquant une urgence sanitaire mondiale contre laquelle chaque état lutte en tenant compte de ses capacités humaines, matérielles et financières,et parfois demandant selon la situation une éventuelle aide étrangère.

J'ai tenu avant d'aborder le cas de l'Algérie de citer les difficultés rencontrées et les réponses apportées par deux puissances économiques.

Depuis la survenue de la pandémie en Algérie, je suis étonné par les déclarations de certains professionnels de la santé qui semblent découvrir à cette occasion les défaillances de notre système de santé et sa déstructuration. Je souhaite par cette contribution rafraîchir les mémoires quant au début de la dégringolade de notre système de santé et d'appeler à se projeter dans l'avenir.

Les deux premières décennies post indépendance et surtout les années 70 peuvent être qualifiés de l'âge d'or du système de santé. Grâce à la loi sur la médecine gratuite, simultanément sera instituée la démocratisation de l'enseignement. Cesdeux décisions vont se dérouler dans un contexte de recouvrement du droit du pétrole, une croissance économique élevée et la distribution équilibrée des richesses en termes de revenu aux différentes couches de la population, parallèlement des progrès importants ont été enregistrés au niveau de l'emploi et des revenus, de l'éducation et la formation, des logements et des commodités : eau, électricité, gaz, voieries...

Les résultats de cette double décision, gratuité des soins et démocratisation de l'enseignement vont très vite être palpables.

Malheureusement à la fin des années quatre-vingt le système de santé est en crise. Il est soumis par les Algériens à de sévères critiques

- L'incapacité à les prendre en charge quand ils sont malades

- La qualité des prestations faibli à tous les niveaux

- Exclut de plus en plus les citoyens à faible revenu et même ceux à revenu moyen.

Comment le système national de santé qui se plaçait dans le peloton de tête des pays en voie de développement avec ses atouts et ses potentialités au lieu d'aller en s'améliorant est entré en crise ?

Les tentatives d'explication de cette dégradation du système de santé par la médecine gratuite, par l'économie de marché, par les injonctions des organismes financiers internationaux ou par le manque de ressources financières,ont conduit à un certain fatalisme induisant une inertie, empêchant ainsi un débat sur le système national de santé basé sur les réalités d'aujourd'hui et structurant sa transformation dans une perspective débattue claire et transparente.

Pourtant ce ne sont pas les états d'alerte qui ont manqué, provenant de la société civile mais aussi du ministère de la santé dès janvier 1990.Un rapport général sur l'organisation de la santé fait par une commission intersectorielle sous l'égide du ministère de la santé a énoncé «les insuffisances de la politique du système de santé basé sur des objectifs précis à atteindre.Cet état de fait à abouti à la désarticulation de ses principales composantes.»

10 ans après, soit en mai 2001 dans un rapport émanant du ministère de la santé intitulé «développement du système national de santé stratégie et perspectives» a énoncé «la situation actuelle est caractérisée par une accumulation de problèmes évoluant depuis la fin des années quatre-vingts et conduisant à une destruction progressive du système de santé et ceci bien qu'un processus d'adaptation à l'évolution socio-économique a été entamé et des réformes dans le cadre de la santé ont été initiées.»

En ce début des années 2000 les citoyens, l'ensemble des acteurs de la santé et les pouvoirs publics sont conscients de l'impérieuse nécessité d'agir pour améliorer le système de santé.Ainsi le gouvernement a inscrit dans son programme comme priorité la réforme hospitalière, renonçant de fait à une réforme profonde du système de santé.il est énoncé dans son programme, apporter les correctifs indispensables pour une réelle adaptation des structures de santé au changement socio-économique ainsi qu'à l'évolution épidémiologique.«C'est dans la réforme des structures publiques de santé que réside le nœud gordien de l'amélioration du système national de santé.»Décision louable, pour la réalisation de laquelle est installée une commission nationale de la réforme hospitalière sous la direction du ministre de la santé de l'époque, le professeur Aberkane et présidée par le professeur Zitouni, ancien ministre de la santé et actuel coordonnateur du plan national de lutte contre le cancer.

Cette commission mettra en exergue l'ensemble des dysfonctionnements et fera pour chaque dossier des propositions pertinentes et urgentes en énonçant à chaque fois les avantages et les inconvénients. Dans son rapport final la commission énonce que «la réforme hospitalière doit s'inscrire dans le cadre d'une politique globale de santé» et d'ajouter,«les capacités du secteur de santé de la population s'améliore à condition que les contraintes externes soient levées.» et l'important est dit dans la phrase qui termine le rapport, «à la condition que la volonté politique soit au rendez-vous». Malheureusement les recommandations de cette commission resteront à ce jour lettre morte.

Il faut souligner et rendre hommage à toutes les catégories des personnels de santé qui malgré les dysfonctionnements et les carences du système sont restés ces 20 dernières années mobilisées et faisant preuve d'un engagement total tant dans leurs fonctions quotidiennes que dans leurs mouvements de revendications (n'oublions pas la grève des résidents) pour l'amélioration du système de santé.Aujourd'hui devant cette crise sanitaire et malgré les risques,ils font preuve d'un engagement encore plus grand.

Ces 20 dernières années jamais le problè-me de fond de la refonte du système de santé n'a été effleuré par les responsables politiques.L'aisance financière des années 2000 du pays a permis d'acheter à tout va, des équipements et particulièrement des appareils de radiothérapie indispensables, mais l'impression qui se dégage était celle d'une «fièvre acheteuse» sans stratégie aucune et ce doublée d'une démagogie éhontée et qui a fait dire à un ministre de la santé à l'ENTV que nos hôpitaux étaient meilleurs que ceux suédois !

Cette crise et urgence sanitaire que notre pays partage avec le monde,et que les médecins, les paramédicaux affrontent avec courage et abnégation et compétence avec une solidarité sans faille de toute la population serait, je l'espère, le point de départ d'une réflexion profonde sur la refonte du système de santé.

La santé est un facteur de cohésion de la société favorisant la paix sociale. C'est pourquoi les sociétés modernes d'aujourd'hui rangent la santé parmi les quatre valeurs majeures qui les fondent avec l'emploi, la sécurité et le développement durable.Ainsi on ne peut faire l'économie d'un débat national. L'organisation d'un débat véritable suppose le développement d'une démocratie sanitaire réelle ouvert aux usagers, au mouvement associatif, aux professionnels du secteur public et privé et aux organismes en charge de l'assurance maladie.Toutefois il est important de souligner que ce débat comme tout autre, ne peut réussir que s'il y a une démocratisation de la vie politique c'est à dire une transformation en profondeurdu système politique actuel. C'est par les débats démocratiques qu'avancent les nations modernes.

Kako Nubukpa, Économiste togolais écrivait le 4/4/2020 dans le journal Le Monde«j'appelle toutes les bonnes volontés, les forces vives de nos pays à rejoindre le débat, nous éclairer de leurs réflexions, de leurs talents, de leurs propositions, il nous faut fixer un cap.Une autre Afrique est possible et ce n'est pas une utopie. L'Histoire nous jugera.

En conclusion c'est ce même appel que je souhaite transmettre aux Algériennes et aux Algériens, cela est d'autant plus possible que depuis l'émergence de la «révolution du sourire», laquelle vise pacifiquement à aller vers une nouvelle Algérie, une Algérie démocratique et sociale.

Tant qu'il y a des femmes et des hommes de bonne volonté l'espoir demeure.Comme le disait le poète turc Nazim Hikmet : «l'espoir est en l'Homme».

*Ce titre est tiré de l'écrit de l'économiste togolais Kako Nubukpa. Afrique a été remplacée par Algérie.

**Professeur. Chef de service au CHUO en retraite.