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Gouvernance et développement économique... que faire ? (1ère partie)

par Zerouali Mostefa*

«Que ce monde soit absurde, c'est l'affaire des philosophes et des humanistes. Mais qu'il soit injuste, c'est notre affaire à tous» Gilbert Cesbron (1)

Depuis la fin des années 80 pour certains et depuis son indépendance pour d'autres, l'Algérie de l'économie n'a cessé de se chercher et de tâtonner, voire même de naviguer à vue, oscillant entre ouverture et autarcie, entre libéralisme et socialisme, entre souveraineté et intégration des marchés internationaux. En effet, elle a toujours réagi aux impératifs de la conjoncture et aux aléas du court terme, souvent sous l'impulsion et la pression des dangers intérieurs et extérieurs et non pas par opportunisme et intérêts aux occasions du moment. Elle a tenté et essayé, sans succès, de développer un modèle économique pouvant répondre à des critères et objectifs, parfois contradictoires et très divergents, voire même se neutralisant les uns les autres. Parmi ces contradictions, ces divergences et ces automutilations, il y a cette désorientation, cette indécision, cet immobilisme et ce statu quo concernant les attributs et le rôle économique qui devrait être octroyé à l'État.

En Algérie contemporaine, l'État a été construit sur des bases sociopolitiques et économiques dominant les années soixante et soixante-dix. C'est un choix caractérisé par :

- La bipolarité idéologique, politique et économique du monde qui fut nettement partagé entre le bloc libéral, mercantile et démocratique gouverné par les marchés et le pouvoir des capitaux et un bloc communiste, social et dirigé, dominé par l'agent économique public.

- Les contradictions philosophiques et doctrinales caractérisant la société d'avant et après l'indépendance, nettement partagées entre une population habituée à des pratiques, des usages et des activités plutôt libérales ancrées par l'occupant et une nouvelle classe politique qui veut imposer le socialisme insufflé par les soutiens et les alliés de la guerre de libération.

- Les impératifs et les divergences socioculturelles imposés par la situation géographique du pays qui est africain, arabe, musulman, berbère et méditerranéen, nettement partagés entre des normes, des habitudes, des pratiques et des référentiels parfois divergents et contradictoires,

- Et enfin, les aléas et les problématiques très volatiles et incontrôlables d'un pays mono exportateur, de surcroît, exportateur de matière première brute sans transformation aucune, nettement partagé entre les nécessités de satisfaire des revendications sociales de plus en plus coûteuses, lourdes et pressantes et les impératifs de fonctionnement de marchés internationaux dont dépendent les prix de ladite matière exportée, mais qui échappent totalement au contrôle des autorités du pays.

Ces dilemmes permanents et ces problématiques duales cycliques ont toujours impacté, influencé et, parfois complètement neutralisé les choix et les stratégies adoptées par le passé.

Ceci est-il le résultat naturel et systémique de la situation du pays et de son évolution historique, sociale et politique ?

S'agit-il vraiment d'une problématique complexe et compliquée à ce point pour que le pays en subisse plus d'un demi-siècle de temps perdu, de ressources naturelles, humaines et financières gaspillées ?

Quelles seraient les causes de l'échec de toutes ces tentatives de construction, d'élaboration et de mise en place d'un modèle de gouvernance du développement économique cohérent, efficace et efficient ainsi que d'une démarche logique, pérenne et surtout stable ?

Les conséquences sont-elles si insignifiantes et si négligeables pour ne pas s'en mordre les doigts, s'en remuer les méninges et interpeller les esprits de tout un peuple et de son élite ?

Quelles seront les solutions et les propositions qui pourraient aider et contribuer au changement de paradigme dans un pays qui n'a que trop souffert de la maltraitance de ses propres enfants ?

Comment éviter que de mauvais choix idéologiques, que les erreurs et les bêtises d'insuffisance technique et que les agissements et les attitudes de mauvaise éthique ne soient plus la règle ni la caractéristique ni le synonyme associé au terme «gouvernance et politique de développement économique en Algérie» ?

Quelles seraient les variables explicatives que l'Algérie pourrait prendre en considération pour la construction de sa propre équation cartésienne, factuelle, objective et visionnaire de la gouvernance et du développement économique ?

Enfin, les avantages et comparatifs et absolus dont dispose le pays sont-ils suffisamment intéressants et pérennes pour être optimiste ou s'agit-il de simples envies, de fausses illusions et de narcissisme comme on en voit et on en entend dans tous les pays vivant en dehors de leurs cadres naturels ?

À travers cette modeste analyse, essayons de répondre avec humilité, sans se focaliser sur les constats stériles et les opinions alarmistes inutiles et improductives, mais sans toutefois tomber dans le dogmatisme narcissique et for préjudiciable ni dans la langue de bois et les discours populistes d'un mandat politique ou d'une opportunité financière immorale.

En effet, il ne s'agira pas de proposer des solutions de politique économique, de politique commerciale, de politique monétaire, de politique fiscale ou de politique sociale, mais de suggérer des éléments de réponse, des indicateurs objectifs et des paramètres référentiels pour le choix d'une attitude, pour l'adoption d'une posture globale et d'orientation vers une direction précise et assumée.

