Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La tension

par El Yazid Dib

Le pouls politique est dans un rapport très tendu. La tension monte. Les hydrocarbures, la fermeté d'un discours, l'opiniâtreté d'un comportement, les 18 arrivants, le palais et les étudiants, font que le pays est dans une posture cruciale.

La tension ainsi est un vif bouleversement dans le fonctionnement normal de quelque chose. Le pays pourrait souffrir justement de cette carence à constater dans la mauvaise circulation et l'interaction des organes vitaux. Dans le fait aussi que certains canaux d'acheminement se trouvent à des endroits totalement obstrués ou se dorent au fur et à mesure de quelques carapaces de graisse cholestérolable. Le cœur, le pouvoir central le plus conséquent aurait du mal à pousser et crapahuter pour toujours à avoir une sainte vision des choses.

Il est d'une particularité qu'à chaque importante étape d'un processus que des remous, voire de états fiévreux remontent à la surface. La situation que vit actuellement le pays, notamment depuis le déclic du 16/22 février n'est pas extraordinaire. C'est une question de campement et de positionnement. Chacun y va du dos de sa cuillère. Au début, tout le monde tombait, après son « retrait » sur le président déchu, sur son clan, sa gestion, son hégémonie double décennale et s'alignait ardemment aux côtés de la rue, de ce déferlement citoyen. L'on croyait qu'une révolution venait d'être engagée, il ne restait que sa judicieuse et démocratique exploitation. Sa mise en œuvre paraissait au bout de quelques départs de personnes honnies, sous l'emballage des « 3 B » encombrant alors et jusqu'a maintenant l'élan de ferveur politique. La justice ne s'était pas mise en marge et allait expédier au prétoire, au nom du peuple et à sa jubilation presque tous les symboles publics, visibles et ayant pignon sur l'histoire mésaventureuse de l'Etat.

Au fil du temps, des accointances et bien d'autres circonstances, l'on commençait à assister à la naissance des extrémités, au défaut de dialogue et parfois à l'entêtement de part et d'autre. De telle sorte qu'en ce jour, les élections annoncées pour le 12 décembre ne semblent emballer que le pouvoir en place, les candidats à la candidature et quelques membres dont l'adhésion à la feuille de route initiale allait connaitre certains reculs. Dans toutes les étapes allant constituer le cheminement vers des élections, il en manquait l'approbation. La commission du dialogue de Karim Younes avait zappé des acteurs qui sont maintenant candidats à des joutes qu'ils n'ont pu avoir le droit de donner leur avis. L'on aura vu par la suite, en vertu d'une loi modifiant les dispositions électorales, une instance présidée par quelqu'un de nommé, de désigné sans avoir nul égard à rechercher de la garnir d'une certaine adhésion pour enjoliver sa présumée légitimité. L'on ne doute nullement de la probité de ses membres, car en termes de patriotisme il n'y a pas de concurrence.

Si dès le début du Hirak, les revendications tournaient aléatoirement qui sur une transition, qui sur une constituante qui enfin sur des élections avant la fin de l'année, elles se résument présentement au refus de toute élection. Malgré les énièmes vendredis, les mardis, le cours de l'actualité est entrain de l'on dirait de forcer un destin qu'une partie récuse.

Avec l'enchainement rapide de certaines mesures à contrario de l'apaisement ; le mouvement s'est endurci et vient de pousser des « personnalités » dites nationales à sortir de leur mutisme, pour certains et demander avec vigueur au pouvoir de revoir sa copie. Ainsi le départ du dernier gouvernement de Bouteflika que dirige superficiellement un Bedoui absent et évaporé, le respect des libertés de l'exercice de l'acte politique, de l'expression, des manifestations publiques, la libération des détenus d'opinion, la levée des contraintes quant à la mobilité sont entre autres des préalables pour voir des élections honorables, transparentes et ouvertes.

