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Quelle nature juridique pour la future Constitution ? Parlementaire ou plébiscitaire ? (Suite et fin)

par Belhoucine Mohamed*

Quelle nature juridique il faut conférer au régime ? Quels seront les pouvoirs du président en cas de circonstances exceptionnelles ? Quelle sera la portée du droit de dissolution par le président de la République ? En privilégiant l'esprit sur la lettre et faire éviter au pays des chaos parlementaires à répétition, il sera sage de défendre la suprématie présidentielle dans une démocratie conçue à l'origine comme étant parlementaire. Le président est un contrepoids d'origine démocratique à l'omnipotence parlementaire afin d'éviter les excès du «parlementarisme absolue», dit aussi «parlementarisme inauthentique».      

En incipit au début du texte partie I, W. Mommsen résume en deux mots cette légitimité présidentielle : les parlementaires indépendants où ceux issus de partis n'ont la légitimité que d'une partie de l'électorat, mais le président a la majorité grâce au suffrage universel.

Le parlementarisme authentique consiste à ce que le parlement ne doit pas être omniprésent, qu'il doit subir un contrôle exercé par une instance démocratique, élue démocratiquement, qu'est le président de la République. La dictature présidentielle dite plébiscitaire est fondée d'une part sur la double critique de la démocratie parlementaire et de l'Etat de droit, et d'autre part sur l'apologie du pouvoir absolu du président qui seul peut décider du cas d'exception en cas d'urgence ou de troubles quand l'Etat et le pays sont en péril.

Dans des cas d'exception, de troubles ou de guerre civile, il faut d'abord une place à part au président pour qu'il puisse bénéficier d'une sorte d'exemption constitutionnelle. Dans ces conditions, Il faut un seul chef sinon rien n'aboutira.      

Le président ne doit pas être soumis à la norme constitutionnelle lorsqu'il dirige l'armée ou la politique extérieure. De même lorsqu'il déclare l'état de siège, le président est libre de déterminer à la fois si les conditions légales sont remplies et quelles mesures doivent être prises.

Seul fait établi, la Constitution ne doit pas ignorer le principe fondamental du régime parlementaire, à savoir la responsabilité politique du gouvernement devant le parlement. Dans ce cas il faut définir clairement la mission du Premier ministre : est-il responsable des actes du président où ce n'est qu'un simple agent administratif dont le rôle est de coordonner les différents ministères ? Et devant qui, s'il y a lieu, cette responsabilité doit s'exercer ?

A la lumière de l'expérience de ces 10 derniers mois dans notre pays, faute de dispositif sécuritaire de lutte contre les fausses nouvelles, les slogans orientés, les écrits dopants des banderoles combinés à la propagande étrangère, la résilience de notre population ne peut que s'affaiblir face aux périls intérieurs et extérieurs. Le risque que le Hirak mute en forces contre-révolutionnaires (contras) est de plus en plus probant. Le pouvoir civil installé après le 22 février 2019, faute de légitimité fut rejeté par l'ensemble de la population et n'a pu combler le vide politique. C'est grâce au concours des forces de l'ordre et de notre unique rempart, l'armée, que la paix civile fut préservée sans effusion de sang.

Sur ce registre, à l'état actuel d'avancement de notre société algérienne, nous divergerons de la tradition constitutionnelle libérale à laquelle notre peuple n'est pas préparé, qui institue une subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil.

Plus important encore que ces rapports entre instances constitutionnelles, l'élément essentiel du régime tient à la prééminence de l'armée et de l'administration dans le fonctionnement de l'Etat. Pour préserver notre Amne El Kaoumi en cas de péril, nos forces armées ne doivent-elles pas bénéficier d'une large autonomie et d'une indépendance statutaire ? L'armée est une force morale ; elle n'a pas à prêter serment pour veiller à la Constitution. Ces deux instances, le parlement aussi bien que le Président, ont leur origine dans la même source, à savoir la volonté du peuple. Pour cela, nous avons la garantie que si la volonté d'un de ces organes suprêmes s'égare dans une direction quelconque, l'autre pourra la corriger. Nous arrivons ainsi à posséder, en la personne du Président, un contrepoids à l'omnipotence du parlement.

La justification essentielle des pouvoirs accordés au Président est donc une justification que ses pouvoirs, entre autres, servent à l'exercice d'un contrôle sur d'éventuels dérives ou abus du parlement.

Par contre, beaucoup de constitutionnalistes considèrent que l'organe suprême de l'Etat n'est pas le président mais le parlement. Ces mêmes constitutionnalistes invoquent des arguments éloquents à cet égard : on ne peut refouler le parlement par la démocratie, mais de développer et de consolider une démocratie parlementaire, l'authentique parlementarisme postule en effet deux organes suprêmes de l'Etat essentiellement égaux en droits.

