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Comment expliquer le geste « fou » du tueur de la préfecture de police de Paris ?

par Amine Bouali

L'assassinat, le jeudi 3 octobre dernier, à la préfecture de police de Paris, de quatre policiers par un de leurs collègues, Mickaël H, a déclenché une vague d'islamophobie extrême en France.

La raison : le tueur s'était, il y'a une dizaine d'années, converti à l'Islam et présentait des signes apparents de radicalisation. Selon le procureur antiterroriste de Paris, l'assassin, peu avant de commettre ses crimes ignobles, a envoyé pas moins de 33 SMS à connotation religieuse à son épouse. Et au cours des derniers mois, il avait intensifié sa pratique religieuse et exprimé le souhait de ne plus entretenir le moindre contact avec les femmes, dans le cadre de son travail. Il avait aussi modifié ses habitudes vestimentaires, adoptant une tenue traditionnelle «islamique» pour se rendre à la mosquée.

D'autres éléments, néanmoins, qui n'ont rien à voir avec la religion, viennent parasiter ce portrait du «musulman-tueur» qu'une partie de la presse française s'est empressée de vendre à ses lecteurs car des informations divulguées plus tard par cette même presse laissent apparaître une fragilité psychique flagrante de l'assassin, qui aurait aussi pu jouer un rôle dans son passage à l'acte. Ainsi, selon les dires de sa femme, «l'homme aurait été en proie à des divagations, la nuit précédant l'attaque». Et d'après des témoignages de quelques-uns de ses collègues, «il souffrait de frustrations : sourd à 70%, il se plaignait de son manque d'avancement professionnel lié à son handicap». Alors, djihâd à «la mode Daesh» ou «banale» folie meurtrière ? Nous avons demandé au docteur Lotfi Bendiouis, psychiatre, de répondre à cette question troublante puis de tenter une lecture analytique de ce qui se passe dans la tête d'un terroriste avant son passage à l'acte.

Selon ce technicien de l'âme «si le terme de divagation renvoie à un comportement délirant, disons mystique, on peut envisager un désordre psychiatrique survenant chez un sujet fragilisé et frustré, mais il faut voir le contenu des SMS envoyés la veille du crime pour affiner le diagnostic. Il est impossible de conclure formellement à une quelconque pathologie psychiatrique... Je pense qu'il est tout à fait responsable de son acte. Pour ce qui est de la transformation d'un homme apparemment ordinaire en un terroriste, elle est rarement brutale et abrupte. Le terrorisme est le résultat d'un processus qui pousse graduellement un individu vers des comportements violents.

Ce processus se déroule dans un environnement politique impliquant un État, un groupe terroriste et une idéologie. La motivation et la vulnérabilité sont les facteurs psychologiques clés pour comprendre comment une personne entre dans un labyrinthe mental qui le conduira à devenir un terroriste. La motivation est une émotion, une impulsion qui incite à l'action et, ici, au passage à l'acte. Tandis que la vulnérabilité est associée à la persuasion, à la tentation et à la probabilité d'y succomber».

«Le mécanisme qui conduit aux conduites violentes peut être décrit comme suit : À l'origine, apparaît un sentiment qu'on peut résumer par cette expression : «Ce n'est pas bien !». C'est un constat d'insatisfaction ou de grief. Ensuite lui succède une phase mentale résumée par cette remarque : «Ce n'est pas juste !». Précisons qu'une situation indésirable n'est pas nécessairement injuste, car la perception de l'injustice nécessite une comparaison». «S'installe ensuite dans l'esprit du potentiel agresseur, une pensée qu'on peut schématiser dans l'accusation : «C'est votre faute !». Pour un profil psychologique particulier, les mauvaises choses n'arrivent pas sans raison et quelqu'un ou quelque chose doit en être responsable ».

«Enfin surgit le sentiment ultime, la sentence finale: «Vous êtes mauvais !». Le mécanisme pour développer des conduites haineuses envers un groupe ou une institution se met alors en place. La violence (y compris la violence terroriste) est facilitée par l'érosion des barrières qui inhibent le comportement agressif en créant des justifications et en déshumanisant les victimes, en les reléguant à un stade de sous-hommes ou d'animaux nuisibles qu'il faut éliminer...».

Pour le docteur Bendiouis, «d'après les données aujourd'hui connues concernant le tueur de la préfecture de police de Paris, la question reste ouverte : doit-on expliquer son acte barbare d'abord par une approche mal «digérée» de la notion du djihâd en Islam, l'inscrire plutôt dans un processus pathologique de dérèglement du comportement humain ou est-ce l'interaction de ces deux désordres qui a produit cet acte «irraisonnable» à tous les points de vue ?».