Revenons donc aux quatre éléments caractérisant et ayant influencé les choix globaux antérieurs de l'Algérie, ou plutôt, de ses différentes gouvernances par le passé. L'analyse de ces quatre aspects permettra de comprendre les causes de nos mauvais choix et de notre désorientation perpétuelle et permanente. Ceci permettra également d'identifier des voies et pourquoi pas, le début d'une solution pérenne et définitive à notre mode de fonctionnement et de gouvernance du développement économique.

Positionnement idéologique et gouvernance conflictuelle !!

Sur le plan historique, notre pays a fait ses choix postindépendance en dehors de son environnement et de ses valeurs historiques naturels. Il a adopté une organisation subjective et construite sur la base de paramètres conjoncturels instables et très volatiles. Il n'avait pas trop le choix à l'époque de sa sortie de cent trente ans d'occupation et de colonisation qui avait déformé, ou au moins impacté lourdement certains de ses modes de fonctionnement socioculturel et certaines de ses pratiques et habitudes économiques. Il était nécessaire de rompre avec ces passés pesants et ces pratiques issues de cette période coloniale.

Donc, le choix n'était pas très difficile à faire, ou plutôt les pouvoirs publics de l'époque ne s'étaient pas trop encombrés à choisir un modèle adéquat, au vu des alliés et des amis qui fournissaient de l'aide directe et indirecte à la révolution et au pays, nouvellement devenu indépendant : le socialisme s'était imposé de façon tout à fait évidente, voire même inévitable, pour l'époque.

Philosophie de gouvernance VS gouvernance philosophique !!

Bien que les choix philosophiques faits à l'époque étaient bien très tempérés et très loin du communisme extrême en vigueur ailleurs et par rapport à d'autres pays et à d'autres nations, ainsi que leur durée de validité très limitée dans le temps. En effet, ces choix n'ont pas fait long feu vu qu'au début des années quatre-vingt, la société algérienne en avait presque tourné la page. Ceci ne s'était pas fait sans conséquences ni séquelles et encore moins sans perte de temps, d'argent et d'opportunités. Les choix de l'époque furent lourds et surtout coûteux en terme de développement économique et de culture de gouvernance dont les cicatrices continuent à saigner jusqu'à aujourd'hui (2). Les exemples les plus frappants sont, sans aucun doute, cette administration archaïque, totalement obsolète qui n'arrive toujours pas à sortir de ce tunnel du socialisme et de la bureaucratie, cette industrie sous toutes ses formes qui n'arrive toujours pas à s'installer durablement de façon efficiente et efficace, cette diversification des revenus hors hydrocarbures qui n'augmente toujours pas au-dessus de 5 % malgré les coûts sociaux et financiers consentis par le pays durant plus de 30 ans d'efforts.

Même si tous les textes de loi ont été modifiés, des réorganisations ont été adoptées, des institutions et des organismes ont été réformés et des discours politiques ont été complètement changés, toute une génération d'administrateurs totalement administrés, de bureaucrates totalement déconnectés de la société, de décideurs complètement habitués au style de gestion centralisée et dirigée, de chefs d'entreprises et d'opérateurs économiques profondément dépendants du bon de commande public et administratif, de responsables et stratèges fortement imprégnés de l'esprit socialiste et complètement déconnectés des pratiques et des usages économiques internationaux, est en charge d'un pays pétillant et en ébullition perpétuelle !!

L'État était sur un chemin et une philosophie de gouvernance tandis que le peuple se trouvait sur un autre chemin et une autre gouvernance philosophique. Ce fut là le premier faux pas de la marche de l'Algérie indépendante et la cause principale de tous les échecs qui suivirent.

En effet, ce choix se heurtait déjà depuis son début aux habitudes, aux traditions et aux pratiques dominantes sur le plan économique où la société ne comprenait pas et n'admettait pas que l'État remplace l'individu de façon aussi marquée, que toutes les décisions économiques soient centralisées entre les mains d'une poignée de bureaucrates qui mettaient sur le même pied d'égalité les fourmis et les cigales pour des raisons incompréhensibles par la société, et en enfin, que leurs libertés économiques millénaires soient confisquées et redéfinies de façon centralisée par de nouveaux «caïds» serviteurs de la bureaucratie opprimante.

Divergence entre gouvernance théorique importée et pratiques de gouvernance domestique !!

Le contrat social n'était pas collectivement négocié, ni librement choisi par la société et encore moins logiquement convenable et cohérent avec la nature et l'histoire réelle de la population algérienne. La gouvernance erronée est née le jour où les agriculteurs ont décidé de dissimuler leurs récoltes, de crainte que la «PM», les «champêtres» ou les «motards» ne les confisquent et les envoient aux silos de dépôts publics gérés l'administration socialiste. L'économie parallèle s'est spontanément installée dès que des régulateurs payés avec de l'argent public se sont mis à exercer des activités économiques pour le motif de réguler les marchés. Le modèle de développement économique était déjà entré en conflit profond entre gouvernance des intérêts des personnes morales publiques et gouvernance des intérêts personnels et privés des gouverneurs en place.