Dans la démocratie parlementaire, où tout pouvoir politique procède de la volonté populaire, le Président ne reçoit une position égale à celle de la représentation immédiatement élue par le peuple que s'il n'est pas élu par cette dernière, mais immédiatement par le peuple. Cette égalité des deux représentants du peuple, à mon sens, n'est pas tenable dans la pratique du pouvoir en Algérie, car la prééminence présidentielle l'emporte et a plusieurs justifications :

a) La dictature plébiscitaire est fondée sur l'urgence et les circonstances exceptionnelles (les 3 concepts, l'urgence, la décision et l'exception, sont des apports épistémologiques philosophico-juridiques incontestables du juriste philosophe C. Schmitt). Un régime ne peut pas tenir s'il est secoué par une «crise perpétuelle».

b) Nécessité d'intégrer les conditions politiques de fonctionnement d'un régime parlementaire dans les règles de droit.

c) A la lumière des expériences dans les grandes démocraties : «La Constitution adopte le parlementarisme et considère implicitement comme allant de soi qu'un gouvernement s'appuyant sur une majorité parlementaire fonctionnera.» (R. Smend). Le régime parlementaire reposerait donc sur une norme implicite ? l'existence d'une majorité parlementaire stable?. Cette normativité sociopolitique exprime la nécessité politique d'un parlement capable d'agir avec une majorité capable de gouverner. L'Histoire nous enseigne que les parlements sont voués à des «désunions internes», au «morcellement des partis» et à «l'absence chronique de majorité».

d) Sans arrangements juridico-politico-constitutionnels, le fonctionnement du système des partis semblerait condamner à mort une république. En puisant dans la philosophie, la politique et le droit normatif, nous aboutirons au constat que le pluralisme démocratique débouche sur une critique constitutionnelle du régime en raison de la subordination de la norme constitutionnelle à la normativité politique (Rudolf Smend, 1882-1975).             

e) En d'autres termes, pour le constitutionnaliste et philosophe reconnu, Rudolf Smend qui lisait couramment l'arabe, l'introduction du thème adjacent à la désunion parlementaire, du désordre ou du chaos politique, conduit à légitimer le recours à la solution présidentialiste, c'est-à-dire le recours au Chef.

f) Vu l'état historique d'avancement culturel et matériel de nos population, toute inflexion vers la démocratie doit s'appuyer sur un appel à l'ordre et sur le caractère plébiscitaire de l'élection pour revendiquer la suprématie du président.

g) Grâce à l'élection du président au suffrage universel direct, le président jouirait d'une autorité supérieure, c'est-à-dire une plus grande légitimité que le parlement.

h) En effet, selon l'argumentation plébiscitaire, la supériorité du premier sur le second proviendrait de la différence de nature entre deux élections au suffrage universel direct. Tandis que l'élection législative crée du pluralisme et l'irresponsabilité d'un corps anonyme. L'élection présidentielle engendrerait l'unité et la responsabilité personnelle d'un Chef. Par conséquent, l'origine plébiscitaire du pouvoir présidentiel assurerait à son détenteur sa suprématie dans l'exercice des pouvoirs.

Contrairement au grand sociologue allemand Max Weber (1864-1920), l'idée démocratique sera radicalisée par le juriste philosophe Carl Schmitt. Schmitt analyse l'idée démocratique en termes d'exclusion politique. Ainsi, à la lumière de l'expérience nazie en Allemagne et du fascisme en Italie, la démocratie reste toujours exposée à un gros risque et dilemme général. Que des forces anti-démocratiques prennent le pouvoir, comme nous le rappelle l'expérience récente de beaucoup de démocraties dans le monde qui se trouvent aujourd'hui confrontées au péril anti-démocratique et fasciste et pour lequel il ne faut pas fermer les yeux (l'arrivée au pouvoir de Trump aux USA, Modi en Inde, Orban en Hongrie, Bolsonaro au Brésil, etc.). Ces différents fascismes apparaissent dans des formes et situations différentes.

Que devient une démocratie quand elle n'a pas de majorités démocratiques ? Que devient une constitution démocratique quand les pouvoirs constitutionnels, qui sont conférés à des majorités à condition que celles-ci se fondent sur une conviction politique démocratique, parviennent à des mains non-démocratiques ou même anti-démocratiques (le cas des islamistes en Algérie, Tunisie ou l'Egypte) ? Dans aucune forme de gouvernement que dans une constitution purement démocratique, un tel fossé n'est possible entre la forme constitutionnelle et la réalité politique.

En d'autres termes, la réalité politique imposerait d'interdire l'ennemi politique (Carl Schmitt) afin de sauver la constitution elle-même. Cette thèse de l'interdiction politique des ennemis de la démocratie explique l'impossible neutralité politique de la constitution, ou si l'on veut de sa nécessaire partialité politique.

A la différence des parlementaristes, il faut défendre la solution néo-absolutiste d'une souveraineté présidentielle qui, par ricochet, visera à défendre la primauté du pouvoir militaire sur le pouvoir civil pour assurer la stabilité et la sécurité du pays face aux ennemis intérieurs (les contras) et extérieurs (l'impérialisme).

Certes, c'est une position réactionnaire mais seule viable pour assurer l'avenir de la démocratie, la stabilité de l'Etat, l'équilibre de nos institutions et la sécurité pour nos populations.

*Docteur en physique et DEA en sciences du management