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Sécurité juridique et attractivité pays

par Brahim Chahed

«Avant d'introduire un nouvel usage dans un pays, il faut savoir si les circonstances locales lui permettront d'y subsister : les usages sont comme certains végétaux, qu'on ne peut transplanter que dans des climats semblables à ceux qui les ont vus naître». Cécile BRUCY dite Cécile Fée (Les maximes et pensées, 1832)

L'année 2020 sera politique ou ne sera pas du tout. Révision constitutionnelle, révision du code électoral et élections législatives et locales avant la fin de cette année. Elle sera décidément politique avec, malencontreusement, une approche technique et des illusions technocratiques. En y voyant de plus près, cela ne pouvait en être autrement, le candidat Tebboune s'est présenté aux Algériens en électron libre, en homme d'expérience, libéré de tout bord politique. Monsieur Tebboune aujourd'hui élu, au risque de se désavouer, ne pourrait se prévaloir d'une vision politique quelconque, construite à partir de débats, de convictions et de choix forgés au fil de longues années de militantisme.

Il doit le savoir, Monsieur le Président, les chantiers politiques sont durs et leur aboutissement demande du temps, mais restent peu productifs sur le court terme et demandent du personnel pourvu de convictions fortes ; les solutions techniques de problèmes visibles au commun des mortels, quant à elles, ne nécessitent qu'un peu de pragmatisme et une exécution rapide.

Est-ce la bonne approche ? Rien n'est moins sûr, les solutions techniques ne sont pas toujours les bonnes, la somme des solutions expertes ne sont pas toujours productives et optimales parce qu'elles sont, justement, techniques ; elles ne sont, en fait, que techniques ; elles sont issues, ou importées, de laboratoires dissociés de l'essentiel : le fait social.

Mais aujourd'hui, nous n'allons pas disserter sur ce problème, nous en aurons le temps, croyez-moi. Nous essayerons de mettre la lumière sur la notion de sécurité juridique, évoquée par Monsieur le Président pour améliorer l'attractivité du pays et encourager l'investissement.

Les pouvoirs publics ont tout essayé, ou presque, pour libérer l'acte d'entreprendre et convaincre les investisseurs. Ils prennent enfin conscience, selon le Président, que l'inflation et l'instabilité des lois et des règlements sont devenues des vecteurs autonomes et puissants d'insécurité juridique. Ils reconnaissent la part du droit et de la sécurité juridique dans l'attractivité d'un territoire.

La sécurité juridique peut être définie comme étant la clarté et la précision des règles de droit et des actes individuels qui constituent, à un certain moment, le cadre juridique dans lequel les autorités exercent leurs compétences et les particuliers leurs activités. C'est, en fait, un idéal de fiabilité d'un corpus de textes, appliqué à l'entreprise, leur permettant de prévoir raisonnablement les conséquences juridiques de leurs actes ou comportements et qui respecte les prévisions légitimes déjà bâties par elles dans le but d'y favoriser la réalisation.

Si le terme sécurité juridique semble dans l'ère du temps, il est en réalité l'émanation du principe, ancien, de préservation des droits acquis. Tout système juridique est jugé sur ses aptitudes à permettre la création de la richesse, à favoriser le développement et assurer la sécurité juridique des sujets de droit. Ce même système détermine l'organisation, notamment, des entreprises et les modes de prise de décision. Les particularités tenant à chaque discipline juridique font que le principe de sécurité juridique en droit des affaires peut s'avérer difficilement conciliable, entre le besoin grandissant de prévisibilité et le caractère fluctuant de la matière. L'enjeu étant toujours et particulièrement l'aptitude à favoriser les investissements.

Par ailleurs, s'il n'existe aucun droit au maintien d'un règlement en vigueur, ce qui n'est toutefois pas recherché dans l'absolu, les aléas d'un changement de réglementation doivent pouvoir être anticipés et amortis au mieux, par l'instauration de mesures transitoires. Au stade de l'application des normes, une évaluation périodique et systématique doit permettre de mesurer les résultats obtenus au regard des objectifs fixés l'obligation d'assortir les projets de loi d'une étude d'impact pour mieux anticiper les coûts et avantages auxquels peuvent s'attendre les entreprises. Toujours en amont, l'extension des mécanismes de rescrit ou de pré-décision représente une perspective prometteuse pour la sauvegarde de la sécurité juridique. Au stade de la rédaction, un soin particulier doit être apporté à la clarté des normes nouvelles.

Les applications faites dans ce domaine, particulièrement dans le monde de l?entreprise, me paraissent significatives. Ainsi, dans les rapports internes de l'entreprise, la consécration du principe d'égalité entre associés et la primauté de l'intérêt social sur les intérêts personnels des associés constituent un gage de sécurité juridique.

De plus, les associés, dans leurs rapports avec la société, bénéficient d'un droit de communication, d'information et de consultation des documents et comptes sociaux, et ce quelle que soit la forme de la société.

L'obligation de désigner des commissaires aux comptes dans les sociétés anonymes et certaines sociétés à responsabilité limitée, ainsi que la procédure particulière de validation des conventions dites réglementées ou l'interdiction de certaines conventions entre la société et ses dirigeants peuvent également être présentées comme des mesures susceptibles de renforcer la sécurité des associés.

En effet, la certification faite par un professionnel que les comptes sont «réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé, ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société pour l'exercice en cours et l'obligation incombant au commissaire aux comptes, sous peine d'engager sa responsabilité, de signaler les irrégularités et les inexactitudes constatées dans l'accomplissement de ses missions et surtout, de révéler les faits délictueux constatés, sont d'abord des mesures protectrices des intérêts des associés, même si elles peuvent aussi contribuer à rassurer des tiers, en l'occurrence les créanciers sociaux.

La qualité des relations juridiques de l'entreprise avec les tiers repose essentiellement sur deux piliers, l'accès au crédit et la responsabilité au sens large du terme, le fait de répondre de ses actes.

Puisque le lien entre la maîtrise, la lisibilité et la stabilité de la règle juridique et le développement des activités de l'entreprise n'est plus à démontrer et qu'on assiste, sur un plan international, à la recrudescence du «Law shopping» d'une part, et, d'autre part, la qualité, la fiabilité et le caractère favorable de chaque système juridique sont aujourd'hui autant de facteurs déterminants pour le choix du lieu d'implantation des sociétés, il est question de prendre des décisions mesurées, documentées et surtout cohérentes pour arrêter les réformes à engager, leurs rythmes d'exécution et les chantiers à privilégier.

L'avenir nous dira si les arbitrages temps technique/temps politique ont été mûrement réfléchis, si leur séquencement et les temps impartis pour leur exécution minutieusement étudiés pour donner forme à ce qui semble recherché par les Tebbounistes : Une Algérie nouvelle.