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«La révolution populaire du 22 février, de la contestation à la chute des Bouteflika», de Mahdi Boukhalfa: Aux premiers moments du Hirak

par Yazid Alilat

«La tentation de trop, celle de vouloir briguer un 5ème mandat au crépuscule de sa vie, à 82 ans, affaibli et d'une santé déclinante, aura mis fin dans des circonstances populaires épiques au règne du président Abdelaziz Bouteflika. Laissant un pays au bord de la crise politique, sociale et financière, avec le recours à la planche à billet pour compléter de maigres recettes pétrolières, le président démissionnaire a cependant réussi le miracle de ressouder le peuple et lui donner l'envie de croire que le meilleur est à venir pour la nation».

C'est là la présentation d'un livre-essai sur la colère des Algériens et leur ras-le-bol du règne de Bouteflika. 20 longues années de gabegie, de prédation et de rapines. Les Algériens, comme pour signifier qu'ils refusent l'obligation politique qui leur est faite par le pouvoir d'accepter un 5e mandat de toutes les trahisons, et pour perpétuer un système politique prédateur, maffieux, se sont alors rebellés et sortis dans la rue faire barrage à un autre hold-up politique : le 5e mandat.

C'est en gros le contenu de l'ouvrage de Mahdi Boukhalfa, «La Révolution du 22 février, de la contestation à la chute des Bouteflika». L'essai, car c'en est un, sur la révolution du sourire a été écrit au tout début des manifestations populaires, estudiantines, pour dire «non» au 5e mandat. Et, depuis le vendredi 22 février dernier, avec ce formidable élan populaire, qui rappelait les premiers moments de l'Indépendance nationale, les Algériens, indépendamment de leur âge et rang social, ont investi la rue pour ne plus lâcher le pouvoir et l'obliger à lâcher prise et partir. Avec comme objectif une simple revendication, pas de 5e mandat et départ du régime en place, pour ouvrir la voie à une douce transition politique.

Cet ouvrage revient largement sur une fraternité algérienne retrouvée. L'auteur s'explique : «Cet ouvrage n'a pas d'autre prétention que celle de rapporter le plus fidèlement possible les péripéties, les événements liés au mouvement populaire du 22 février». «Tout comme les interventions des responsables de partis, de mouvements associatifs, du président de la République et du chef d'état-major de l'ANP, entre le début du grand mouvement populaire dénonçant le 5e mandat, le 22 février, et la journée du 5 avril, coïncidant avec le 7e vendredi consécutif de manifestations populaires pour le départ du régime de Bouteflika.» «Car, si au soir du mardi 2 avril, le président est parti, il a laissé cependant derrière lui toute l'architecture et les hommes qui l'ont servi, y compris les présidents des deux chambres du Parlement et celui du Conseil constitutionnel.» «Ce présent ouvrage, qui a plus la forme d'un travail journalistique, tente d'être le plus près possible des événements, qui se sont déroulés durant la période du 22 février et le 5 avril 2019. Il consigne et tente d'expliquer ce qu'il s'est passé durant les grands moments du mouvement du 22 février, et jusqu'à la démission du président Bouteflika, le 2 avril au soir, et au-delà au vendredi 5 avril.»

Mahdi Boukhalfa souligne en outre que «la raison de la limitation temporelle de ce travail est de donner au public rapidement un premier regard sur ce qu'il s'est passé entre le 22 février et le 5 avril 2019, d'une part. Et, d'autre part, de livrer un premier travail, un premier aperçu non exhaustif de ce qu'il s'est passé durant ce premier acte du mouvement populaire». «Premier acte, car la démission du président Abdelaziz Bouteflika n'est pas une fin en soi de ce mouvement populaire, qui ne cesse de répéter qu'il faut que tout le système parte, depuis la première sortie de manifestants à Bordj Bou-Arréridj et Jijel, avec la force de dizaines de millions de manifestants». Mahdi Boukhalfa précise : «L'objectif des Algériens est de faire partir tout le système de gouvernance actuel, ses hommes et les procédés maffieux de gestion des biens du peuple, et de construire un Etat moderne, démocratique, avec des élites et des responsables à la hauteur de leurs missions. Un Etat de démocratie et de bonne gouvernance, qui encourage et protège l'éclosion du savoir, l'innovation, la production de biens et la juste rétribution du travail de tous. Selon la compétence et les efforts de tous. Un Etat de justice sociale, la fin de la «Hogra», un pays tourné vers l'avenir». Ecoutons l'auteur, journaliste de profession et collaborateur du Quotidien d'Oran: «Durant les grands moments du mouvement populaire, un seul souhait, un seul objectif des Algériens : que leur pays redevienne ce que les promesses politiques de l'indépendance avaient fait miroiter aux Algériens, enfin libres de 130 ans de colonisation». «La Révolution du 22 février, de la contestation à la chute des Bouteflika», revient également sur les revirements et les «retournements de vestes», le lâchage du président, les déclarations mortellement patriotes de certains responsables de partis, leur soutien inconditionnel à la feuille de route qu'a tenté d'imposer aux Algériens un président à la santé défaillante.