Les modes de fonctionnement et d'exercice de la gouvernance économique par les structures de régulation en place étaient totalement étrangers, et parfois contraires à la culture populaire locale et aux pratiques coutumières nationales. L'Algérien, jaloux de sa culture et de ses habitudes économiques berbères millénaires, était déjà non seulement très lié sur le plan géographique à l'Afrique et ses pratiques commerciales et économiques spécifiques, mais il était encore plus dépendant des chemins classiques de commerce et de négoce avec le monde arabo-musulman accompagnés d'une multitude de pratiques et d'us commerciaux et économiques, et avait hérité de nombreuses coutumes et habitudes économiques méditerranéennes de par les voies de navigation qu'il entretenait dans cet espace aux multiples influences civilisationnelles.

À son indépendance, les choix que l'Algérien devait accepter étaient souvent en contradiction, en divergence et en conflit avec ses propres valeurs et pratiques admises de gouvernance.

Multiplicité des problématiques, toutes gouvernées par un seul outil : la rente !!

La multiplicité et la diversité des problématiques auxquelles l'Algérien devait apporter des solutions n'avait comme réponse que la construction d'un modèle basé sur la rente d'une matière première dont ni le cours, ni les quotas ni la durée de vie n'étaient contrôlés d'une quelconque façon qu'il soit. Ce modèle était censé être provisoire et temporaire jusqu'à ce que le pays parvienne à mettre en valeur ses autres avantages comparatifs ou absolus.

Cependant, conjugués aux tares et aux contradictions de choix, de philosophie et de culture économique ci-dessus totalement incompatible avec la société algérienne, les efforts déployés étaient régulièrement réduits à néant et neutralisés. La même réponse était toujours donnée aux diverses questions et nécessités stratégiques et économiques du pays.

La rente ne résout pas toutes les problématiques d'une nation qui vient de sortir de cent trente ans de colonisation, dont les populations sont jeunes et en croissance exponentielle, dont les avantages comparatifs et absolus ne sont ni bien identifiés ni bien mis en valeur, dont la géographie immense et la culture diverse supposaient l'existence de multiples réponses à une même problématique, dont les opportunités et les avantages d'une interconnexion à l'économie mondiale n'ont jamais été exploités ni même essayés.

Problématiques réellement complexes ou complexification réelle des nos problématiques !!

Toutes ces contradictions avaient-elles été analysées et intégrées aux réflexions et débats, si débats et réflexions il y avait ou il y en a ? Personnellement, je ne pense pas que ceci avait été pris en considération dans toutes les décisions précédentes ayant pour objet le choix et l'adoption d'une posture, d'une attitude et d'un modèle de gouvernance du développement économique global et pérenne.

Nous répondions, et malheureusement nous continuons jusqu'à maintenant à répondre, à des impératifs conjoncturels et circonstanciels guidés par des pressions exogènes incontrôlables et incontrôlées par des positions tantôt consenties à d'amis appréciés et alliés trop intimes, et tantôt cédés à des ennemis craints et trop débordants. Nous avons rarement, voire même jamais, essayé de développer à partir des aspirations et des inspirations internes et nationales alors que les variables endogènes sont comme les maladies douces : elles sont mortelles dans des douleurs inouïes, et dont les symptômes ne sont visibles qu'à des phases terminales et tardives.

Construire ce précieux modèle de développement suppose d'abord la connaissance de la société algérienne, de sa culture, de ses référentiels éthiques et moraux, de ses traditions et habitudes économiques, de ses compositions et consistances géographiques et ethniques, de ses forces effectives et de ses faiblesses réelles, l'identification de ses avantages absolus et de ses atouts relatifs, de ses connexions régionales ou internationales naturelles et spontanées, de ses menaces immédiates et latentes.

Aucun des modèles économiques en vigueur dans le monde n'est figé ni constant. Ils sont tous progressifs et évoluent avec l'évolution des sociétés pour lesquelles ils ont été conçus initialement. Ni le modèle de gouvernance du développement économique chinois ni celui de l'Inde ne sont similaires à celui qu'avait adopté l'Union européenne ni celui qui fait tourner l'économie américaine.

Ni les référentiels techniques, esthétiques et éthiques du modèle de gouvernance du développement économique turque ni leur évolution dans le temps ne correspondent aux référentiels et à leur évolution en Malaisie ou en Indonésie. Mais une chose est commune à tous ces modèles économiques: ils sont d'aspirations et d'inspirations nationales et domestiques d'abord et avant tout. Ils s'adaptent tous aux impératifs et exigences internes de leurs populations et de leurs contraintes internes avant d'intégrer ou de prendre en considération les facteurs exogènes et internationaux.

A suivre

*Ancien banquier et consultant freelance en finances islamiques.

Note:

(1) Romancier et homme de littérature française (1913/1979).

(2) Le sort et les conséquences de financières du complexe sidérurgique d'El Hadjar, de l'industrie automobile, du textile et de l'électronique sont tellement révélateurs de nos erreurs et de nos égarements, qu'il est nécessaire d'en faire des cas d'école à enseigner à nos descendants.