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La psychologique du confinement en situation d'épidémie

par Mourad Bouziane*

L'épidémie que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Covid-19, communément désignée par coronavirus, suscite des réactions psychologiques et émotionnelles chez les individus qui cherchent à trouver des «stratégies d'ajustement» face à cette nouvelle menace.

Polyforme, cette menace, s'articulant sur différentes sphères, touche la perception qu'on peut avoir sur notre santé, sur celle de nos proches et également sur notre propre parcours de vie. On est donc face à une question sanitaire qui suscite des interrogations sur les plans en relation avec la logistique familiale, des questions d'ordre émotionnel mais également existentiel. Ainsi, je me permettrai ici de sortir de la doxa de la rédaction scientifique telle que nous l'exerçons habituellement en sciences sociales afin de proposer une lecture de vulgarisation tout en interrogeant une littérature spécialisée permettant l'ouverture de perspectives pour les personnes souhaitant mieux investir le sujet.

Ainsi, les questions coutumières ou existentielles se répandent à tous les niveaux, tant sur le plan personnel que sur le plan social et institutionnel. Les pouvoirs publics et les états-majors des pays touchés sévèrement par le Covid-19, à l'instar de la Chine, de l'Italie, de la France, de l'Espagne, de la Belgique, de l'Argentine et d'autres pays ont instauré respectivement une politique de confinement afin d'agir sur la propagation du virus. Ce confinement, qui est connu d'ailleurs et transcrit dans nos récits anthropologiques et religieux depuis des lustres, démontre une certaine sagesse que nos aïeux avaient face à la gestion de telles crises.

L'épidémie vient intervenir sur notre quotidien et altère une certaine «continuité de vie». Il s'agit d'un état de fait, d'une situation non coutumière qui se caractérise sur le plan socio-cognitif par :

- Une situation de menace.

- Une situation qui génère des réactions émotionnelles telles que la peur, l'angoisse, le stress, différentes formes de phobies, suspicion vis-à-vis de l'autre.

- Perspective temporelle rompue, (appelée aussi horizon temporel (Fraisse, 1967) : l'individu ne peut s'inscrire dans le temps, ce qui entraine des situations paradoxales caractérisées par la confusion cognitive liées aux projections futures.

- Mutation de la représentation de la normalité.

- Altération des rituels sociaux : Ce qui faisait de nous des individus sociaux sera altéré, car nos rituels cesseront d'être pratiqués normalement : (prière à la mosquée, rencontre entre amis, mariage, rituel du deuil, etc.).

- Différentes stratégies d'ajustement face au stress sont activées (Déni, généralisation, identification, repli, racisme envers les migrants, etc.)

- Syndromes post-traumatiques pour les personnes les plus vulnérables.

Le confinement «avec consentement», quant à lui, a été étudié par les psychologues et autres spécialistes à multiples reprises, notamment chez les astronautes préparant des expéditions hors orbite. Sur le plan expérimental, nous avons donc quelques repères et des retours d'expériences à ce sujet. Nous pourrons citer ici à titre d'illustration deux études :

n L'étude : «ISEMSI» (Isolation Study for European Manned Space Infrastructures) réalisée en 1990, et qui proposait un confinement de 28 jours d'un équipage dont les membres étaient de la même nationalité.

n L'étude :«Mars-5OO», réalisée en 2011 et en 2012 dans laquelle un équipage a été confiné pendant 520 jours.

Les grilles d'analyses développées à l'issue de ces expériences révèlent, entre autres : une diminution de la rapidité et de l'acuité de la mémoire, diminution de l'attention, augmentation du temps nécessaire à la prise de décision, augmentation des erreurs, colère, anxiété, fatigue ainsi qu'une perturbation du système psychophysiologique a été observée. En outre, ces expériences ont fait état de formes diverses d'interactions qui varient entre «collaboration» et «tension». (Devost, 2015)

Ces perturbations psycho cognitives liées au confinement peuvent engendrer des phénomènes nouveaux au sein des familles. Ainsi, la promiscuité nouvelle, la confusion des rôles, l'occupation des espaces habituellement attribués à autrui en journée ou encore la monotonie, peuvent altérer sérieusement les relations sociales. Il est donc salutaire de faire appel à une certaine «intelligence collective» permettant de mieux comprendre les enjeux du confinement et de pouvoir hisser sa conscience à un niveau «méta» afin de pouvoir le gérer et ne pas le subir.