Un chef d'Etat qui a tenté de jouer les prolongations en annulant les élections, ce qui n'est spécifié dans aucun article de la Constitution qu'il a revue plusieurs fois durant ses 20 ans à la tête du pays. Les résistances des citadelles de son soutien seront également consignées dans ce travail, FLN et RND en tête, jusqu'à ce que la pression de la rue et la contestation interne ne les fassent revenir en arrière, et regarder la réalité de la situation : Bouteflika est un président doublement fini. D'abord par l'approche imminente de la fin de son mandat présidentiel, ensuite le rejet total de sa feuille de route par le peuple. Durant cette «révolte» populaire, il y avait également et surtout Ahmed Gaïd Salah. De menaçant au début, le chef d'état-major devient, au fur et à mesure de l'épaississement de la contestation populaire, du ralliement chaque vendredi de millions d'Algériens, des manifestations urbaines quasi quotidiennes de corporations professionnelles, des magistrats aux avocats, des enseignants aux étudiants, des syndicats autonomes, des travailleurs de zones industrielles, d'administrations, de médecins et travailleurs de la Santé, de l'Education, plus conciliant avec les manifestants. Et, au milieu du mois de mars, au lendemain du 4e vendredi consécutif de manifestations populaires, juste après le retour de Suisse du président, Gaid Salah va progressivement se retourner contre le chef de l'Etat. Ses interventions devenues quasi hebdomadaires sont suivies et décryptées par les analystes, et le changement de ton que l'on perçoit est que les militaires se rangent définitivement du côté de la rue. Les slogans «djeich-chaab, khaoua-khaoua» (armée et peuple sont frères), ou «Silmya-Silmya» (pacifique-pacifique) donnent, du côté de la rue, le tempo à ces manifestations, et la philosophie du mouvement du 22 février. Plus aucun doute, le pouvoir sait qu'il a affaire à un peuple uni autour de ses revendications, discipliné dans la manière de les arracher. Très vite, les forces de sécurité savent qu'elles n'ont pas affaire à des «manifestants du dimanche», ni à un mouvement populaire spontané qui va rapidement s'essouffler.

Car les scènes de ces milliers de familles qui investissent chaque vendredi les grands centres urbains du pays pour renforcer la contestation populaire, et grossir chaque semaine un peu plus les rangs des millions de manifestants, qui veulent faire «dégager le système», ne trompent pas sur les objectifs du peuple. Le chef de l'armée algérienne, qui compte dans ses rangs la fine fleur des militaires de ce côté-ci de la Méditerranée, des officiers formés dans les plus grandes écoles militaires, va vite comprendre qu'il est illusoire de cautionner la démarche du président. Une démarche suicidaire, susceptible de plonger le pays dans le chaos, un scénario que Gaid Salah avait d'ailleurs évoqué au début des manifestations, à Tamanrasset, et qu'Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre, avait brandi, menaçant contre le Hirak, devant le Parlement, moins d'une semaine après le début des manifestations contre le 5e mandat. Le ralliement de l'armée au mouvement populaire sera décisif. Il y a aussi durant ce premier cycle du mouvement du 22 février, les commentaires intéressés de certaines capitales, Paris en tête. Mais également le point de vue d'historiens, émerveillés par la réaction salutaire de la rue face à la «tentation» du mandat de trop.

Pour M. Boukhalfa, cet ouvrage renvoie à un objectif simple : «Capter et traduire le plus fidèlement possible les premiers instants historiques, les premières pulsions sociales d'un extraordinaire mouvement populaire, le début de la fin de l'ère Bouteflika», comme il s'excuse qu'« il n'est pas exclu qu'il y ait des événements non rapportés, oubliés ou partiellement évoqués» dans cet essai. «Nous nous en excusons. Car à l'origine de ce travail, il y avait l'idée de rapporter, à partir de matériaux tirés des comptes rendus de la presse, notamment électronique (car le mouvement de revendication populaire est constant dans le temps et dans l'espace), le plus fidèlement possible tout ce qui a trait au mouvement du 22 février. Jour après jour, heure après heure, vendredi après vendredi». Et puis, l'auteur, dont c'est le second livre, après «Mama Binette, naufragée en Barbarie» (Les Editions du Net, septembre 2019), s'explique : «Il y a également la nécessité que je me suis assignée de limiter dans le temps ce travail, et de rapporter arbitrairement les événements pendant 30 jours. C'est l'objectif que je m'étais fixé, parler des 30 jours du mouvement populaire du 22 février contre le pouvoir et le 5e mandat que briguait le président Bouteflika. Par la suite, la précipitation des événements à partir du 22 mars, avec la perspective du départ anticipé de Bouteflika, pratiquement poussé à la démission par le peuple et l'armée, a exigé une prolongation temporelle pour ce présent travail, bouclé dans la nuit du 5 avril 2019».

Depuis, le Hirak a poursuivi son petit bonhomme de chemin, harcelant et poussant les représentants du pouvoir à partir. A commencer par Abdelkader Bensalah, installé chef de l'Etat en vertu de l'article 102, que défend toujours Ahmed Gaid Salah, le chef de l'armée. Mais, qui reste sourd aux appels de la rue pour la mise en place d'une transition pacifique, avec l'installation d'un gouvernement collégial, consensuel, chargé de gérer les affaires du pays et de préparer des élections présidentielles dans les meilleures conditions, et le plus tôt possible, après l'annulation de celles prévues constitutionnellement le 4 juillet prochain. Car le Hirak, qui n'a obtenu que de maigres résultats, après le départ de Bouteflika, l'incarcération de son frère Said, les généraux Mohamed Mediene et Othmane Tartag, ainsi que Louisa Hanoune, ne compte pas s'arrêter et veut imposer, plus que jamais, sa sortie de crise : celle de bâtir un Etat moderne, démocratique. Entretemps, une campagne judiciaire à l'italienne (mani pulite) a déjà envoyé à la prison d'El Harrach plusieurs «oligarques», des ministres et les deux ex-Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, en attendant leur procès.