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Les clauses anti-abus dans les conventions fiscales internationales

par Saheb Bachagha*

Les prix de transfert constituent au sein des groupes internationaux un risque fiscal majeur depuis plusieurs années. Ce risque tend aujourd'hui à s'étendre à des entreprises de taille bien plus modestes mais qui exercent leurs activités sur plusieurs marchés nationaux.

Ces opérations peuvent constituer un vecteur de transfert de bénéfices, au moyen d'un ajustement des prix d'achat ou de vente. Le principe d'utilisation des prix de transfert consiste à tirer profit des disparités nationales par une répartition avantageuse de produits et charges entre les entreprises d'un même groupe. Depuis les années 90, on assiste à une augmentation des échanges commerciaux électroniques venant complexifier le calcul des prix de transfert. La déréglementation des réseaux de télécommunications dans la plupart des pays industrialisés et l'expansion de l'internet ont donné lieu à un nouvel environnement en ligne apparemment sans frontière. Pour plusieurs entreprises, la chute des coûts de communications a fait sauter la barrière de la distance. De ce fait, les entreprises ont davantage la possibilité d'établir leurs activités n'importe où dans le monde.

Le commerce électronique ne permet pas de déterminer facilement la source territoriale du revenu des entreprises, puisque les règles actuelles de l'imposition selon la source se basent sur l'établissement stable et que le commerce électronique n'en a souvent pas besoin.

Aujourd'hui en Algérie un nombre important de groupes internationaux disposent de filiales.et certains de ces groupes ou multinationales procèdent, selon le cas, à des minorations ou à des majorations de prix de transfert pour assurer des profits plus élevés dans des paradis fiscaux où sont implantées leurs filiales, et minorer leur assiette fiscale en Algérie, ce qu'on appelle dans le jargon des fiscalistes le transfert indirect de bénéfices.

Et il est tout à fait logique et normal que l'administration fiscale se mobilise (comme c'est le cas de chaque pays) pour lutter contre ces pratiques dont l'impact sur le Trésor public est considérable. Elle utilise pour cela des dispositifs légaux :

L'article 141 bis du code des impôts dispose « les bénéfices indirectement transférés (...) soit par voie de majoration ou de diminution des prix (?) soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats. Il peut s'agir de :

- la majoration ou de la diminution des prix d'achat ou de vente ;

- l'octroi des prêts sans intérêt ou à un taux réduit ;

- la renonciation aux intérêts stipulés par les contrats de prêts ;

- l'attribution d'un avantage hors de proportion avec le service obtenu ;

- tous autres moyens.

Dans ce contexte, notre pays qui a signé plusieurs conventions fiscales internationales n'est pas à l'abri d'arnaques :

Primo : la notion d'établissement stable n'a pas été définie par le code général des impôts. Ce concept d'établissement stable représente un enjeu important pour les entreprises qui développent une activité à l'étranger. Et c'est sur la base de cette notion que les conventions fiscales internationales, rédigées selon le modèle de l'OCDE, déterminent la répartition des résultats et donc l'assujettissement à l'impôt des profits. Or, dans le commerce électronique, cette notion est difficile à évaluer et les travaux de l'OCDE servent de référence aux États qui y apportent néanmoins quelques aménagements.

Secundo : il peut arriver que les conventions fiscales présentent des divergences avec les définitions des autres États d'implantation des filiales ou de leur maison mère. Le droit conventionnel prévalant sur la notion d'établissement stable en droit interne, notre administration fiscale doit s'y conférer.

Elle est souvent source de litige suivant son interprétation. Cela voudrait dire que si l'on a signé des conventions fiscales mal outillées avec d'autres pays, en cas de contentieux éventuel suite a un redressement fiscal décidé par l'Administration après le constat d'un transfert illicite de revenus imposables à d'autres cieux, il ne faut pas trop compter sur l'article 141 bis du code des impôts, car on risque fort bien de perdre tout contentieux ou arbitrage. Le droit conventionnel international l'emporte sur le droit interne.

Ce que je conseille aux autorités de mon pays :

Premièrement :

De définir dans notre législation fiscale ce qu'est un établissement stable pour bien l'armer face à des risques de fraudes importantes éventuellement.

Un établissement stable est « une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité » ; il est constitué par la réunion de trois conditions :

1 - la présence d'une installation d'affaires dans une juridiction fiscale différente :

2 - la fixité de cette installation ;

3 - la possibilité d'exercer une activité à travers elle.

Il s'agit d'une originalité du droit fiscal qui consiste à attribuer une « personnalité fiscale » à de simples établissements de sociétés dépourvus de personnalité juridique propre et de les astreindre à tenir une comptabilité permettant l'établissement de l'assiette de l'impôt, comme s'il s'agissait de véritables entités juridiques complètement autonomes.

Deuxièmement :

De revoir toutes les conventions fiscales déjà signées et de les doter s'il y a lieu de clauses anti-abus pour colmater toute brèche éventuelle. Car a priori, les conventions fiscales internationales sont par essence des techniques anti-fraudes. Elles permettent de réglementer les relations fiscales entre les Etats par le biais d'une convention qui généralement s'inspire du modèle type OCDE. Il est parfaitement révélateur de constater que les paradis fiscaux ne s'embarrassent pas de tels liens conventionnels qui auraient pour conséquence directe de limiter leur marge d'initiative. Toutefois l'examen de la pratique permet de constater que le réseau des conventions n'est pas totalement étanche à la fraude. Les fraudeurs utilisent certaines lacunes des conventions pour asseoir leur évasion. Il est donc apparu nécessaire de mettre en œuvre ce que l'on appelle des clauses anti-abus. Les États-Unis ont longtemps été des pionniers en la matière. La quasi-totalité des États partis à un réseau de convention internationale ont introduit eux aussi ces mécanismes. Il n'y a toutefois guère d'unité en la matière. Le prêt-à-porter fiscal existe au total assez rarement. C'est le règne du sur-mesure.

* Expert Comptable & Commissaire aux Comptes - Membre de l'Académie des sciences et techniques financières et comptable Paris