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Quel impact du coronavirus en Chine sur la croissance mondiale et l'économie algérienne via le cours des hydrocarbures ?

par Abderrahmane Mebtoul*

L'impact du coronavirus en Chine ralentira la croissance mondiale déjà faible en raison des tensions commerciales entre les USA et la Chine, le Britex anglais, le poids de la Chine dans le PIB mondial. Cela a, par voie de conséquence, un impact sur le cours des hydrocarbures et donc sur les économies dépendantes des hydrocarbures dont l'Algérie, à qui ils procurent directement et indirectement 98% de ses ressources en devises. De nombreuses compagnies aériennes, dont Air France, British Airways, Air Canada, Lufthansa, American Airlines, United Airlines ont suspendu depuis fin janvier leurs vols vers la Chine continentale pour tenter de freiner la propagation du virus. Du fait du poids économique de la Chine, cela a un impact sur la croissance de l'économie mondiale.

1. Il s'agit d'abord de situer l'importance de Wuhan, où s'est propagée l'épidémie, ville ultramoderne de 11 millions d'habitants et l'une des neuf villes les plus importantes de Chine, qui est un centre scientifique et économique majeur, notamment pour l'industrie automobile, mais aussi dans les secteurs économiques de pointe, avec quatre parcs scientifiques. La province du Hubei représente 4,5 % du PIB de la Chine, étant un nœud routier et ferroviaire et un port maritime et fluvial sur le Yangzi Jiang, artère de communication vitale entre la mer de Chine orientale et l'intérieur. Pour mesurer l'impact économique de cette épidémie avec la réduction de la consommation intérieure et la réduction des échanges extérieurs, il faut une analyse spatiale mesurant les grands marchés potentiellement impactés et tenter de chiffrer la perte de production en fonction du degré d'exposition des centres industriels aux mesures de confinement et de la durée de ces mesures. C'est qu'en ce début du XXIème siècle il y a interdépendance des économies : un exemple : l'arrêt de l'usine Hyundai en Corée du Sud, en raison de la défaillance des fournisseurs chinois de câbles électriques et plusieurs constructeurs ont annoncé des fermetures temporaires en Asie, comme Proton en Malaisie. C'est que la Chine est devenue fournisseur de composants pour toute la filière mondiale, exportant en 2019 pour environ 70 milliards de dollars de pièces détachées et accessoires automobiles, dont 20% vers les États-Unis. De façon immédiate, les principaux pays concernés par les perturbations qui affectent la Chine sont ses voisins du Sud-Est asiatique, et également les constructeurs européens présents en Chine comme Volkswagen (qui y a produit 3 millions de véhicules en 2019) et BMW.

