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De la dignité du citoyen algérien

par Zerrouk Ahmed*

La dignité de la personne humaine est le socle des instruments internationaux et régionaux, notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations unies, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 par l'Assemblée générale des Nations unies, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 à la 18ème Conférence de l'ex-Organisation de l'unité africaine, actuellement l'Union africaine et la Charte arabe des droits de l'homme, adoptée à Tunis en mai 2004.

Ces traités internationaux et régionaux ont été ratifiés par l'Etat algérien et sont devenus, conformément aux dispositions de l'article 150 de la Constitution, supérieurs à la loi.

La dignité de la personne humaine est également consacrée par les dispositions de l'article 40/2ème alinéa de la Constitution : « Toute forme de violence physique ou morale ou d'atteinte à la dignité est proscrite ».

Ce principe de la dignité de la personne humaine a été, allégrement, bafoué le 5 mars 2020 par le wali de Mostaganem, en usant de paroles dédaigneuses, marquées par une attitude méprisante et condescendante envers deux (2) citoyens, et qui apparaît clairement de l'expression de son visage. La parole et l'image démontrent, d'une manière irréfutable, la totale insouciance de ce cadre de l'Etat quant à la gravité, la brutalité et la vexation de ses paroles. C'est aussi une expression évidente et ostentatoire de l'impunité dont il était assuré de bénéficier, et la fin de l'histoire lui a donné raison.

Deux (2) autorités ont immédiatement réagi face à ce comportement scandaleux et intolérable qui démontre le fossé qui existe entre l'administration et les administrés. Mais, il faut le souligner, des exceptions existent. Heureusement.

Ces deux (2) autorités sont le ministre en charge de l'Intérieur et le médiateur de la République.

S'agissant du ministre en charge de l'Intérieur, il a souligné, selon la dépêche de l'APS du 7 mars 2020, « ?son refus et sa désapprobation totale de toute attitude susceptible d'attenter à la dignité du citoyen émanant des agents de l'Etat qui sont commis pour être à son service et à veiller sur ses affaires », en ajoutant : « Et cela conformément au programme et aux instructions du président de la République, Abdelmadjid Tebboune ».

J'ouvre, ici, une parenthèse: « De grâce, Monsieur le président de la République, instruisez le Premier ministre, les ministres, les walis de ne plus utiliser, à tort et à travers, une pareille phrase, qui était sous l'ère Bouteflika dite et redite telle une litanie par les Premiers ministres, les ministres, les walis, etc. Ces hauts cadres de la nation sont-ils dépourvus d'attributions propres qu'ils doivent attendre les instructions de Monsieur le président de la République pour exercer les missions qui leur sont dévolues par la réglementation.

A contrario, on peut comprendre de cette phrase que si Monsieur le président de la République n'avait pas donné des instructions en ce sens (respect de la dignité du citoyen), le comportement du wali de Mostaganem serait d'une normalité banale et un acte tout à fait acceptable.

Et d'ailleurs et pour aller dans le même sens et forcer le trait, comment ces deux (2) simples citoyens ont-ils osé porter atteinte à la délicatesse de ce haut fonctionnaire, par des paroles (la dame) et par l'état du tableau d'affichage et la tenue vestimentaire (le cadre de la direction de l'urbanisme).

J'ai été, d'ailleurs, interpellé par les propos surréalistes du wali sur la veste militaire, car il ne fait aucune différence entre un effet d'habillement militaire qui fait partie de l'uniforme, dont le port est régi et protégé par des dispositions réglementaires et légales, d'une part, et un vêtement de couleur militaire (kaki) qui est en vente libre, dans l'ensemble des magasins d'habillement et de la friperie, d'autre part ». Je ferme la parenthèse, le cœur lourd et l'esprit non apaisé. En outre, le ministre en charge de l'Intérieur a rappelé, selon cette même dépêche de l'APS, au wali de Mostaganem que le renforcement des passerelles de confiance entre le citoyen et l'Etat exige des responsables et des cadres locaux le respect mutuel et la sagesse. C'est une excellente et forte réaction face à la conduite ahurissante et éhontée du wali de Mostaganem. De même, le médiateur de la République (dont le texte de création, le décret présidentiel 20-45 du 15 février 2020 met en échec des dispositions constitutionnelles - article 199/2ème aliéna -, légales - articles 5/3ème tiret et 24 de la loi 16-13 du 03 novembre 2016 fixant la composition et les modalités de désignation des membres du Conseil national des droits de l'homme ainsi que les règles relatives à son organisation et à son fonctionnement ainsi que réglementaires - article 54 du règlement intérieur du CNDH, publié au Journal officiel 59 du 17 octobre 2017/P.31 ; et devrait être, en conséquence, rapporté) ; est monté lui aussi au front pour déclarer qu'il a : « pris connaissance avec beaucoup de regret de la manière avec laquelle le wali de Mostaganem avait répondu à une citoyenne l'ayant sollicité quant à sa situation sociale ».

