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Algérie : «Rose sans épines, blé sans labours !» (Suite et fin)

par A. Boumezrag*

La politique d'infantilisation a féminisé la société. De l'enfant roi on est passé l'adulte tyran. Quand l'enfant est roi, ce sont les femmes qui exercent la régence. Devenu adulte, il cherche à se substituer à l'autorité de l'Etat. Les rapports parents-enfants sont de l'ordre de la séduction qui est le contraire de l'éducation. La télévision s'est substituée à la famille. Le père n'est plus capable d'aider ses enfants à rompre le lien fusionnel avec leur mère. Une famille patriarcale où les relations parents-enfants se superposent entre le chef de l'Etat et la société. Le couple n'est plus un espace d'intimité mais une préoccupation de groupe. Il est clair que favoriser l'abstinence et la frustration est le meilleur moyen de conduire l'individu à enfreindre les règles avec toutes les conséquences qui en découlent.

La répression sexuelle est la marque de fabrique de toute dictature qu'elle soit privée (famille) ou publique (Etat). Si la dictature arabe se voile la face et se cache sous un hidjab, la démocratie occidentale se dénude en se déhanchant et s'offre en spectacle alimentant les fantasmes des uns et frustrations des autres. Le meilleur moyen de garder le pouvoir sur la famille c'est d'empêcher ses enfants d'avoir des relations conjugales en les couvant pour ne pas s'autonomiser.

Et pour le chef d'Etat, d'empêcher ses sujets de s'émanciper, de s'opposer à lui, de disposer d'une pensée critique et d'une liberté de mouvement. La sexualité imbibée de religiosité est un outil de contrôle puissant de la dictature. Le patriarcat vit ses dernières heures de gloire. Cette frustration sociale et sexuelle des jeunes donne un sentiment de mépris et d'humiliation. La question de la sexualité est un enjeu majeur pour l'émancipation individuelle et collective. La misère psychique et sexuelle des jeunes entretient les régimes politiques en place. Un Etat autoritaire a besoin de sujets soumis. Pour ce faire, la répression sexuelle est un des vecteurs de la reproduction de l'ordre social dominant. Le refoulement sexuel produit des ressorts émotionnels et mentaux de la soumission à l'autorité sous toutes ses formes ; parentales, sociales ou politiques. Les relations de pouvoir du chef d'Etat et son peuple sont reflétées dans les liens entre le chef de famille et ses descendants.

L'Etat autoritaire a un représentant dans chaque famille. Le père devient la ressource la plus importante de la préservation du régime politique. Se marier et avoir des enfants, est un impératif individuel et social. Le droit au mariage ne se mendie pas, il s'arrache. Le recul de l'âge du mariage engendre aussi des problèmes de stabilité dans la vie psychique et aggrave les tentations. L'être humain a en lui-même toutes ses pulsions, il faut bien qu'elles s'expriment parce que s'il les garde en lui-même, il va être dévoré par le stress. L'instinct sexuel étouffe la raison. La force la plus puissante chez l'homme, c'est sa sexualité. Et cela les gens du marketing politique ou commercial l'ont très bien compris. La sexualité des jeunes est un domaine éminemment politique, elle traduit un rapport de force dans la société. La sexualité reste un des leviers de domination politique de la société.

Prise en otage entre les préceptes religieux et les exigences de la modernité, la jeunesse se trouve désemparée. La satisfaction sexuelle des jeunes adultes, dans un cadre moral organisé, libère les énergies, stimule la production et éveille les consciences. «Si l'âme n'est pas satisfaite sexuellement, elle se cabre, se refuse au travail, devient triste» Le mariage en terre d'Islam est considéré comme le cadre légitime par excellence de fusion de sexualité et de la procréation. L'arabe, langue de l'Islam, commence par la lette «alif», un comme Adam et suivie par la lette «ba» comme Eve, l'une est debout et droite, l'autre est couchée et ronde. L'humanité s'est constituée à partir de ces deux êtres complémentaires et non opposées comme nous le suggère les chuchotements diaboliques débouchant sur des divorces multiples et rapides, avec des retombées sur les enfants privés de parents et de toit se retrouvant pratiquement dans la rue livrés à la violence et à la perversion. Si l'on veut réaliser la possibilité de l'Algérie de rompre avec le syndrome autoritaire, une analyse en profondeur des rapports entre les élites et le peuple est indispensable. Rares sont les dirigeants qui disent la vérité parce que faire de la politique c'est mentir. Qui va abandonner la douceur de vie de la vallée pour emprunter les chemins tortueux de la montagne ?

