Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Europe : déclin, dénatalité, invasion de migrants, harraga - Réponse à la pensée de Martin Heidegger : «Seulement un Dieu peut encore nous sauver» (Suite et fin)

par Medjdoub Hamed*

Donc il demeure que c'était toujours leurs pensées qu'ils ne commandaient pas qui les poussaient à la guerre. Et là c'est la Grâce du Créateur dans leurs pensées qui a été pour ainsi dire l'onction donnée à leur guerre afin de permettre à d'autres peuples de sortir du joug où ces peuples les ont mis. Donc, la Grâce du Créateur est partout dans les êtres, aujourd'hui ces êtres sortis de la colonisation sont en grand nombre dans les ex-pays colonisateurs. De même, des ex-colonisés, donc des harraga qui bravent la mer, au péril de leurs vies, pour élire domicile dans ces pays qui les ont colonisés. Et ce sont leurs pensées qui les poussent à traverser la mer pour aller en Europe. Parfois, ces sont des harraga qui ne sont pas dans le besoin, en particulier des Algériens qui souvent sont de famille aisée, et eux-mêmes ont une situation sociale parfois enviable, ils ne leur manquent rien, et pourtant ils traversent la mer à bord d'embarcations de fortune pour rejoindre l'Europe.

Pourquoi le font-ils ? Parce que ce ne sont pas eux les harraga qui bravent la mer bien qu'ils le soient réellement. Ce sont leurs pensées qui leur font entrevoir l'Europe comme un «eldorado», un «paradis», à l'image d'une «mine d'or» ? Leurs pensées leur disent «Rester en Algérie, pourquoi faire ?» Leurs pensées leur ordonnent de partir, de programmer leur départ, et donc payer le droit de passage. «Et peu importe s'ils meurent en mer, ce sont les risques encourus.» La mort est donc transcendée, les harraga qui traversent la mer, au final, n'existent que par ce que leur dictent leurs pensées. A certains, elles les dissuadent, leur font prendre conscience des dangers, et est-ce que cela en vaut le danger ? A d'autres, elles les poussent à foncer vers l'eldorado, et peu importe qu'ils meurent. Ils sentent le danger, et ils vont quand même. Et cela n'a rien à voir avec le courage ou la peur, ou la volonté de partir, ils sont commandés par leurs pensées. Alors que l'Europe n'est pas un eldorado, il existe certes plus de droits, mais la vie est aussi difficile que complexe. Et cet aspect n'existe pas dans leurs pensées, leurs pensées les font penser autrement.

De l'autre côté de la Méditerranée, les Européens crient à l'invasion par les Africains et les Arabes. Et se renforcent des mouvements d'extrême droite qui rejettent les étrangers. En clair, des pensées humaines qui rejettent des pensées humaines. Et le monde est régi précisément par ce Tout pensé, gouverné par Dieu. Ce qui nous fait dire que s'il y a eu esclavage, colonisation par le passé, et aujourd'hui migration clandestine, c'est parce que cela devait être, c'est un peu le retour de manivelle de l'histoire de la colonisation. D'autant plus que les pays d'Europe connaissent une grave crise démographique, la dénatalité pousse l'Europe à recourir à la migration. Et pratiquement tous les pays d'Europe sont touchés, et ils ne peuvent s'auto-compenser, se renouveler avec les disparitions et augmenter la natalité, donc la seule porte ouverte, ce sont les migrants africains et arabes.

Et l'humanité change, et on a beau fermer les frontières, la terre est aussi à tous les humains, et pour peu que les conditions l'exigent et l'accordent, les frontières s'ouvrent. Il est évident que dans cinquante ans, ou quatre-vingt ans, la population européenne sera probablement euro-africaine. Et si elle devient euro-africaine, l'Europe fera inévitablement jonction avec l'Afrique et le monde arabe. Il n'y a pas de solution avec la chute démographique de souche européenne, le processus va jouer comme aux États-Unis. Et il y a le progrès de l'humanité qui fait tomber les frontières.

Aux États-Unis, il y avait environ 500.000 esclaves lors de l'indépendance de 1776, la population noire est d'environ 60 millions aujourd'hui. Et environ 1 million de migrants viennent chaque année aux États-Unis. Dans 50 ans, ce sera 50 millions de diverses origines qui viendront peupler les États-Unis. Si les blancs de souche non hispanique sont encore majoritaires, ils ne le seront plus dans 50 ou 80 ans. D'ailleurs un noir d'origine africaine, Barack Obama, est devenu président de la première puissance du monde, et a été réélu. Le même processus va jouer inévitablement en Europe.