Le médiateur de la République n'a pas manqué, à l'instar du ministre en charge de l'Intérieur, de préciser que l'attitude du wali : «? est condamnable car allant à l'encontre des orientations et des instructions données par le président de la République lors de la rencontre gouvernement-walis, qui s'est déroulée en présence du médiateur de la République ». Il faut relever, ici, le « J'en suis témoin ». A contrario, on peut aisément comprendre de cette formulation écrite du médiateur de la République, car il s'agit d'un communiqué, que le comportement du wali en cause ne serait pas condamnable s'il n'y avait pas eu les orientations et les instructions données par le président de la République, et dont il a été témoin.

C'est du Kafka sans Kafka et c'est un véritable malheur pour cette Algérie, « terre de liberté et de dignité ».

Ainsi, cette situation a atteint son paroxysme. Maintenant, il faut une sortie à cette crise, on peut la qualifier ainsi, qui devrait correspondre à la gravité et aux circonstances de cet acte, plein de dédain et de mépris envers deux (2) citoyens.

Que nenni ! La solution, une solution facile, c'est-à-dire non contraignante pour l'auteur de ce méfait et qui ne lui cause aucun tort dans la continuation de l'exercice de sa fonction, a été vite trouvée. Il a été instruit de faire profil bas et de s'excuser auprès des deux (2) citoyens. C'est ce qu'il a mis immédiatement en pratique.

Dans une émission de la radio locale de la wilaya de Mostaganem, il a fait amende honorable, le 09 mars 2020, en déclarant qu'il n'était nullement dans son intention de porter atteinte à la dignité des deux (2) citoyens et qu'il était prêt à les recevoir pour leur présenter ses excuses. Et, ainsi, on oublie tout, on efface tout, la vie continue et le wali s'en sort indemne de cette situation scandaleuse et indigne dans laquelle il s'était embourbé comme un grand garçon.

Monsieur le président de la République, est-ce là les valeurs de l'Algérie nouvelle, est-ce cette sortie soft et toute en douceur reflète les principes sur lesquelles sera bâtie la nouvelle République.

A mon humble avis, une telle sortie correspond à de la compromission, l'Algérie nouvelle passe l'éponge comme l'Algérie de Bouteflika s'est engluée dans la corruption, en toute connaissance de cause, et en l'érigeant en mode de gouvernance et de gratification des uns et des autres.

La sanction, négative ou positive, devrait être la règle. On ne peut aucunement accepter les zones grises, c'est là, le gisement de l'injustice, du non-droit, de la duplicité et de la corruption.

A longueur de journée, il est fait état du respect de la Constitution, de la primauté de la loi, de l'Etat de droit et de l'égalité de tous devant la loi. Celui qui commet une faute, aussi lourde que celle du wali de Mostaganem, ne peut s'attendre qu'à une décision courageuse, lucide et prompte de fin de fonction.

C'est ainsi que l'Etat montre sa détermination et son intention réelle et effective d'ouvrir une nouvelle page de l'Algérie, une Algérie nouvelle où le puissant est sanctionnable et sanctionné. On est le puissant d'un moment et non éternellement, il y a la fin de fonction, la maladie et le décès.

C'est inéluctable. Mesdames et Messieurs les responsables, un peu de modestie et travaillez en toute responsabilité. Vous êtes au service exclusif du peuple, agissez en conséquence.

La stature d'homme d'Etat exige une stricte conformité à la loi, une rigueur morale et une prise de décision conforme aux intérêts de l'Etat, autrement dit du peuple, source de tout pouvoir, et non de telle ou telle partie, aussi proche soit-elle par l'alliance familiale, l'amitié, les intérêts mercantiles ou le parcours universitaire et/ou professionnel.

Mais, ceci est une autre histoire.

*Colonel à la retraite, ex-cadre/MDN