2. Cette situation impacte donc la croissance de l'économie chinoise dont le marché intérieur, compromettant les perspectives de croissance pour 2020 prévue à + 6%, taux déjà en retrait par rapport à 2019, avec une probabilité d'une baisse au moins à un point de croissance, ce qui ramènerait la croissance du PIB chinois 2020 au-dessous de + 5%. Et par ricochet, cela aura un impact sur la croissance de l'économie mondiale loin des prévisions du FMI qui avait tablé alors sur une reprise (+3,3%, contre +2,9% en 2019) grâce à une pause dans la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, taux très fiable puisque le taux était à près de 3,8% en 2017, à 3,6% en 2018. Mais comme rappelé précédemment, en effet, du fait de l'interdépendance des économies, devant analyser les impacts indirects, bon nombre d'entreprises dans le monde dépendant pour leurs inputs et pour leur marché, ces taux sont plus importants, impactant la croissance mondiale qui était déjà fragilisée. Selon «Usine Nouvelle» les secteurs les plus bouleversés sont la chimie, le textile, l'automobile et l'électronique. Les pays émergents, les pays limitrophes en Asie risque d'en pâtir et selon des experts également l'Europe qui est une région vulnérable avec un risque de récession en Allemagne et en Italie. C'est que l'Europe est la deuxième puissance économique mondiale avec un PIB nominal en 2018 de 18.750 milliards de dollars contre 20.494 pour les USA et 13.407 pour la Chine, sur un total mondial de 84.740. C'est que le poids de la Chine dans le PIB mondial a plus que doublé, à près de 20% en 2019 contre 8,8% en 2003, étant devenu le premier consommateur de la plupart des produits de base et le premier partenaire commercial de nombreux pays. Selon une étude du mois de février 2020 parue dans Echos.fr, le pays représente au sein de l'économie mondiale, dépense du tourisme 20% ; production de biens 19,7% ; l'encours de crédit 19,6% ; le commerce 13%. C'est dans ce cadre que bon nombre d'organismes internationaux ont donc élaboré plusieurs scénarios pour 2020 en fonction du temps pour maîtriser l'épidémie: le premier scénario optimiste avec une probabilité de 25% le taux de croissance de la Chine serait de 5,7% contre une prévision d'environ 6% ; le second scénario de base, avec une probabilité de 50% le taux de croissance de la Chine serait de 5% ; le troisième scénario pessimiste, avec une probabilité de 20% le taux de croissance de la Chine serait de 4,5% et enfin quatrième scénario catastrophique, avec une probabilité de 5%, le taux de croissance serait inférieur à 4%. Toutefois, les experts s'accordent à éviter toute prévision hasardeuse du fait des capacités financières de la Chine où le 31 janvier 2020, les réserves de devises atteignaient 3.115 milliards de dollars, ce qui donne au pays une forte capacité de résistance face à un ralentissement de ses échanges internationaux, tout en reconnaissant que ses clients et fournisseurs devront faire face à d'importances pertes de revenus.

3. Concernant l'impact sur le cours des hydrocarbures, la Chine, selon le bureau d'Etat des Statistiques (BES), pour 2019, la Chine a importé pour 506 millions de tonnes de pétrole brut, 9,5% au-dessus du niveau de 2018, selon les données de l'Administration générale des douanes, équivalent à 10,12 millions de barils par jour (b/j), selon les calculs de Reuters basés sur les données et les importations de gaz GNL et pipelines ont augmenté de 6,9% pour atteindre 96,56 millions de tonnes. A titre de comparaison, en 2018, les importations de pétrole brut ont atteint 460 millions de tonnes, une croissance de 10,1% par rapport à 2017 et les importations de gaz naturel 90,39 millions de tonnes, en hausse de 31,9% La Chine consomme en moyenne 14 millions de barils de pétrole par jour, soit 15% de la demande mondiale, avec une demande de pétrole estimée à environ 11/12% sur une demande mondiale en 2019 de 99,77 millions barils/jour (prévision en 2020 avant l'épidémie 100,98 millions de barils/j) fonction de sa croissance entre 10/11 millions de barils jour. C'est une demande presque équivalente à la production russe ou celle de l'Arabie saoudite. Pour sa part, l'Opep a fortement revu à la baisse de 19% dans son rapport mensuel sa prévision de croissance de la demande mondiale de pétrole brut : «l'impact de l'épidémie de coronavirus sur l'économie chinoise a ajouté aux incertitudes concernant la croissance économique globale en 2020 et par extension sur la croissance mondiale de la demande de pétrole en 2020. Les importations chinoises sont passées d'environ 11 millions de barils jour à 8 millions et pourraient descendre à 7 selon des agences internationales et, avec les impacts indirects si l'on prend les prévisions de l'OPEP, la demande Chine et hors Chine baisserait de 19 millions de barils par jour. L'Arabie saoudite est le premier fournisseur de la Chine, environ le quart de ses exportations, suivie de la Russie selon les statistiques douanières chinoises, le plus gros producteur au sein de l'organisation (environ 10,5 -11 millions de barils/jour) étant l'Arabie saoudite, des pays comme l'Algérie, ayant peu d'influence, avec environ 1 million de barils jour étant marginal. Dans tous les cas de figure, l'OPEP représentant environ 40% de la production commercialisée, est impuissante face à cette baisse de la demande d'autant plus que 60% se fait hors OPEP, avec deux acteurs stratégiques, les USA devenus premier producteur mondial en 2019 (pétrole/gaz de schiste) et la Russie, sans compter les nombreux producteurs nouveaux qui sont entrés sur le marché pour le gaz. Autre mauvaise nouvelle pour le cartel : la Chine s'est engagée depuis la mi-janvier 2020 dans le cadre de l'accord commercial USA/Chine, à acheter pour 200 milliards de dollars de produits américains supplémentaires entre 2020/2021, dont une fraction concerne le pétrole-gaz et, mauvaise nouvelle pour l'Algérie, la demande européenne, principal client pour la gaz, a baissé substantiellement face tant à l'épidémie qu'à une concurrence acerbe, Transmed et Medgaz fonctionnant en sous capacités. Mais cela n'est pas propre à l'Algérie, puisque selon le site spécialisé dans l'énergie, interfaxenergy, les flux de gaz canalisé de l'Afrique du Nord vers l'Europe ont diminué depuis le début 2020 de 19,4% sur une base hebdomadaire et de 41,7% sur une base annuelle pour atteindre 412,82 millions de mètres cubes (MMcm)