Pourtant la sagesse se trouve au sommet de la montagne loin des tintamarres de la vie citadine pour se ressourcer. Dans ce contexte, aucune force politique ou économique ne peut s'opposer au règne sans partage et des hydrocarbures sur l'économie et de l'armée sur la société sur une longue période. C'est une question de sécurité et d'unité nationale laquelle est au-dessus de toute considération politique ou économique pour reprendre le discours-phare du pouvoir. Toute opposition partisane ou affairiste, affichée ou cachée, réelle ou supposée, ne rêve que d'accéder au reste du gâteau ou à une parcelle de pouvoir. Dans ce bas monde dominé par l'argent, la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit, même si elle est pourrie. C'est l'homme qui donne et c'est la femme qui reçoit. Le ciel irrigue, la terre féconde, l'homme laboure, la terre produit. L'homme est porteur de violence et la femme porteuse de vie. La femme est la coupe qui enivre, l'homme est son épée qui la protège. Le peuple ne fait que tendre la main sans produire et le pouvoir ne fait que réprimer sans créer d'emplois. Les deux ne font que se donner l'illusion d'exister. Un peuple oisif est comme une femme stérile. Elle est bonne à rien. Un vieux mari pervers ne sait que violenter sa femme pour cacher son impuissance ou dans le meilleur des cas la corrompre avec des cadeaux pour acheter son silence pour ne pas dire sa complicité. Tôt ou tard, elle ne tardera pas à lui être infidèle avec le premier venu disposant d'un tison pouvant allumer un volcan éteint. Et il sera le dernier à le savoir. Un Etat impuissant face à une société improductive. Le verbe est devenu un refuge à l'impuissance d'agir.

La plume s'est asséchée, l'encrier s'est renversé, l'épée s'est rouillée, le fourreau n'en veut plus, la table est servie, les invités se suivent et se ressemblent, à l'affiche le même menu, au vestiaire les mêmes vêtements. Qui a perdu, qui a gagné, on n'en sait rien. C'est le temps qui a raison. Les absents ont toujours tort. «En politique, si vous voulez des discours, demandez à un homme. Si vous voulez des actes, demandez à une femme» nous dit Margareth Thatcher. Le pouvoir de la femme réside dans sa capacité à séduire, à patienter, à endurer. C'est un adversaire redoutable. La paix et la guerre cohabitent dans le même palais, le mal et le bien marchent côte à côte, l'amour et la haine couchent dans le même lit. Un homme qui n'est pas sensible aux charmes d'une femme a cessé d'être un homme. D'un autre côté, une femme qui s'oppose pour un oui ou un non à son mari est une femme faible. Elle ne peut dominer son mari qu'en lui obéissant car «Le plus beau vêtement qui puisse habiller une femme, ce sont les bras de l'homme qu'elle aime». Les deux ont été créés pour se compléter et non pour se neutraliser, pour vivre ensemble et non séparés. Autorité et responsabilité doivent être les deux faces d'une même médaille.

Pour marcher sur terre, il faut deux pieds, un pied droit et un pied gauche et non deux pieds droits ou deux pieds gauches. Le couple FLN et société a traversé trois phases la fusion (la guerre de libération), le patriarcat (le socialisme), la révolte et le conflit (la guerre civile), l'apaisement (la conciliation) et s'apprête à inaugurer un nouveau cycle celui d'une prise de conscience, d'une remise en question, d'une lucidité retrouvée. Entre l'opportunisme des jeunes Turcs et le conservatisme des vieux turbans, l'Algérie est tourmentée. Cultivée et tolérante, sa maman lui a appris à manier le verbe ; ignorant et despotique, son papa lui a appris à se servir du gourdin. La mère juge en toute équité, le père décide en toute impunité. L'une l'éduque, l'autre la dresse. «La république» est ballotée entre ses origines gréco romaines et les traditions arabo musulmanes. La France la fascine, l'Algérie la répugne. Elle prend partie pour sa mère en s'opposant à son père. Elle navigue entre les deux eaux, entre les deux rives de la Méditerranée. Elle parle en arabe et réfléchit en français. Elle porte un pantalon serré sous son hidjab noir Elle veut être moderne comme sa mère et autoritaire comme son père. La république islamiste lui promet le paradis céleste en montant au maquis les pieds nus et le ventre vide ; la laïcité lui propose le bonheur sur terre par la traversée à la nage de la Méditerranée. Elle est vaccinée des deux.

