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Aramco, l’IPO minimale

par Akram Belkaïd, Paris

Les chiffres donnent le tournis et font saliver la planète boursière dans sa totalité. On devrait savoir dans quelques jours, vraisemblablement le 9 novembre, les conditions précises d’entrée en Bourse du géant pétrolier saoudien Aramco. Cela fait des années que l’opération, tel un serpent de mer, est annoncée puis reportée. Mais cette fois, les autorités saoudiennes viennent de confirmer que de 1% à 2% du capital de l’entreprise seront ouverts aux investisseurs institutionnels et privés. Pour Riyad, cela permettra de lever de 20 à 40 milliards de dollars, Aramco étant valorisée entre 1.000 et 1.500 milliards de dollars. Dans le détail, les agences de notation Moody’s et Fitch ont eu accès aux comptes de la société dont le chiffre d’affaires annuel (2018) a atteint 359,9 milliards de dollars pour un bénéfice avant impôts de 224 milliards de dollars et un bénéfice net de 111,1 milliards de dollars (pratiquement le double du bénéfice net d’Apple, la plus profitable des grandes compagnies).

Riyad, faute de mieux

C’est donc en décembre que l’Initial public offering (IPO) ou entrée en Bourse d’Aramco aura lieu. Mais, au-delà des montants annoncés et de la concrétisation du projet annoncé dès 2015 par le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS), il convient de considérer l’opération avec une certaine prudence. Le bémol, et il est de taille, est que l’IPO n’aura lieu qu’à la Bourse de Riyad. Certes, cette dernière est ouverte aux investisseurs étrangers depuis 2015 mais on est loin de l’entrée en Bourse à Londres, New York ou Paris comme le stipulait le projet initial. De fait, deux obstacles empêchent que le capital de l’Aramco ne soit ouvert par le truchement de places financières occidentales ou même asiatiques.

Le premier est lié aux conséquences de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en octobre 2018. Après cette tuerie, impossible pour les autorités saoudiennes d’organiser l’IPO à la City de Londres ou encore moins à Wall Street du fait de l’émotion provoquée par cet assassinat et par les poursuites dont pourraient faire l’objet les responsables saoudiens. On imagine mal un « road show », série de conférences dans les grandes villes pour convaincre les investisseurs de participer à l’entrée en Bourse, se dérouler dans un contexte médiatique aussi hostile, la « générosité » des autorités saoudiennes ne pouvant empêcher tous les articles et manifestations critiques.

Transparence des comptes

Le second obstacle concerne la transparence des comptes de l’entreprise. Certes, Fitch et Moody’s ont eu accès à ses livres mais il y a une différence entre, d’une part, ouvrir ses chiffres à une agence de notation que l’on paie pour cela et qui s’engage sur une obligation de confidentialité et, d’autre part, publier tous les trimestres des comptes certifiés et destinés à être épluchés par tout le monde. De cela, tout le monde est conscient et cela limite donc la portée de l’opération. Mais les autorités saoudiennes recherchent autre chose et ne visent qu’à enclencher le mécanisme. L’ouverture de capital va donner des couleurs à la Bourse de Riyad, elle-même malmenée après l’affaire Khashoggi (en octobre 2018, il a fallu l’intervention du Fonds souverain saoudien pour y empêcher un krach). Avec le « papier » Aramco, les investisseurs étrangers, même soumis à des restrictions légales, vont certainement affluer à Riyad. Pour la monarchie, cela constituera une première victoire en attendant plus.