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Chômage des jeunes : entre culture sociale et culture (Suite et fin)

par M. T. Hamiani

  Articuler le social et le professionnel

Les jeunes peu qualifiés sont, bien souvent, des jeunes en situation de précarité qui cumulent les handicaps et les risques qui y sont associés. Pour bon nombre de professionnels, la plupart des jeunes peu qualifiés ne sont pas «prêts à l'emploi» soit parce qu'ils connaissent des situations sociales difficiles (problèmes familiaux, précarité financière,?) soit parce qu'ils ne sont pas, pour de multiples raisons, en mesure d'adopter les comportements adéquats dans l'emploi en raison de nombreux problèmes situés en amont de l'insertion.

Si le social et le professionnel sont liés de façon nécessaire, il est impossible de trancher, de façon générale, sur l'articulation de ces deux dimensions. Les problèmes sociaux ne doivent pas, nécessairement, être réglés avant l'insertion professionnelle et, inversement, l'insertion professionnelle ne sera pas une solution aux problèmes sociaux pour de nombreux jeunes. Ici encore, la place du social et du professionnel devra être l'objet d'une compréhension et d'une analyse globale de la situation du jeune. Il semble aussi important de dire ici qu'il est nécessaire que le social et le professionnel soient pris en charge. Nier la dimension sociale de l'insertion ou nier la dimension professionnelle du social serait une erreur.

Travailler la motivation

La notion de motivation joue un rôle important, que ce soit chez les employeurs, les professionnels ou les jeunes eux-mêmes. Les psychologues comportementalistes ont, plutôt, tendance à bannir la notion de volonté comme facteur explicatif des comportements humains. Dire qu'un jeune ne cherche pas d'emploi par manque de volonté est pour eux une aberration. Cela ferait croire à l'existence d'une entité interne aux individus dont les comportements ne seraient qu'une expression alors que si on veut expliquer les comportements d'un jeune, il faut analyser son environnement, sa perception de l'intérêt de travailler, ses représentations du service auquel il s'adresse, sa connaissance des processus du marché de l'emploi ou encore l'attractivité d'activités autres que le fait de rechercher un emploi.

Chez les professionnels, la motivation apparaît, tout à la fois, comme une condition de l'insertion («On ne peut pas s'insérer si on n'est pas motivé»), comme un critère de catégorisation («Comment peut-on travailler avec un jeune qui n'est pas motivé?») et de sélection («Je ne peux travailler qu'avec des jeunes motivés») et comme un horizon («Il faut motiver le jeune, lui donner envie de s'insérer»).

Faire de la responsabilité un outil

La responsabilité est devenue, au fil du temps et de la mise en œuvre des politiques publiques, une notion centrale. Avec le passage de l'état social à l'état social actif, il s'agissait - entre autres - pour le législateur, de responsabiliser les jeunes par rapport à leur situation d'inactivité. Les politiques redistributives conçues sont soupçonnées de produire des bénéficiaires passifs et assistés. Les politiques actives entendent responsabiliser les individus, à travers la mise en œuvre d'une «conditionnalisation» du bénéfice des aides aux efforts consentis par les individus pour rechercher un emploi et à travers une contractualisation entre les individus (qui s'engagent à se mettre en mouvement) et l'action publique (qui contrôle l'effectivité de cette mise en mouvement et fournit aux individus des outils pour la réaliser). Quoiqu'on puisse penser des politiques d'activation, le droit aux prestations sociales est désormais conditionné à un devoir de mise au travail, sur soi et sur son employabilité. L'individu est désormais considéré comme responsable de sa situation et comme disposant d'un pouvoir pour la transformer.

La notion de responsabilité individuelle du jeune dans sa situation d'insertion peut être mise en question. Comment, en effet, considérer un jeune comme responsable de sa situation d'exclusion lorsqu'on sait que les facteurs explicatifs de cette situation sont essentiellement à rechercher dans le fonctionnement du système économique et du marché de l'emploi et dans le fonctionnement de l'action publique ?

La notion de responsabilité au service du jeune

Mais si l'explicitation des causes du chômage des jeunes est complexe, systémique et multifactorielle, ceci ne doit pas conduire les professionnels à uniquement, considérer les jeunes comme des victimes d'un système injuste. Entre une conception des jeunes comme des victimes d'un système injuste («Le système est responsable du chômage de jeunes») et une conception des jeunes comme responsables de leur situation («Les jeunes ne doivent leur situation de chômage qu'à eux-mêmes») se situe un espace pour penser l'usage de la notion de responsabilité au service du jeune.

S'il semble, donc, évident qu'on ne peut considérer les jeunes comme responsables de leur situation de chômage, ceci ne veut pas dire qu'ils n'ont aucune prise sur leur insertion. Si le poids des déterminants sociaux et systémiques est important, ceci ne veut pas dire qu'il n'y a aucune perspective pour les jeunes peu qualifiés. Si la responsabilité de l'exclusion ou de l'inclusion des jeunes est partagée entre une multiplicité d'acteurs à différents niveaux, il est possible pour les professionnels de l'insertion d'outiller et d'accompagner un jeune afin qu'il puisse prendre certaines responsabilités, en connaissance de cause.

Il peut être utile de différencier la responsabilité dans les causes de la situation d'exclusion de la responsabilité comme outil de la relation d'accompagnement. Dans cette conception, responsabiliser, ce n'est pas faire porter au jeune tout le poids de sa non-insertion, c'est lui donner les outils pour penser son insertion. La relation d'accompagnement peut ainsi se penser comme une relation permettant à un jeune de prendre ou d'assumer davantage de responsabilités.

Un accompagnement autonomisant et intégrateur veille à enrôler, le jeune, c'est-à-dire à lui permettre de jouer des rôles dans lesquels il puisse être reconnu et qui donnent lieu à des gratifications positives. C'est dans et par les rôles et les expériences que le jeune peut se construire, gagner de la confiance et acquérir des compétences. L'accompagnateur gagne à faire de l'expérience et de l'acquisition de rôles, le cœur de son intervention avec le jeune. La sagesse populaire s'accorde avec la psychologie sociale pour montrer que les apprentissages basés sur des expériences concrètes d'action et de mise en projet sont plus efficaces, plus substantiels et plus durables que les apprentissages scolaires ou ceux basés sur la parole.