Les deux mènent à la mort. Elle veut vivre, vivre pleinement. Elle tente, envers et contre tous, de se frayer un chemin sans se voiler la face et sans se dénuder. Il s'agit de sa propre destinée. Elle veut choisir librement son futur époux et non subir celui que son père veut lui imposer. Elle n'est plus une enfant, elle est adulte. La «république» a plus de cinquante ans et son «papa» est centenaire. Le père mourant voudrait que sa fille le raccompagne dans sa dernière demeure. La fille désire vivre, se marier et avoir des enfants. Elle est ménopausée. L'élu de son cœur d'enfant n'est pas encore né. L'arrivée du Mahdi n'est pas pour demain. L'Algérie est devenue comme cette poule au lieu de laisser son œuf donner naissance à un poussin préféra le manger. Le pays s'est dévoré lui-même. «On juge un arbre à ses fruits et non à ses racines». Aujourd'hui pouvoir et peuple se tournent le dos. C'est un couple en crise. Un désaccord profond les déchire. Des deux conjoints, qui doit quitter le lit ? Pour les islamistes, c'est la femme (la société doit changer) ; pour les démocrates, c'est le mari (le pouvoir doit changer) ; pour les modérés, «loin de toi j'ai froid, près de toi j'ai chaud» (statut quo). Ce qui se passe dans la chambre, les familles l'ignorent (les partis politiques et associations syndicales). On ne voit rien par le trou de la serrure et on n'entend rien en écoutant aux portes (services d'espionnage étrangers). Cela ne regarde que le couple à moins de vouloir «fantasmer ou participer» (frères arabes ou puissances étrangères à la recherche de sensations nouvelles).

C'est de l'indécence (la mondialisation des mœurs à travers les écrans). C'est un manque d'éducation («cachez moi ce sein, que je ne saurais voir» dira un des personnages de Molière). Les familles peuvent toujours s'allier, cela n'empêche pas le couple de se quereller. Deux femmes se plaignaient de leurs maris respectifs, l'une est vieille, et l'autre est jeune (la société française et la société algérienne à propos de leurs gouvernements respectifs), la vieille dit à la jeune, ton mari n'est pas comme toi, tu as par où le tenir. Les vieux parents ne peuvent se substituer à leurs enfants adultes. La société a mûri et le pouvoir a vieilli. A un certain âge, le cerveau ordonne au corps de se mouvoir et le corps de lui répondre va te faire foutre. «La vérité est comme une femme, nue elle fait peur, elle révèle notre impuissance ; habillée, elle nous rassure, elle cache nos défauts».

Le mouvement de protestation populaire du 22 février 2019 a rassemblé les Algériens dans la rue. Ils marchent tous les vendredis, jour béni qui rassemble dans la joie et la bonne humeur, où se retrouvent, côte à côte, les hommes et les femmes, les célibataires et les mariés, les jeunes et les vieux, les savants et les illettrés, les laïcs et les islamistes, les riches et les pauvres, les chômeurs et les salariés. Tous unis et solidaires dans un même élan de libération pacifique des cœurs et des consciences pour la construction d'une Algérie nouvelle. Pour conclure, une citation d'Albert Camus, un natif algérois : «Ne marche pas devant moi, je ne te suivrai peut-être pas. Ne marche pas derrière moi, je ne te guiderai peut-être pas, mais marche avec moi et sois mon amie» fin de citation. Demain, tu seras peut-être mon épouse si Dieu veut, complète un jeune manifestant sorti de prison à la recherche d'un emploi. Une Algérie de liberté, de justice et de dignité. Ces propos peuvent paraître provoquants mais ne manquent pas de réalisme. Les rideaux n'ont jamais empêché les rayons de soleil de pénétrer l'intimité des maisons et des Etats. Effectivement, «parfois, la vérité nous fait mal, mais la maturité d'accepter cette vérité nous fait grandir». Les vieux maquisards sont au crépuscule de leur vie et les jeunes de l'indépendance à l'aube d'une nouvelle saison printanière. «Au printemps, bien sait la rose, en quelles mains elle se repose».

* Docteur