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De quelques observations sur le décret présidentiel portant institution du médiateur de la République

par Zerrouk Ahmed*

Le décret présidentiel 20-45 du 15 février 2020 portant institution du médiateur de la République, paru au Journal Officiel 09 du 19 février 2020, appelle, de notre point de vue, quelques observations tant au plan de la forme que du fond.

Au plan de la forme :

I- Dans le seul visa de ce texte règlementaire, il est fait référence à trois (3) articles de la Constitution (articles 84, 91-6 et 143/1er alinéa).

Si les dispositions des articles 91-6 (Outre les pouvoirs que lui confèrent expressément d'autres dispositions de la Constitution, le président de la République jouit des pouvoirs et prérogatives suivants : 6 - il signe les décrets présidentiels.), et 143/1er alinéa (Les matières autres que celles réservées à la loi, relèvent du pouvoir réglementaire du président de la République) expliquent l'ancrage juridique des dispositions réglementaires du décret présidentiel sus-cité. L'article 84, quant à lui, pose problème.

En effet, cet article rédigé ainsi qu'il suit : « Le président de la République, chef de l'Etat, incarne l'unité de la Nation. Il est garant de la Constitution. Il incarne l'Etat dans le pays et à l'étranger. Il s'adresse directement à la Nation», ne fait qu'énumérer les attributs dévolus, par la Constitution, au président de la République, eu égard à sa légitimité démocratique (élu au suffrage universel, direct et secret ?article 85 de la Constitution) et à son incarnation de l'Etat tant au plan national qu'international.

Ces attributs de souveraineté liée à l'institution présidentielle diffèrent des pouvoirs et prérogatives du président de la République, prévues notamment par les articles 91 et 92 de la Constitution.

C'est pourquoi, la référence faite aux dispositions de l'article 84 de la Constitution semble inopportune, voire superfétatoire.

II- L'article 3/2ème alinéa de ce décret présidentiel, le participe passé du verbe «équiper» a été par inadvertance, oubli ou précipitation, intercalé dans cet alinéa, in fine, «...s'estime lésé par un dysfonctionnement équipé d'un service public ».

Cet ajout malencontreux devrait être corrigé par les services du Secrétariat général du Gouvernement.

Au plan du fond

1- L'article 1er prévoit ce qui suit : «Il est institué un médiateur de la République, placé auprès du président de la République, d'où il tire son autorité». Le bout de phrase «d'où il tire son autorité» est doublement inadéquat.

En premier lieu, le pronom relatif «où» sert à l'expression du lieu. Or, dans le cas d'espèce, le président de la République est une personne physique et non un lieu.

En deuxième lieu, on ne peut expliquer la motivation du rédacteur de ce texte réglementaire, à moins qu'il soit un novice dans la rédaction d'un texte juridique et de plus, ce serait son premier, d'insister d'une manière aussi ostentatoire sur le fait que le médiateur tire son autorité du président de la République.

Il est aisé de comprendre, si l'on suit le raisonnement du rédacteur, que le placement du médiateur de la République auprès du président de la République ne suffit pas. Il fallait encore préciser que le médiateur de la République tire son autorité de celle du président de la République.

Cette formulation de répétition de la même idée marque une certaine pensée malsaine ou la traduction directe de l'état d'esprit dans lequel évoluent certains cadres de l'Etat. Ils perpétuent le culte de la personnalité, leur supérieur hiérarchique devient source de droit, devient la loi.

Comment expliquer au médiateur de la République que ses attributions ainsi que l'autorité qui en découle ressortent d'un texte législatif ou règlementaire et non de la proximité avec une autorité, fût-elle le président de la République. En démocratie, la référence revient au droit et non à l'autorité de tel ou tel responsable.

Ce cheminement corrosif des idées est aux antipodes des principes de la bonne gouvernance, de l'Etat de droit et de la primauté du droit, et est encore amplifié par les dispositions de l'article 10 dudit décret présidentiel qui prévoient que : «le médiateur de la République peut, lorsqu'il n'obtient pas de réponse satisfaisante à ses demandes, saisir le président de la République».

C'est une sorte d'épée de Damoclès qui est suspendue au-dessus de la tête de tout responsable saisi par le médiateur de la République, indépendamment de l'objectivité et de la justesse de ses demandes. Ainsi, au cas où la réponse faite ne satisfait pas le médiateur de la République, ce dernier va saisir (se plaindre) le président de la République.

