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Ces médias qui n'ont rien à dire mais se précipitent pour le dire

par Sid Lakhdar Boumediene*

En France, la multiplication des médias qui a fait suite à l'ouverture de la loi de 1982 fut la plus merveilleuse opportunité pour rompre avec la parole unique de l'État. C'est une chose entendue sur laquelle il ne peut y avoir de polémique.

Cependant, seule, la dictature est simple et ne fait poser aucune question qu'on ne pose d'ailleurs presque pas, car ignorant l'existence d'une autre vérité.

La multiplication des médias, et surtout des chaînes d'information en continu, est cependant le prix à payer pour ne plus revenir au mur du silence. Celui où la liste des points d'information traités sur la seule chaîne nationale publique était préalablement contrôlée, parfois rédigée directement par le cabinet du ministre de l'Information.

À l'inverse, nous faisons face actuellement à une explosion d'informations qui se bousculent, chacune chassant l'autre et aucune n'ayant le temps de laisser un moment de recul pour sa bonne appréhension.

Toutes les chaînes se font une concurrence acharnée pour capter le maximum de points à l'audimat et aucune ne souhaite laisser l'autre s'emparer seule de la moindre information.

De plus, la journée et la nuit sont longues, très longues, il faut sans cesse alimenter le commentaire. On le répète et on le décline jusqu'à l'infini. Il faut continuellement inviter des commentateurs et des chroniqueurs, journalistes et spécialistes.

En fait ce sont toujours les mêmes et ces derniers passent de chaîne en chaîne, souvent d'heure en heure. Et bien entendu, chaque émission qui suit l'autre reprendra le format de la précédente, avec des journalistes et des chroniqueurs qui vont répéter les mêmes choses.

Seul le nom de l'émission est modifié pour montrer qu'il s'agit à chaque fois d'un angle d'approche différent. Au final on voulait échapper à la parole unique voilà qu'elle revient à sa manière puisque toutes les chaînes disent et répètent la même chose.

Les journalistes doivent susciter une perception de l'importance de l'information et essayer de démontrer que les analyses sur leur plateau sont les plus pertinentes et les premières à être dites. Il s'en suit inévitablement ce qui est le plus regrettable soit une dramatisation excessive sous le couvert de l'obligation d'informer et d'éduquer.

Il faut meubler, alimenter la bête dévorante qu'est le temps qui passe. Chaque téléspectateur compte, il faut le fidéliser, ne jamais le perdre et susciter chez lui une envie de toujours rechercher le scoop et le décryptage qu'il ne trouverait pas ailleurs.

Car c'est le nombre de téléspectateurs qui dicte le prix de la minute de publicité et donc des revenus très alléchants pour la chaîne de télévision d'information en continu.

Ce qui était inévitable dans un pareil système s'est produit, chacun se précipite pour dire quelque chose en expert mais n'a pas grand-chose à dire de plus que ce qui est su.

Toute personne ayant un bon sens et une bonne compréhension orale sait enregistrer dès le départ et une fois pour toutes ce qui est dit, en une fois ou en plusieurs comme pour les interventions des responsables de la santé concernant la crise du coronavirus.

Cependant, malgré tout, je resterai un farouche partisan du maintien de cette concurrence entre les chaînes, y compris avec leurs défauts, souvent pénibles à supporter. Ma génération, entre deux mondes, sait que la démocratie est fragile et se souvient de ce que veut dire le verrouillage de l'information.

En fin de compte, c'est toujours la même chose, dans un système médiatique fermé ou très ouvert ce qui compte est la bonne instruction donc l'esprit critique et de discernement. Ce sont des armes absolues, les anticorps de l'être humain face à l'agression des deux modèles, chacun voulant formater les esprits à sa façon.

Mais tant qu'à faire, je préfère le second, celui qui est ouvert, car il existe une autre protection, la télécommande pour éteindre puis prendre un livre, sortir au spectacle ou voir des amis sont des alternatives qui sont permises.

Or, nous avions connu une époque où la télécommande n'existait pas, de toute façon il n'y avait qu'une chaîne officielle. Même si vous tourniez le bouton pour l'éteindre, vous retrouviez la censure et le discours d'État dans les seuls livres autorisés et le journal où chaque mot, chaque virgule, étaient contrôlés.

Quant aux spectacles, ils étaient également formatés et censurés. Même les rencontres entre amis étaient bridées car chaque mot prononcé était précédé d'une prise d'assurance solide, soit la vérification qu'il n'y avait pas une oreille indiscrète qui rôdait près de vous.

Alors restons sur les chaînes d'information en continu et soyons juste vigilants avec notre esprit critique et de discernement. Ils ne peuvent êtres dictés par quiconque sauf si cet esprit solide n'existe pas.

*Enseignant