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Le président Macron sonne la retraite de l'opposition (Suite et fin)

par Sid Lakhdar Boumediene*

La suprématie de l'exécutif sur le législatif dans la Ve république

Pour comprendre ce déséquilibre il faut se référer à ce que sont les institutions de la cinquième république et, surtout, à l'histoire qui les fondent. C'est le général De Gaulle qui avait proposé la Constitution en 1958 et fait valider le texte par referendum. Ce qu'il faut savoir est que la IIIe république puis la IVe d'après-guerre se sont illustrées par une instabilité chronique qui faisait chuter les gouvernements dans un délai qui avait fini par tourner au ridicule. Certains ne tenaient qu'à peine quelques jours.

Le général de Gaulle avait d'ailleurs, bien avant son second retour aux affaires politiques, théorisé ce qui serait une Constitution plus stable et qui donnerait à l'exécutif un pouvoir suffisant pour mener à bien les actions de la France. Ce fut dans un célèbre discours à Bayeux en 1946. Il est vrai que les instabilités gouvernementales, si elles n'étaient pas la cause des troubles qui ont mené à la décolonisation et à l'humiliation de la grande puissance militaire française, n'ont vraiment pas aidé à arranger la situation.

Lors de son retour en 1958, le général de Gaulle qui avait été appelé au secours de la république, avait posé ses conditions, soit en premier objectif la modification de la Constitution, conforme au discours de Bayeux qui donnait la primauté au pouvoir exécutif.

Dans la première version, le général n'avait pas osé aller jusqu'au régime présidentiel car le parlementarisme était incrusté dans l'histoire constitutionnelle française2. Mais en 1962, profitant de sa puissance politique, il avait demandé par referendum une réforme faisant du président de la république la «clé de voûte» du système. En réalité, un costume sur mesure pour Charles de Gaulle.

Dès lors, cette Constitution n'a jamais pu être suffisamment réformée pour remettre un équilibre au profit des parlementaires. Et nous en revenons à notre article 49-3 qui en est l'une des illustrations les plus significatives.

Les raisons de la quasi-certitude de l'échec d'une motion de censure

Cela revient à poser la question : pourquoi il n'y a que très peu de chances que la majorité se fissure et fasse basculer le vote ? La première raison est assez générale à toutes les époques, les députés qui prendraient cette décision risqueraient de perdre l'investiture du ou des partis majoritaires. Or le chemin est long avant de pouvoir décrocher la validation par le suffrage universel dans leur circonscription, souvent arrachée de haute lutte, parfois après plusieurs tentatives.

Sans investiture, très peu de chance que la personnalité politique y arrive et, de toute façon, elle n'aurait plus la possibilité de retrouver son pouvoir de parole si elle n'appartenait pas à un groupe. Quant à ceux qui rejoignent un autre parti, l'avenir est tout aussi hypothétique. Jamais un président n'a eu autant de frondeurs que François Hollande.

Pourtant, ses opposants internes ne sont jamais allés jusqu'à briser les chances de leur parti en votant contre ce dernier, tout au moins dans une proportion dangereuse. La seconde raison tient au mode de scrutin qui favorise considérablement la constitution de blocs homogènes, voire de celui d'un parti unique ayant une très large majorité. C'est une conséquence tout à fait logique au regard du développement du paragraphe précédent.

La troisième raison tient à la majorité présente qui a soutenu le président Emmanuel Macron pour arriver à son sacre. La quasi-totalité des députés qui ont été ses soutiens n'ont pas un passé politique affirmé. Presque tous doivent leur élection à l'étiquette du nom du Président. Ils n'ont pas de base territoriale et auront d'ailleurs du mal dans les élections municipales face aux sortants.

À toutes ces considérations, constitutionnelles et circonstancielles, s'ajoute une désastreuse stratégie de gestion du temps voulue par le président de la République.

Une faute stratégique de temporalité

Le président Macron avait prévenu de longue date qu'il ne renoncerait pas à sa réforme des retraites pour les raisons maintes fois répétées, y compris dans sa campagne présidentielle, soit la simplicité du système et la justice instaurée par le nouveau système. Il était donc naturel et attendu qu'il en arrive à un texte de loi. Cependant, de très multiples tergiversations, imprécisions et mauvaise communication allant jusqu'aux contradictions, ont provoqué une incompréhension et une forte crainte d'une partie non négligeable de la population.

De plus, alors que le dernier acte devait se jouer, le président Emmanuel Macron avait exigé que ce dernier soit bouclé avant les élections municipales. Il était donc prévisible que l'opération serait impossible dans des délais si courts, compte tenu de toutes les possibilités de blocage à disposition de l'opposition pour freiner l'avancée du débat et du vote, amendement par amendement, des milliers comme nous l'avions déjà précisé.

Une lourde erreur pour avoir voulu présenter à l'électorat une victoire, propice à donner à son parti politique une assise territoriale qu'il n'avait pas et absolument indispensable pour l'élection présidentielle future. En conclusion, c'est une cacophonie qui s'est installée dans un projet mal ficelé et mal communiqué. Il y a peu de chances que le président s'en remette, mais n'insultons pas l'avenir, rien n'est certain ni définitif en politique.

* Enseignant

Note

2- Attention, le régime présidentiel français donne une puissance au Président mais n'est absolument pas le régime présidentiel américain qui instaure un strict équilibre des pouvoirs. Par la terminolgie «régime présidentiel» on entend le régime américain.