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Liberté - Ecoute - Tolérance : le trio recherché par Novembre 2.0

par Maya Souilah Benabdelhafid*

Injecté par le mouvement populaire du 22 Février 2019, l'esprit Novembre 2.0 a marqué et marque encore les esprits.

L'Algérie du 1er Novembre s'est lancée de nouveaux challenges, notamment son élite qui est plus que motivée pour relever un principal challenge, celui de l'édification du pays. Ce défi risque de s'estomper sans un dialogue constructif basé sur la liberté, l'écoute et la tolérance. Qu'il soit réel ou quasi virtuel, il est utile d'adopter le dialogue comme un art. Un art qui offre à l'Algérie un moyen pour générer une intelligence collective nécessaire au décollage économique tant souhaité.

Le dialogue réel : un besoin pour l'être humain

Afin de comprendre l'art du dialogue, il est nécessaire d'investiguer et de se questionner. Le dialogue ne se réalise pas uniquement avec des personnes, mais il se réalise également avec soi-même. D'après plusieurs chercheurs, si Platon a écrit des dialogues plutôt que des traités, ce n'est pas pour donner un tour dramatique et plaisant à l'aridité de la recherche philosophique. L'idée est que le dialogue traduit la structure première de la pensée. Socrate, dans Théétète, explique comment la pensée est représentée: il s'agit du dialogue de l'âme avec elle-même. Cette pensée est un discours que l'âme se tient, qui ne s'adresse pas à un autre et que la voix ne profère pas. Conséquemment, la présence réelle de l'interlocuteur et l'oralité ne sont pas les seules conditions de tout dialogue. Le dialogue platonicien n'est pas une conversation, un échange de vues mais plutôt le mouvement d'une pensée se posant à elle-même ses questions et ses réponses. De plus, si on ne sait pas vraiment dialoguer avec soi, on arrive difficilement à dialoguer avec les autres. Mais comment pourrait-on dialoguer avec soi ? Une des solutions efficaces est de chercher le silence afin d'écouter sa conscience par la méditation ou la prière par exemple. L'idée est que l'être humain soit dans une atmosphère de détente afin qu'il puisse inviter sa conscience à communiquer, lui poser des questions et surtout avoir des réponses qui pourraient être négatives. Et si c'est le cas, ce n'est pas grave, car c'est le but du dialogue. D'ailleurs, prendre conscience et comprendre son état courant pour l'améliorer davantage est une solution efficace pour entreprendre des actions positives et converger vers les bonnes solutions. Toutefois, ce simple dialogue risque de se compliquer lorsqu'il s'agit de dialoguer avec autrui ! Dialoguer n'a jamais été facile. Dès son jeune âge, l'enfant a du mal à dialoguer avec ses parents, des parents quotidiennement pressés et stressés. Heureusement qu'il existe des moments de détente permettant de renforcer leurs liens. Sages sont les parents qui créent ces moments et les vivent quotidiennement au tour d'une table pendant le dîner ou le week-end en jouant en famille. Conscients sont ceux qui attendent les périodes des vacances pour se rapprocher et inconscients sont ceux qui négligent leur importance. Dans un contexte moins familial, l'être humain se retrouve encore plus perdu car il estime souvent qu'il doit convaincre les autres par son dialogue. Celui-ci est censé être un mode de conversation rimant avec sagesse et arguments convaincants. Toutefois, la réalité s'avère différente surtout quand il s'agit d'une multitude d'interlocuteurs. En effet, la continuité du dialogue pourrait faire perdre le contrôle à l'interlocuteur. Aveuglé par la liberté d'expression et les arguments convaincants, il oublie parfois l'écoute et la tolérance. Même s'il paraît récepteur, il passe cet état d'attente à chercher une occasion pour reprendre la parole toujours avec le même objectif de convaincre. Sages sont ceux qui parviennent à quitter la discussion en ayant instruit eux-mêmes. Ces personnes sont d'une grandeur d'esprit leur permettant de poursuivre le dialogue ou de l'abandonner quand c'est nécessaire. Leur tournure d'esprit s'adapte au contexte; ils adoptent l'art du dialogue constructif. Conscients sont ceux qui persistent à dialoguer en liberté avec écoute mais leurs esprits risquent de s'échauffer par la tenue de propos catégoriques et sans retour. Inconscients sont ceux qui ne veulent même pas tisser le lien pour entamer un dialogue car ils espèrent maintenir la vision qu'ils ont sur la situation ou pire encore car ils croient détenir seuls les solutions sur tout. L'art du dialogue appelle donc à ce que les interlocuteurs (émetteur et récepteur) soient en harmonie avec le trio : liberté-écoute-tolérance. L'adoption de ce trio se répercute directement sur la société. Les sages adhèrent entièrement et arrivent en toute liberté à écouter les autres et les valoriser malgré leurs différences pour trouver des solutions et avancer. Ils arrivent à installer un dialogue constructif dans un espace qui est fait de raison parce que le compromis y est pleinement accepté. Les conscients se contentent du duo liberté-écoute car ils ne veulent ou n'arrivent pas à être tolérants. Résultat, le dialogue adopté est loin d'être constructif. Enfin, les inconscients se retrouvent seuls car ils sont anti-dialogues. Ceci est dans un contexte habituel ou l'on est confronté à l'autre dans un espace réel. Qu'en est-il alors si le contexte était virtuel ?