Demain un noir africain ou un musulman pourrait être élu à la magistrature suprême dans les grands pays d'Europe, ou à la Commission européenne. Donc extrême droite ou non, c'est le même processus à venir dans 50 ans, 80 ans. Déjà, aujourd'hui, une nouvelle procédure est préparée pour élargir l'Union européenne à six pays des Balkans (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Monténégro, Macédoine du Nord et Serbie), pour passer de 28-1 États (moins le Royaume-Uni) à 33 États. Il est clair que tout relève de l'avenir de l'Europe et donc du monde à venir. L'Europe craint que les pays des Balkans se détournent de l'Europe au profit de la Russie et la Chine.

Donc il y a un mouvement historique profond qui relève de la marche de la Pensée qui gouverne le monde. Qu'on l'accepte ou non, c'est ainsi. Le monde ne se fait pas seulement par ce que font les hommes. Et ce qui est tracé pour eux, ils ne s'en rendent compte qu'au fur et à mesure qu'ils avancent dans l'histoire. Il y a 80 ans, l'Europe régnait en maître sur le monde. Ce stade historique est passé. Elle ne règne plus sur le monde. Bien plus, elle a besoin de s'unir, et s'unir toujours plus pour faire face à la Chine avec ses presque 1, 4 milliards de Chinois, des travailleurs hors-norme, de l'Inde en montée en puissance, avec son 1,35 milliards d'Indiens. Alors que l'Amérique se repeuple de migrants et l'Europe aussi.

Prenons une autre population, les pays arabes. Ils ne cessent de s'entredéchirer, et les grandes puissances les aident à s'entre-déchirer parce qu'elles trouvent intérêt à cet entre-déchirement. Là aussi entre la Grâce de Dieu, si les pays arabes s'entre-déchirent par les guerres, c'est parce qu'ils ne méritent que cela. S'ils étaient unis, et avaient opposé un front à leurs adversaires, ils ne se seraient pas entre-déchirés dans des guerres sans fin. Prenons la Syrie, la Libye, le Yémen et d'autres pays, pourtant les guerres avec Israël ont cessé, et ils continuent de s'entredéchirer. Et même Israël continue à souffler sur le feu. Oublié que le peuple d'Israël a été ghettoïsé, et que c'est lui qui ghettoïse des peuples. Mais Israël et-il conscient de lui-même, de la Grâce qui l'a amené à fonder un État ? Non, il a oublié ses souffrances passées, et il marche par la force sur les autres peuples.

Pour les pays arabes, l'Islam est pourtant omniprésent en leur sein et leur interdit de faire la guerre entre musulmans, et pourtant ils s'affrontent dans des guerres. Pourquoi ? Parce qu'ils s'affrontent pour les richesses qu'offre le pétrole. Il en va de même pour les grandes puissances qui elles aussi s'affrontent pour le pétrole. Donc c'est un tout qui s'entredéchire, et si telle est la destinée comme ce qui s'est passé pour les deux guerres mondiales, c'est qu'il y a un but inscrit par la Grâce qui vient du Créateur. En clair un plan qui transcende les hommes.

Il est évident que ces guerres dans le monde arabe vont s'arrêter d'une manière ou d'une autre. Mais elles ne s'arrêteront pas parce qu'elles doivent s'arrêter. Parce que des guerres ont existé en d'autres temps où le pétrole était le Nouveau Monde. Les peuples d'Europe s'entre-déchiraient aussi pour le Nouveau Monde, tous voulaient leurs parts dans les nouveaux continents découverts. Les rois d'Europe avaient droit de vie et de mort sur leurs sujets. De même, l'Église chrétienne avait droit de vie et de mort sur les chrétiens, tout chrétien qui était taxé de blasphème envers Dieu était brûlé vif sur le bûcher à la place publique.

Les temps sont passés, les peuples d'Europe sont «devenus», «ont changé d'esprit», les rois ont disparu ou sont restés comme des «fétiches», des «curiosités». Ils ne gouvernent plus. Un grand nombre de Chrétiens sont devenus «athées» et ils sont fiers de l'être. Les bûchers sur la place publique n'existent plus. Et si les places publiques d'Europe pouvaient parler ce qu'elles avaient vu durant des siècles ? Si les bûchers sur les places publiques avaient encore existé, les athées l'auraient-ils crié sur les toits ? Évidemment, non. Mais l'histoire passée n'est pas l'histoire d'aujourd'hui. Et donc ce ne sont là que des vestiges de l'histoire. L'homme était, puis est devenu. Mais la grâce octroyée par Dieu a-t-elle disparu ? Non, elle est toujours par ce que les peuples d'Europe sont, sans elle, ils ne seraient pas.