Il est donc important de pouvoir procéder à réinventer une nouvelle «perception de l'état du monde» et agir en sorte. Le confinement nécessitera ainsi de nouvelles attitudes à trouver, des comportements à ajuster et une conscience nouvelle à faire émerger. On pourra proposer quelques comportements à privilégier afin de garantir un vivre ensemble optimum dans une configuration qui reste non conventionnelle. On proposera ici quelques pratiques à privilégier en situation de confinement :

a) Varier les activités à domicile en alternant sciemment des activités de groupe, des activités individuelles, mentales et manuelles. Cela permet d'activer le lien social pour mieux apprécier par la suite les retranchements sur soi ainsi que l'activation des sensations kinésiques et les sensations réflexives.

b) Changer de tenue vestimentaire (si c'est possible) : ne pas rester avec le même habit toute la journée. Ce changement permet de travailler l'estime de soi et l'amour propre. Il s'agit d'une forme d'actualisation de sa relation avec soi en temps de confinement.

c) Prendre conscience de la situation éphémère du confinement : Cela permet de mieux comprendre les éventuels «manquements» de l'autre et de le rassurer. La situation de confinement crée des biais comportementaux et nous sommes là pour aider l'autre à accepter cette nouvelle situation.

d) Mieux gérer l'espace : Nos habitudes changent et notre façon d'occuper les espaces de la maison va se modifier. Nous ne pouvons pas ainsi nous accaparer, que pour nous seuls, un lieu de repos par exemple sans laisser l'autre en profiter. Il s'agira de savoir se positionner en temps et en espace.

e) La relation de couple modifiée : Il s'agira de ne pas privilégier la phraséologie culpabilisatrice, du genre : ?'Tu ne sais pas faire ..., c'est à moi de le faire d'habitude, ou encore, ... tu es incapable, etc.'' En effet, en situation de stress nous avons tendance à vouloir nous débarrasser des situations d'angoisse en rejetant la «faute» sur l'autre. Que chacun comprenne que ce confinement est brutal, et nous nous sentons tous démunis devant l'immensité de la chose. Il y a lieu de trouver un terrain afin de mieux se respecter et de mieux vivre ensemble. On est tous vulnérables.

f) Continuer à assurer les missions stratégiques : l'éducation des enfants en temps de confinement doit continuer afin de donner un sens à l'effort habituellement consenti par les enfants à l'école. « L'Apprenance » prend ici tout son sens. Continuer à apprendre permet d'activer les zones des neurones (dentrides, terminaisons synaptiques, l'axone central) et ainsi agir sur sa santé mentale d'une façon positive. En effet, les sciences cognitives nous font savoir que chaque fois que notre cerveau «apprend», une réorganisation complexe est opérée dans les réseaux de neurones et des connections se renforcent. Nous faisons ainsi vivre activement notre organisme.

g) Rester en contact par téléphone, réseaux sociaux et autres modalités de communication avec amis et proches : Il est nécessaire de comprendre que garantir le lien social est nécessaire afin de promouvoir une notion proche de ce qu'on peut appeler «une communauté de destin». Cette dernière peut contribuer au renforcement d'une «immunité sociale» face à l'épidémie.

h) Vivre pleinement le «ici et maintenant».

i) Promouvoir les forces de caractère. Il s'agit d'un point sensible et très important. En effet, (l'empathie, donner son pardon, aimer l'autre, la gentillesse, la bienveillance, l'humilité, etc.) est salutaire pour notre santé mentale. Des études menées en psychologie positive et en psychologie physiologique ont démontré l'importance d'avoir des attitudes positives vis-à-vis de son prochain. Le don de soi est ainsi salvateur pour notre propre santé mentale et notamment en période de confinement. On relatera ici les travaux réalisés (Bonhomme, 2016) en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle avançant la participation du tronc cérébral, de l'amygdale, de l'insula et du cortex orbitofrontal dans la perception des états émotionnels des autres. L'empathie active un réseau complexe de régions sous-corticales et corticales distribuées et connectées de manière récurrente qui comprend le tronc cérébral, l'amygdale, l'hypothalamus, le striatum, l'insula, le cortex cingulaire antérieur et le cortex orbitofrontal. Elle engage aussi le système nerveux autonome (branche parasympathique et sympathique qui régulent et coordonnent des états internes) et le système neuroendocrinien (en particulier l'ocytocine) impliqués dans les comportements sociaux et les états émotionnels. Ainsi, «l'exercice» de l'empathie et la motivation du souci de l'autre émerge de l'interaction de plusieurs régions cérébrales en conjonction avec le système nerveux autonome et le système neuroendocrinien.

Enfin, je souhaiterai ici terminer par une note de bon sens. Nous avons dans notre patrimoine culturel et spirituel de riches opportunités de pratiques et de consciences qu'il va falloir retrouver. Notre mémoire collective recèle de connaissances inouïes sur des pratiques qui peuvent nous «correspondre» et nous «comprendre», je voudrais ainsi partager avec vous pour la fin de ce papier les paroles d'Ibn' Ata' Allah : «...Les feux du Dhikr ne s'éteignent pas, et ses lumières ne s'enfuient pas [...] Tu vois toujours des lumières montantes et d'autres descendantes ; les feux autour de toi sont clairs, très chauds, et ils flambent...»

*Docteur en psychologie