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Après le franc CFA, l’éco

par Akram Belkaïd, Paris

Est-ce la fin d’une survivance de la période coloniale ? Cette semaine, les huit pays qui constituent l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) ont annoncé la fin du franc CFA et son remplacement par une nouvelle devise «l’éco». Par contre, ce changement ne concernera pas les six États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC : Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine et Tchad) qui utilisent l’«autre» franc CFA.

Retrait de la France

Pour mémoire, le franc CFA qui signifiait jadis «franc des colonies africaines» et dont l’acronyme a été maintenu à la suite des indépendances pour donner «franc de la communauté financière en Afrique [ou africaine]» pour l’UMOA et «franc de la coopération financière en Afrique centrale» pour la CEMAC, fait l’objet de critiques virulentes depuis au moins trois décennies, nombreux étant ceux qui y voient un outil de sujétion utilisé par l’ancienne puissance coloniale afin de garder intacte son influence dans la région.

Avec l’éco, qui rime avec euro, ce n’est pas simplement un changement de nom qui intervient. Point majeur, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui gère actuellement le franc CFA de l’UMOA, ne sera plus obligée de déposer la moitié de ses réserves en devises dans les coffres de la Banque de France. A l’origine, cette disposition devait garantir la stabilité du franc CFA mais, au fil du temps, elle était considérée comme une insupportable dépendance à l’égard de la France. Dans le futur, la BCEAO sera donc libre de gérer ses réserves comme elle l’entend.

Plus important encore, la France ne siègera plus dans les instances de gouvernance de l’Union monétaire ouest-africaine, qu’il s’agisse du Conseil d’administration ou du Comité de politique monétaire. En clair, «l’œil de Paris» n’existera plus dans cette institution. Durant plusieurs décennies, des témoignages de responsables africains décriaient le comportement un peu trop condescendant, pour ne pas dire néocolonial, des fonctionnaires du Trésor français.

Pour autant, deux dispositions lieront encore l’éco à la France – ce qui a provoqué nombre de commentaires négatifs à l’annonce du changement de dénomination. D’abord, le «peg», ou lien fixe qui existe entre l’euro et le franc CFA, reste maintenu. Un euro vaudra donc 655,96 écos. Ensuite, la France offrira une garantie financière à l’UMOA qui se traduira par une ligne de crédit destinée à couvrir les besoins en devises de la BCEAO. En clair, la France mettra à disposition des liquidités en cas notamment de fuite de capitaux ou de spéculation contre l’éco. Les détracteurs de ces deux dispositions estiment que la garantie financière pourrait aggraver l’endettement de l’UMOA tout en donnant à Paris un moyen de pression politique remplaçant son retrait des instances de cette union monétaire.

De même, le maintien de la parité fixe est vu comme une mauvaise nouvelle pour celles et ceux qui estiment que le franc CFA, et donc l’éco, est surévalué, ce qui pénaliserait l’activité économique et notamment les exportations. D’autres économistes jugent, à l’inverse, que cette parité est le meilleur rempart contre l’inflation dans la zone. Quoi qu’il en soit, il est fort probable que les marchés testeront ce lien fixe dans les années à venir.

Monnaie unique en devenir

La naissance de l’éco, dont on ne connaît pas la date exacte de lancement, concerne un cadre plus large que la seule UMOA. En effet, cette devise doit devenir la monnaie unique de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette dernière compte, outre les huit pays de l’UMOA, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Nigéria, la Sierra Leone et le Cap Vert (le Maroc dispose d’un siège d’observateur). C’est normalement en 2020 que les 15 pays de la CEDEAO doivent tous avoir la même monnaie. Avec l’éco, des exigences de pays comme le Nigeria ou la Guinée sont en partie respectées à savoir que le Trésor français n’aura plus de droit de regard sur la gestion de cette monnaie. Mais il reste beaucoup à faire pour assurer la convergence économique de cette zone. Pour autant, les pays du Maghreb qui avaient envisagé une monnaie commune dès 1989 pourraient réfléchir au retard qu’ils prennent en matière d’intégration monétaire.