Donc, ce que dit Heidegger est juste, l'être humain est toujours en attente de son Dieu. Qu'il soit croyant ou athée, la différence est dans la forme. Le croyant croit en Dieu, cherche à être apaisé par Dieu, l'athée ne croit pas en Dieu mais cherche à être apaisé par lui-même. Mais lui-même c'est quoi sinon la pensée qui le fait penser et bien qu'il ne croit pas en elle et surtout que c'est elle, sa «Grâce» que Dieu lui a octroyée qui lui permet de vivre, d'exister, et pourtant Dieu le laisse à lui-même.

Pour ce qui est des peuples arabes, la plupart des crises et des guerres sont concentrées dans leur monde, c'est simplement qu'ils vivent ce que des pays d'Europe ont vécu avant eux. Des monarchies arabes soutenues par des grandes puissances, d'autres, des républiques, soutenues par des puissances adverses, et, au milieu, des peuples qui ne savent pas à quel saint se vouer. Il faut que le temps de l'histoire se fasse. Cette période difficile que traversent les peuples arabes est tout à fait normale, mais l'enjeu qu'est le pétrole va forcément se transformer dans le sens qu'il perdra de son importance comme avant lui les colonies sorties de la colonisation ont perdu leur importance.

Le pétrole lui aussi sortira de la «colonisation» par le dollar américain. Et ce jour est proche, et «les guerres ne sont pas une fatalité», elles ne le sont que lorsque les peuples prêtent le flanc et se laissent ronger intérieurement par les intrigues et la division, et laissent donc ouverte la porte à la subversion extérieure. C'est la raison pour laquelle, en ces temps nouveaux, avec les formidables progrès dans les rapports entre les peuples, dans la communication et l'information, que les peuples doivent prendre conscience d'eux-mêmes, et mettre à profit la «Grâce» qui est en eux pour se relever et compter comme les autres peuples dans le concert des nations.

S'ils ne le font pas ou insuffisamment fait, comment la Grâce en eux pourrait s'opérer si eux-mêmes ne font rien ou font peu pour sortir de la calamité des crises et des guerres ? Et on comprend pourquoi le mal est intérieur avant qu'il ne soit extérieur. Cependant, la marche de l'histoire ne s'arrêtera pas, elle avancera toujours et, dépassement après dépassement, le même processus des monarchies en Europe se répètera inévitablement pour le monde arabe.

Une monarchie n'a de sens historique uniquement du stade de maturité auquel est parvenu un peuple. Dès qu'un peuple prend en main sa destinée, le souverain n'a plus raison d'être. Et les peuples arabes n'ont pas encore pris en main leurs destinées. Et c'est d'ailleurs pourquoi ils ont été colonisés. S'ils se sont libérés de la colonisation qui est un fait majeur dans leur histoire, il leur reste cependant «à se décoloniser d'eux-mêmes». A sortir de la sujétion, à devenir eux-mêmes, à aspirer à compter au même titre que les peuples développés dans le monde. Ce sont là de grands défis pour les peuples arabes. Sans ce dépassement, ils continueront à souffrir jusqu'à ce que l'humanité passe à un autre stade de l'histoire.

On comprend dès lors «Pourquoi Dieu ne peut sauver les peuples ? C'est aux peuples de se sauver eux-mêmes par la grâce qui est en eux». Quand Heidegger dit que «Seulement un Dieu peut encore nous sauver.» Mais Dieu nous sauve déjà, c'est lui qui nous fait. Nous ne sommes rien sans Lui. Et tout ce qui s'opère dans l'histoire de l'humanité devait être. Et donc Heidegger ne fait qu'avancer dans «Seulement un Dieu peut encore nous sauver.»

Une prière tout à fait «humaine», Oui ! Si seulement un Dieu peut «encore» nous «sauver». «Sauver qui ?» «L'Europe en déclin ?» Il y a cet appel à un Dieu comme si, allant dans le déclin, l'Europe que Heidegger voulait «être sauvée». Mais elle l'est, «elle est sauvée». N'est-elle pas à 28-1, et dans 4 ou 5 ans, elle sera à 33, le Royaume-Uni reviendra inévitablement à la famille européenne, elle sera à 34, et la Turquie aussi inévitablement dans 9 ou 10 ans, elle sera à 35. Et sauvée, elle le sera toujours comme pour tous les peuples de la terre. Parce que la Grâce de Dieu, d'Allah le Tout-Puissant, est en tout être humain, c'est Lui qui a créé la Terre, l'humanité, le soleil, les astres, l'Univers.

*Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective