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L’obésité, une épidémie silencieuse (en Algérie aussi)

par Akram Belkaïd, Paris

Ami algérien qui mange ta pizza au concentré de tomate (gorgée de sucre et de sel) avec de la mayonnaise et des frites bien huileuses le tout accompagné d’un soda lesté de sucre blanc avant de t’envoyer deux ou trois mille-feuilles ou flans et de finir par un thé, ou un café, caramélisé, tu ne fais pas simplement du mal à ton corps mais tu pénalises aussi les finances publiques de ton pays. Ce n’est pas le présent chroniqueur qui l’assure mais un rapport récent de la Banque mondiale qui l’affirme, chiffres à l’appui (1). Selon cette vénérable institution, deux milliards de personnes sont concernées dans le monde par l’obésité ou le surpoids. Pour la Banque mondiale, il s’agit d’une «épidémie discrète» qui concerne les pays riches mais surtout les pays en développement (70% des obèses ou des personnes en surpoids dans le monde).

Explosion des coûts de santé

Les chiffres fournis dans le rapport ont de quoi faire réfléchir. Ainsi, le coût total lié au surpoids devrait atteindre 7 000 milliards de dollars dans les pays en voie de développement d’ici les quinze prochaines années, c’est-à-dire demain. Déjà, on dénombre quatre millions de morts chaque année en raison de l’obésité, ce qui fait de cette dernière l’une des trois principales causes de décès dans le monde et cela devant les conflits armés. Dans son livre «Homo deus, une brève histoire du futur», l’historien Yuval Noah Harari le dit autrement : «le sucre est devenu plus dangereux que la poudre à canon».

A quoi correspond ce chiffre de 7 000 milliards de dollars ? C’est tout simplement la somme de toutes les dépenses induites par l’obésité : santé, assurance, prévention, primes de décès, etc. En Chine, en 2000, le surpoids comptait pour 0,5% des dépenses de santé annuelle. Ce taux est passé à 3% en 2009 et ne cesse d’augmenter. Le cas du Brésil est encore plus parlant : 5,8 milliards de dollars de coût en 2010 contre 10,1 milliards de dollars prévus en 2050. En clair, une vraie barrière au développement que la Banque mondiale qualifie aussi de «bombe à retardement».

Les raisons sont connues. Dans les pays en développement, nombreux sont ceux qui mangent peu et mal. Alors que les pays riches découvrent les vertus du végétarisme (être végétarien) voire du végétalisme ou du véganisme, préférant le quinoa à la viande d’agneau (une tueuse silencieuse), les pays en développement sont noyés sous les produits transformés, les sucres rapides et les graisses saturées. Trop de viandes, pas assez d’exercice, trop d’utilisation de la voiture, pas assez de marche, voilà autant de raisons qui expliquent ce boom de l’obésité. Signalons au passage que la Banque mondiale explique aussi que cela est aussi dû au fait que les femmes travaillent plus qu’avant et qu’elles n’ont donc plus le temps de (bien) préparer à manger... Résultat, les maris, les enfants et elles-mêmes ont tendance à mal se nourrir (2). On laissera à l’institution financière la responsabilité de ce propos... Concernant l’Algérie, le rapport évalue à 11,7% le nombre d’enfants de moins de cinq ans déjà obèse et à 68,1% le taux de femmes en surpoids (71,3% en Égypte, 77% pour le Koweït, 67,8% pour la Tunisie et 66% pour le Maroc).

Taxer la nourriture ?

Que faire pour lutter contre l’obésité ? La Banque mondiale estime nécessaire les campagnes de prévention et les programmes pour une alimentation saine. Mais elle suggère surtout de recourir à l’arme fiscale en taxant tous les produits susceptibles d’aggraver le surpoids. Voilà qui ouvre un vrai débat.

Les gouvernements ont-ils le droit de taxer plus que de raison la nourriture même au nom de la santé publique ? Et, concernant l’Algérie, faut-il limiter les subventions allouées à certains produits jugés responsables du surpoids (sucre, pain blanc) ? On relèvera simplement que l’argument de santé publique est parfois d’un grand secours pour les idées néolibérales...

(1) «Obesity: Health and Economic Consequences of an Impending Global Challenge» (Obésité: conséquences sanitaires et économiques d’un défi mondial imminent), worldbank.org, 27 janvier 2020.
(2) «Women entering the formal market labor force in large proportions in most high-income countries and in low- and middle-income countries, requiring changes in food consumption» : «Les femmes entrent sur le marché du travail formel dans la plupart des pays à revenu élevé et dans les pays à revenus faible et intermédiaire, ce qui implique des changements dans la consommation alimentaire.»