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Quand le taux d’intérêt est négatif

par Akram Belkaïd, Paris

Commençons par expliquer ce qu’est un taux d’intérêt négatif. Imaginez que vous prêtiez 100 dinars à votre voisin. Quand vient le moment du remboursement, il ne vous rend que 95 dinars et cela en toute légalité. C’est cela un taux d’intérêt négatif. C’est une situation où celui qui a de l’argent doit accepter d’en perdre un peu pour (bien) le placer. Attention, il ne faut pas confondre ce mécanisme avec les pratiques de blanchiment où les malfrats acceptent de perdre une partie de leurs avoirs pour que le reste soit considéré comme propre. Pour le taux d’intérêt négatif, on est dans un contexte économique où l’émetteur de dette est en position de force. Il y a tellement de liquidités sur le marché qu’il a l’embarras du choix. Résultat, le prêteur (une banque, une assurance, un fonds de placement) est obligé de consentir une décote. L’essentiel, pour lui, est que son argent soit placé quelque part et qu’il ne « dorme » pas.

Fin d’une époque

En Europe, la formule, désormais consacrée, est que le secteur de la finance est entré dans un « monde nouveau ». L’idée d’un taux négatif est effectivement étrange après des siècles où le taux d’intérêt positif a représenté la pierre angulaire de toute activité économique. Longtemps, la règle a été intangible : celui qui a de l’argent en prête à celui qui en a besoin et ce dernier rembourse avec une prime, calculée justement grâce à un taux d’intérêt. Que de drames pour les pays, les entreprises et les particuliers ce taux d’intérêt a-t-il provoqués. On connaît aussi tout le débat au sujet de l’intérêt dans les religions. Jadis, les catholiques l’interdisaient. Aujourd’hui encore, nombre de musulmans ne font aucune différence entre taux d’intérêt et usure d’où le développement fulgurant de la finance dite islamique. Petite question au passage. Un taux d’intérêt négatif tel que décrit en début de chronique est-il ou non haram (illicite) ?

Il ne faut pas croire que les taux d’intérêts négatifs sont une bonne nouvelle pour tout le monde.

Certes, ils tirent les taux réels -ceux que l’on pratique dans la vie de tous les jours- vers le bas. Cela vaut, par exemple, pour le secteur de l’immobilier où emprunter pour acheter de la pierre est moins onéreux qu’il y a quelques années. Mais, comme pour tout, l’excès est toujours mauvais.

De nombreux acteurs sont désormais pénalisés par la faiblesse des taux. C’est le cas des assureurs, investisseurs habituels sur les marchés. Exemple : quand un État de la zone euro émet de la dette, les assureurs sont souvent acheteurs. Récemment, ils ont accepté des taux négatifs pour des pays comme la France, l’Allemagne et même la Grèce. Autrement dit, ils ont accepté de perdre de l’argent. Question : que doivent-ils faire pour équilibrer leurs comptes et préserver leur solvabilité ?

Diversification et risque

La réponse tient en un seul mot : diversification. Pour être capables de gagner encore de l’argent, les assureurs font l’acquisition d’actifs qu’ils considéraient jusque-là comme à éviter car risqués. Il peut s’agir d’entreprises ou d’États mal notés par les agences de rating. C’est donc une prise de risque réelle. Cette diversification est en train de créer des bulles et l’on sait ce qui advient des bulles... Faut-il donc espérer un retour des taux positifs ? Certainement mais de manière graduelle et à des niveaux limités. Car, là aussi, les risques sont énormes.

Nombre d’entreprises et d’États qui profitent aujourd’hui des taux bas pourraient prendre de plein fouet un relèvement brutal du loyer de l’argent. Et cela mettrait aussi leurs prêteurs dans une mauvaise situation. A bien des égards, les taux négatifs représentent une situation des plus inconfortables.