4. Si l'épidémie du coronavirus venait à s'accentuer, nous assisterions à des répercussions sur les cours mondiaux du pétrole et des matières premières. Dans ce contexte de déprime, le cours du pétrole a été coté le 17 février 2020 dans la matinée pour le Brent 57,22 dollars et à 52,38 dollars le Wit pour une cotation euro-dollar 1,0838, le cours du gaz naturel, très volatile, déconnecté du cours du pétrole, sur le marché libre 1,840 contre 1,830 dollar le MBTU et le GNL entre ¾ dollars. Cette situation un impact direct sur l'économie algérienne mono-exploratrice, le moteur de la croissance restant depuis des décennies toujours la dépense publique via la rente des hydrocarbures (98% des recettes en devises directement et indirectement) déterminant le taux de croissance à plus de 80% à travers ses impacts directs et indirects comme moyen de financement, le GN représentant 75% des exportations, le GNL -25% au total 33% des recettes de Sonatrach avec une baisse de plus de 40% depuis 2010. En cas d'un cours entre 55/60 dollars les recettes de Sonatrach, auquel il faut retirer 25% pour avoir le profit net et également la part des associés étrangers, ne devrait pas dépasser les 28/30 milliards de dollars pour une importation de biens 42/43 milliards de dollars plus les services 9/10 milliards de dollars, soit entre plus de 51/53 milliards de dollars, existant des limites aux importations environ 85/90% des matières premières étant importées, la raison principale étant un mauvais choix de allocation sectorielle favorisant les importations via le surfacturations et les transferts illicites de devises comme cela a été l'expérience négative du montage des voitures que j'ai dénoncée en 2010 (voir notre contribution au Quotidien d'Oran) et que certains redécouvrent maintenant.