Donc, Mesdames et Messieurs les responsables, à quelque niveau que ce soit, faites attention au courroux du médiateur de la République et donnez satisfaction à toute demande faite par le médiateur de la République ! Sinon, c'est le président de la République qui vous demandera des comptes ou prendra la décision de mettre fin à vos fonctions.

C'est dire l'idée véhiculée par ce texte règlementaire sur la nature et les interactions de l'administration algérienne. Une administration qui n'obéit qu'aux injonctions et qui n'agit que sous la contrainte et la force, non de la loi, mais de l'autorité hiérarchique. On est resté coincé dans cette situation, malgré le Hirak de la liberté déclenché le 22 février 2019.

C'est là le gisement de l'injustice, de la Hogra et de la corruption.

2- Article 2 : «Le médiateur de la République est une instance de recours non juridictionnel qui contribue à la protection des droits et des libertés et à la régularité du fonctionnement des institutions et administrations publiques».

Les dispositions de cet article n'ont aucune relation avec la mission du médiateur de la République, qui est celle de dénouer des situations litigieuses des citoyens avec l'administration et les institutions publiques.

Le rôle dévolu ou la mission assignée au médiateur de la République n'est nullement la protection des droits et libertés. C'est la mission de l'Etat (article 26 de la Constitution : «L'Etat est responsable de la sécurité des personnes et des biens»), qui dispose de services de sécurité, le commandement de la Gendarmerie nationale et la Direction générale de la Sûreté nationale, dédiés à cette fin.

De plus, le pouvoir judiciaire, autrement dit les tribunaux et cours ainsi que les tribunaux administratifs, protège la société et les libertés. C'est l'énoncé de l'article 157 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire protège la société et les libertés. Il garantit, à tous et à chacun, la sauvegarde de leurs droits fondamentaux».

En outre, le mouvement associatif a un rôle d'alerte en matière d'atteinte ou de violation des droits et libertés, sans omettre l'institution nationale des droits de l'homme. Dans notre pays, il s'agit du Conseil national des Droits de l'homme, qui agit conformément aux principes de Paris (Résolution 48/134 adoptée le 20 décembre 1993 par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies) et a pour mission, en conséquence, de protéger et de promouvoir les droits et libertés.

La Constitution est claire sur ce sujet dans son article 199/1er alinéa : « Le Conseil assure une mission de surveillance, d'alerte précoce et d'évaluation en matière de respect des droits de l'homme».

Les dispositions de l'article 5 de la loi 16-13 du 3 novembre 2016 fixant la composition et les modalités de désignation du Conseil national des Droits de l'homme, ainsi que les règles relatives à son organisation et à son fonctionnement sont limpides et ne souffrent d'aucune ambiguïté, dans le cadre de la protection des droits de l'homme.

Ce n'est pas de la compétence du médiateur de la République.

De même, le médiateur de la République ne peut aucunement contribuer à la régularité du fonctionnement des institutions et administrations publiques. C'est là la mission première qui incombe aux différents départements ministériels et autres structures de rattachement de ces administrations et institutions publiques.

A quoi servent les différents services d'inspection institués au niveau des administrations centrales et locales, les directions du contentieux, les sous-directions en charge des requêtes, etc. ?

A quoi servent les missions d'inspection et de travail effectuées par les ministres, les secrétaires généraux des ministères, les walis, les directeurs généraux, les directeurs, etc. ?

A quoi sert l'Observatoire national du service public (décret présidentiel 16-03 du 7 janvier 2016, notamment son article 4). A quoi sert le Conseil supérieur de la fonction publique (décret exécutif 17-319 du 2 novembre 2017 et article 59 de l'ordonnance 06-03 du 15 juillet 2006 portant statut général de la fonction publique). ?

A quoi servent les jours d'audience ouvertes au public par les différentes administrations et autres institutions publiques, y compris les ministères ?

Cet article 2 n'entre pas dans les attributions dévolues, au niveau international, aux Ombudsman (mot suédois qui veut dire «défendre les droits de quelqu'un d'autre»), qui sont celles de jouer un rôle d'intermédiaire entre le requérant et l'administration concernée, pour trouver, le cas échéant, une solution au cas où l'administration a mal agi et d'adresser des recommandations pour un meilleur exercice des missions incombant à l'administration, sur la base des constatations faites après le traitement des plaintes et requêtes.