Le dialogue virtuel par les réseaux sociaux

Le dialogue virtuel a vu le jour dans les années 80 avec l'arrivée du Minitel et ses messageries. A cette époque, il est écrit en mode synchrone et l'on connaît son interlocuteur uniquement par un pseudo, il ne le voit pas et n'entend pas sa voix. Ce premier dialogue virtuel s'est prolongé sur Internet jusqu'aux années 2000. Ensuite, le haut débit est apparu introduisant l'image et l'on réussit ainsi à établir des téléconférences basées sur l'utilisation d'écrans permettant de voir et d'entendre son interlocuteur. On pourrait penser que l'on est revenu à un mode de dialogue réel étant donné la ressemblance, mais plusieurs formes sont venues réintroduire la virtualité. Nous citons, entre autres, les forums de discussion, les chats et les réseaux sociaux qui sont utilisés en temps réel. L'adoption de ces formes de dialogues quasi virtuels a facilité le dialogue des interlocuteurs entre eux et même avec les institutions, les entreprises et les médias. Il s'agit d'espaces d'échange dans lesquels se redéfinissait profondément la place des individus qui deviennent des preneurs de parole dans l'espace public, ce qui a causé le bouleversement de l'ensemble de l'humanité. Celle-ci fait face à un nouveau type de dialogue basé sur des machines qui entraînent les interlocuteurs à poser des questions. Résultat, on arrive non seulement à découvrir comment on passe d'une question à une autre mais aussi à réaliser que chaque question ouvre de nouveaux horizons. Avec les réseaux sociaux, divers groupes s'activent chaque jour sur toute la planète causant succès et échecs. Sages sont ceux qui arrivent à bien les consommer et avec modération et inconscients sont ceux qui publient et commentent d'autres publications pour finir inconsciemment par dévoiler leurs vies pour ensuite être ciblés par des prédateurs et devenir leurs otages. A cet égard, les leçons du passé lointain ou d'actualité comportent de nombreux scénarios de drames et de mystères. Qu'en est-il de celui des Algériens enfants de Novembre 2.0 ?

Novembre 2.0 pour une intelligence collective

Tout a commencé le 22 février 2019. Une phrase très adoptée par les médias de nos jours. La vérité est que cela ne date pas de 2019 mais de quelques années plus tôt lorsque les Algériens découvrirent les réseaux sociaux, notamment le Facebook comme réseau personnel et Linked-in comme réseau professionnel. Quoique les deux soient utilisés actuellement pour assumer des fonctions semblables. En effet, on trouve des comptes Facebook professionnels et aussi des utilisateurs Linked-in harcelés par des propositions qui relèvent du contexte personnel. Ce qui est sûr, c'est que les utilisateurs en raffolent et commencent enfin à s'exprimer : une liberté d'expression virtuelle est née ! Algériens et Algériennes ne se retrouvent pas encore dans les rues, mais plutôt sur Facebook et Linked-in. Des sentiments de joie et de peur surgissent tout à coup. Les jeunes deviennent collés à leurs réseaux et les plus âgés, par curiosité et par peur de les perdre, les suivent. Le phénomène ?connecté' voit le jour ! Les réseaux sont fondés sur un principe de partage d'information. Les informations des Algériens connectés se voient donc circuler de bout en bout. Dans son parcours, des merveilles et des dégâts voient le jour. News, photos, vidéos... sont partagées par les Algériens qui se sentent écoutés. Résultat, des couples se créent ou se séparent, de vieux amis se retrouvent, des entreprises réelles et virtuelles sont édifiées, etc. Le concept de partage a offert à l'Algérien un profil plus valorisé suscitant des réactions menant ainsi à une popularité. Plus encore, en adhérant aux réseaux sociaux, les Algériens exercent un effet critique sur l'espace public traditionnel. On observe une subjectivité ainsi qu'une expressivité: énonciation en première personne, vivacité des échanges et même des arguments.

 En quelques années, les Algériens réussissent à bâtir une société de partage qui rêve d'une Algérie pure où la notion de corruption est refusée. Le verbe ?vendredir' est né avec des millions d'Algériens qui se donnent rendez-vous dans les rues pour revendiquer leurs droits. Malgré les divergences dessinées au cours des mois, le principal message converge vers l'édification du pays. Après la prise de conscience provoquée par le partage dans les réseaux sociaux, la question qui fait l'actualité est : comment les Algériens de Novembre 2.0 puissent s'organiser davantage ? Un premier pas est de succomber à l'art du dialogue. Qu'il s'agisse d'un dialogue réel ou quasi virtuel, le trio de l'art du dialogue liberté-écoute-tolérance est à adopter. Le génie individuel des Algériens a émerveillé le monde entier avec son mouvement populaire. Celui-ci pourrait être renforcé par la perception du dialogue réel et quasi virtuel comme un art. Un art pour lequel l'élite et la diaspora pourraient se libérer, s'écouter, et adopter la tolérance. L'Algérien de Novembre 2.0 se sent libre et écouté avec le dialogue quasi virtuel. La tolérance pourrait lui apporter un moyen efficace pour mieux dialoguer et se rapprocher de la sagesse. Fondé sur la tolérance et renforcé par la diversification des disciplines de l'élite et des idées innovantes de la diaspora, le dialogue réel ou encore quasi virtuel générera un autre concept encore plus magnifique, celui de l'intelligence collective. Le challenge est de tirer profit de l'excellence algérienne à plusieurs et maintenir cette aptitude collective à la coopération malgré la divergence des idées et des spécialités dans le but d'édifier le pays.

*Maître de conférences