5. Face à la baisse des cours qui impactent les recettes des hydrocarbures et les lois de finances 2019 et prévisionnelle 2020 fonctionnant sur la base d'un cours entre 95/100 dollars selon le FMI, le risque est l'épuisement des réserves de change, le premier semestre 2022, qui évolue ainsi selon les données de la Banque d'Algérie : -2012 :190,6 milliards de dollars -2013 :194,0 milliard de dollars ?fin 2014 :178,9 milliards de dollars -2015 :144,1 milliards de dollars -2016 : 114,1 milliards de dollars -2017 : 97,3 milliards -2018 : ?fin 2019, 62 milliards de dollars. Au rythme 2019/2020, malgré la paralysie d'une grande partie de l'appareil de production du fait du mauvais choix de l'allocation sectorielle d'investissement, les réserves de change devraient clôturer avec l'hypothèse d'un cours de 60/62 dollars le baril, non pas à environ 52 milliards de dollars fin 2020, mais à 48 car devant ajouter un minimum de 4 milliards de dollars dus à la fois à la chute du cours du gaz et pétrole et au financement des projets prévus par le gouvernement. Dans cette hypothèse, nous aurons 48 milliards de dollars fin 2020, 28 milliards de dollars fin 2021 et 7 milliards de dollars fin 2020, sauf endettement extérieur ciblé et une nouvelle gouvernance (la moralité). Car l'on doit méditer l'expérience 2000/2019 où avec une entrée de devises de plus de 1000 milliards de dollars entre 2000/2019 (98% provenant de Sonatrach) et des importations de biens et services de plus de 940 milliards de dollars, l'Algérie a connu un taux de croissance faible, moyenne annuelle entre 2/3%, alors qu'il aurait dû dépasser les 9/10%. Cela a un impact sur le taux de chômage qui, selon le FMI, devrait dépasser 13% en 2022, avec la forte pression démographique, plus de 44 millions d'habitants au 01 janvier 2020, et plus de 50 millions horizon 2030, devant créer en plus du taux de chômage 350.000/400.000 emplois nouveaux par an et non des emplois rentes, quitte à faire exploser les caisses de retraite. C'est que tout programme de gouvernement pour sa réalisation nécessite des objectifs réalistes, un calendrier précis pour les réalisations et des moyens de financement en dinars et en devises différents projets. Toute augmentation par exemple des salaires sans corrélation avec la productivité entraîne, et c'est une loi économique universelle, une dérive inflationniste qui pénalise les couches les plus défavorisées devant tenir compte du poids de la sphère informelle dans la structure de l'emploi qui permet un revenu collectif. L'on devra par des mesures populistes, éviter un nivellement par le bas qui pénaliserait les couches moyennes et se répercuterait sur la productivité globale. Concernant la fiscalité, sujet très sensible, un des fondements de toute politique d'orientation de l'investissement et de la motivation au travail, il serait utopique de drainer une importante masse monétaire sans intégrer la sphère informelle non imposable, un accroissement d'impôts sans études préalables accroissant pousserait certains segments de la sphère réelle à aller vers la sphère informelle. Quant à la politique domaniale, s'est-on posé la question, combien d'habitation en Algérie possèdent un titre de propriété qui permettrait de drainer pour le budget de l'Etat un important montant ? Quant à la récupération des transferts de capitaux, pour les placements dans des paradis fiscaux ou en bons anonymes, c'est presque une impossibilité et pour les biens tangibles achetés à l'étranger, sous réserve de non utilisation de prête-noms étrangers, de longues procédures judiciaires sont nécessaires avec des coûts faramineux de cabinets d'avocats. Le plus important est mettre en place des mécanismes de régulation transparents pour arrêter cette hémorragie et surtout que l'Algérien apprenne à vivre en fonction des moyens dont dispose la Nation, ayant un PIB qui ne dépasse pas 180 milliards de dollars en 2019 largement irrigué par la rente des hydrocarbures via la dépense publique. Car, les lois de finances 2019 et prévisionnelle 2020 fonctionnent sur la base d'un cours du pétrole supérieur à 95/100 dollars le baril. Sans la réforme profonde des institutions centrales et locales autour de grands pôles régionaux et de la justice, il serait utopique de s'attaquer à l'essence de la corruption, se limitant à des actions conjoncturelles où les mêmes causes produiront les mêmes effets de corruption si l'on maintient les mêmes mécanismes de régulation. Face aux enjeux géostratégiques, la région africaine et euro-méditerranéenne, devant connaître d'importants bouleversements horizon 2020/2030, impose à l'Algérie une stratégie d'adaptation tant politique, économique que militaire et de profondes réformes structurelles qui nécessiteront un dialogue permanent et un minimum de consensus politique et social, tenant compte des différentes sensibilités. L'Algérie a besoin pour éviter la léthargie de rassembler tous ses enfants dans leur diversité, par la tolérance des idées d'autrui, afin de favoriser le développement économique et social tenant compte de la dure réalité mondiale où toute nation qui n'avance pas recule forcément.

*Professeur des universités, Docteur, expert international