Chez tout observateur un peu imbu sans parti pris des conjonctures politiques actuelles, ces « conditions » ou ces pré-requis restent à la portée du pouvoir. Il dira à quoi sert Bedoui et l'insistance pour son maintien ? Il ne semble pas le Monsieur se plaire dans ce rôle même s'il a consenti à apporter toute sa force pour se complaire. Il ne peut être l'homme de la situation, fut-elle qualifiée de transitoire. La transition est cette parenthèse extraordinaire que l'on ouvre dans un cycle anormal pendant un moment pour la fermer une fois un travail visé accompli. Une brèche lumineuse et rapide dans la pâleur d'un ciel longtemps enténébré. Elle nécessite pour l'idéal de son accomplissement une main neuve, un esprit neutre et un nouvel œil.

En plus, la haute dextérité, la droiture morale, l'impartialité et l'inculpabilité sont les axes fondamentaux au profil du garant d'une transition. Un fonctionnaire usuel donc qui avait gravi crescendo tous les échelons, évoluant le plus souvent sur la bande d'arrêt d'urgence, même commettant des gentillesses ne peut, au nom de tous les principes du management lorgner la vertu exigible d'un médiateur peuple/pouvoir. Que l'on aille creuser ailleurs pour trouver un premier ministre consensuel apte à mener le pays jusqu'au 12 décembre. Que l'on fouine dans le mouvement populaire, dans la fuite des cerveaux, dans les tiroirs fermés, dans les arrière-vitrines, dans les caves des recalés, dans les fiches bleues raturées, les dépôts et les réserves de la république quoi , car le carnet des adresses habituelles de l'histoire et de la révolution s'est totalement épuisé.

Pour ce qui est de la liberté d'expression, il dira cet observateur averti que l'histoire a prouvé mille fois que l'on ne peut emprisonner le verbe et ce n'est pas en tuant le coq que l'on empêchera l'aube de se lever. Reste à appliquer fermement la loi en cas d'infractions expressément mentionnées et éviter de tomber dans la caricature que tout ce qui bouge doit être neutralisé. L'opinion reste respectable si ce même respect reçoit la réciproque, sans intimidation, ni pénitence, ni dépassement moral.

« Selmiya,selmiya » « djich, chaab khawa khawa » sont les plus nobles expressions que l'Algérie qui s'apprête et le doit, à franchir le pas vers une nouvelle république ait pu enfanter de la part de cette jeunesse infatigable. C'est vrai qu'elle comporte en son sein divers segments. Les uns sont pour telle chose, les autres pour telle approche. Ils ne se divisent que par le moyen et non pas le but. C'est tirer le cordon vers soi sans concéder le moindre cran.

La tension est à inscrire dans ce rejet catégorique et presque unanime du projet de la loi de finances et celui des hydrocarbures. Les experts, les leaders de partis politiques de l'ex-alliance présidentielle n'osent pas ce rejet mais murmurent son renvoi jusqu'à l'assise d'une vrai légitimité. Somme toute, vrai que l'on ne peut prendre des décisions hypothéquant un avenir pour lequel l'on n'aura aucune responsabilité. Là aussi, il est difficile de comprendre la précipitation de ce gouvernement à aller en de telle besogne. Un retrait ferait régresser au moins cette tension.

En fait, la rue dès la marche du 8 mars et en surpassant le refus du cinquième mandat, s'est investie dans le cri revendicatif pour la disparition des piliers du régime. L'exigence était de ne plus revoir les mêmes têtes, ni entendre les mêmes noms. Ils sont rébarbatifs comme le sont leurs itératives promesses. L'on est pantois et dubitatif si l'on pense qu'avec tout le génie algérien l'on n'ait pu trouver un nom qui puisse rassembler tous les segments des doléances populaires. Quelqu'un qui n'a pas de comptes à régler, qui n'a pas de haine, ni de rancœur, ni d'aigreur face à des pairs, des faits ou des fatalités. Il nous aurait fallut un homme neuf, indemne de tout grief, non entaché de commissures ou de compromissions, ce genre de type qui ne connait personne, étant seul avec ses compétences, ses prouesses, sa conscience et son ultime sacrifice patriotique. Un prophète, diront les uns.

Le pays a ainsi besoin que l'on lui trace une fois pour toutes son profil tensionnel et lui permettre d'aller vers ces élections avec plus fiabilité, d'écoute et de prise en compte de toute proposition à même de démanteler les obstructions qui jonchent la voie. La stabilité institutionnelle et organique, de la nuque aux talons devra se fléchir sur l'ensemble corporel. Trop de garrot fait briser le vaisseau.