Cet article devrait être modifié et rédigé comme suit : «Le médiateur de la République est une instance de recours non juridictionnel qui veille au respect des droits et libertés par les institutions et administrations publiques».

3- Article 3 : le premier alinéa de cet article rédigé ainsi qu'il suit : «Le médiateur de la République est doté d'attributions de suivi et de surveillance générale qui lui permettent d'apprécier la qualité des rapports de l'administration avec les citoyens», vient heurter de plein fouet les attributions dévolues aux différentes instances hiérarchiques des administrations et institutions publiques.

Le médiateur de la République ne peut pas disposer d'une telle attribution générale qui relève des différentes autorités hiérarchiques des administrations et institutions publiques. Cette formulation laisse entendre que l'administration est complètement désordonnée et agit à sa guise, faisant fi des textes législatifs et réglementaires de la République. Une telle administration est corrompue et n'exerce ses attributions que par les passe-droits générés par une violation de la loi et du règlement.

Dans ce cadre, il faut le souligner, le médiateur de la République peut apprécier, dans son rapport annuel adressé au président de la République, la qualité du service de certaines administrations et institutions publiques qui ont fait l'objet de requêtes de citoyens et dont le bien-fondé de leurs allégations a été établi.

Le deuxième alinéa dudit article exclut la personne morale qui serait victime d'une décision prise en violation de la loi ou de la réglementation par une administration ou institution publique.

Pourquoi ? A mon avis, il serait plus judicieux et équitable de faire référence uniquement à «toute personne», et de supprimer le qualificatif physique ou de préciser pour mettre fin à toute interprétation : «personne physique ou morale».

L'explication est aisée, aussi bien la personne physique que la personne morale peut s'estimer lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d'une institution ou administration publique. Par ailleurs, et c'est navrant que ce deuxième alinéa fasse état du «dysfonctionnement d'un service public». Certes, s'il y a dysfonctionnement du service public, le citoyen ne peut qu'être lésé dans ses droits et libertés. Une telle rédaction accrédite l'idée d'un dysfonctionnement systémique et généralisé des administrations et institutions publiques. De grâce, corrigez une telle énormité et substituer le terme «fonctionnement» à celui de «dysfonctionnement».

4- Article 5 : le deuxième alinéa de cet article énonce : « Il (le médiateur de la République) saisit, à cet effet, toute administration ou institution en mesure d'apporter un concours utile». Une telle formulation, vague et imprécise à la fois, peut autoriser le médiateur de la République à saisir directement les services de la police judiciaire pour mener des investigations, au cas où, selon le rapport du médiateur de la République, une infraction à la loi pénale aurait été commise.

Or, une telle action relève des attributions légales dévolues par le code de procédure pénale au ministère public ou à la victime (dépôt de plainte ou constitution partie civile).

Une meilleure explicitation des dispositions de cet article 5/2ème alinéa s'impose.

5- Articles 6 et 7 : ces deux (2) articles ont trait aux rapports «périodiques» ou de «circonstance», adressés au président de la République d'une part, et, d'autre part, au rapport du médiateur de la République, dans lequel il dresse un bilan annuel de ses activités.

Si le rapport ou bilan annuel ne pose aucun problème, les rapports prévus par l'article 6 laissent perplexe et sont une immixtion dans les attributions dévolues à l'autorité hiérarchique administrative, du fait qu'il est prévu dans cet article que : «... le médiateur de la République propose les mesures et décisions à prendre à l'encontre de l'administration concernée et/ou de ses fonctionnaires défaillants».

Une telle formulation heurte aussi bien le statut général de la fonction publique, notamment son titre VII intitulé «Régime disciplinaire» comportant les articles 160 à 185, que le principe du contradictoire.

6- Article 8 : cet article est en contradiction avec les dispositions de l'article 3/2ème alinéa. En effet, dans cet article 8 il est fait état «des difficultés dont il est saisi». Or, la fonction essentielle, la raison d'être du médiateur de la République, c'est de défendre les droits et libertés des citoyens face aux pouvoirs publics, en intervenant dans les litiges et les réclamations qui lui sont soumis par les citoyens qui s'estiment lésés par une décision prise par une administration ou une institution publique.

Il ne s'agit pas de «difficultés», on est là sur le terrain des litiges, des différends entre le citoyen et une institution ou administration publique, après épuisement des démarches administratives (recours hiérarchique, recours gracieux et autres voies de recours prévues par certaines institutions publiques)

Cet article 8 mérite d'être reformulé pour être mieux explicite.

7- Article 10 : cet article est unique en son genre. On est face à une disposition règlementaire de menace sous condition. En effet, au cas où le médiateur de la République n'obtient pas de réponse satisfaisante à ses demandes, il saisit le président de la République.

Cet article est dans la coercition face aux responsables des institutions et administrations publiques. Si votre réponse, même fondée en droit, n'agrée pas au médiateur de la République, c'est-à-dire ne répond pas positivement à sa demande, qui, faut-il le souligner, peut être erronée ou contraire à la législation et à la réglementation régissant l'objet de la réclamation faite par le citoyen, il saisit le président de la République, le chef de l'Etat.

Alors pourquoi instituer un médiateur de la République. Pourquoi existe-t-il un Premier ministre, qui serait dans la Constitution de l'Algérie nouvelle un chef du gouvernement, des ministres, des walis, des directeurs généraux, des inspecteurs centraux, des directeurs, des sous-directeurs, etc.

C'est faire peu de cas, c'est le moins qu'on puisse dire, de la fonction présidentielle, de l'institution présidentielle, qui serait devenue, par cet article, une institution de sanction administrative, voire une institution de coercition. C'est la seule compréhension et lecture qui peut être déduite des dispositions de cet article. Et, que faire des dispositions relatives au régime disciplinaire prévu par l'ordonnance 06-03 du 15 juillet 2006 portant statut général de la fonction publique ?

8- Article 12 : le rédacteur de ce décret présidentiel a fait du zèle ou, à décharge, il a été instruit fermement de rédiger des dispositions pour élever et faire émerger la «stature» de la personne choisie pour être nommée médiateur de la République.

En outre, le fait, comme il a été déjà souligné, qu'il tire son autorité du président de la République, et non pas d'un texte règlementaire, en attendant que cette fonction soit prévue dans le nouvelle révision de la Constitution et qu'elle soit prise en charge dans une loi, le médiateur a le rang protocolaire de ministre d'Etat. Alors que l'actuel gouvernement ne comporte aucun ministre d'Etat. Il a été estimé, en haut lieu, qu'aucun des ministres en charge des Affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Justice, voire un autre ministre, n'a la stature et le poids en expérience, expertise, connaissances, gestion et influence, pour mériter ce titre honorifique qui ouvre droit à une préséance protocolaire.

Enfin, de mon point de vue, il faudrait retenir de ce qui précède ce qui suit :

a)-c'est un texte règlementaire qui a été rédigé à la hâte, c'est-à-dire, c'est une commande qui ne pouvait aucunement être discutée. Les services du Secrétariat général du Gouvernement ne pouvaient que le formaliser et le faire publier au plus proche Journal Officiel à paraître (19 février 2020).

Les décrets présidentiels 20-45 portant institution du médiateur de la République et 20-46 portant nomination du médiateur de la République sont datés du même jour, le 15 février 2020.

b)-Pourquoi cette hâte, cet empressement ? Notre pays, l'Algérie, aurait-il perdu sa place dans le concert des nations, ou l'administration algérienne agit-elle en dehors de toute législation et réglementation, qu'il fallait instituer immédiatement et nommer, aussitôt, le médiateur de la République ?

c)-Encore fallait-il que le médiateur de la République soit opérationnel dès le 15 février 2020. Le temps presse des deux (2) côtés, si l'on suit le raisonnement de l'élaboration de ce texte règlementaire, des citoyens qui sont victimes des abus et autres atteintes dans leurs droits par les institutions et administration publiques, et, l'institution et la nomination diligente du médiateur de la République. La situation ne pouvait pas attendre.

d)-Le président de la République aurait été mieux inspiré s'il avait laissé le soin au Comité des experts en charge de la révision de la Constitution de l'Algérie nouvelle, d'instituer le médiateur de la République, d'autant plus que cette loi fondamentale sera promulguée avant la fin de l'année en cours, et de renvoyer à une loi pour traiter du médiateur de la République (loi relative au médiateur de la République)

En guise de conclusion et pour clore cette analyse des dispositions de ce décret présidentiel, une seule et unique question mérite d'être posée : à quelle vision de la République renvoie ce texte réglementaire ?

*Colonel à la retraite, ex-cadre/MDN