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Jasmin de Carthage

par Slemnia Bendaoud

Le ton fut donné un 14 Janvier 2011. La maladroite gifle de la policière a produit l'étincelle El Bouazidi tant redoutée par le régime de feu Benali. À la manière d'un habile coup de fouet, elle résonna alentour comme un réveil des consciences. Elle mit le feu aux poudres !

Et ce sont pratiquement tous les pays Arabes qui en seront contaminés à la série. À des degrés différents, tous concernés par ce réveil en sursaut pour basculer dans la contestation, l'émeute et l'insurrection !

À peine onze jours plus tard, et ce fut l'Egypte qui s'embrasa à son tour ! L'orage politique fut tellement violent que le son tonitruant de sa portée avait, à la vitesse de la lumière, atteint les contrées le plus éloignées.

Ni la visite-éclair sur un fond de violente contestation populaire contre la politique du défunt Président Benali à l'hôpital de la ville de Sidi Bouzid, ni son discours de circonstance au ton solennel, mais plutôt étrangement conciliant et très fraternel, ne purent vraiment freiner le terrible élan d'un peuple désormais déchaîné comme une bête blessée qui s'abat de toutes ses forces contre son bourreau.

Le coup était déjà parti ! Bien banal ou très fatal, il s'est fait écho plus loin à l'horizon. Le monde des gens intelligents appréhendait en fins observateurs sa logique trajectoire et probable chute. Tandis que tout le reste des êtres humains somnolents ou lassés de leur quotidien de moise, et encore enveloppés dans leurs piteuses guêtres politiques, ne pouvaient imaginer un seul instant son réel impact.

Une odeur de poudre assez étrange planait dans l'air d'un ciel tout à l'heure encore de bleu cyan. L'atmosphère devint subitement des plus délétères et très frondeuse ! Ça sentait déjà un malaise aux relents d'un feu en éruption.

Le Ciel politique était des plus bas !

À tout moment, le pays risquait de s'embraser. Car la colère était montée de plusieurs crans, et le désir de recouvrer au plus vite une totale liberté était comme sur un feu ardent. La Tunisie eut très chaud en ces temps de froid de canard ! L'hiver 2011 prenait des allures d'un été caniculaire !

Il eut fallu prier en très grand nombre et bien pieusement pour que la Tunisie ne bascule pas dans l'inconnu. Pour que son navire ne chavire nulle part ! Où qu'elle ne s'enlise par inadvertance dans le guêpier du Chaos. Les prêches de Sidi Bouzid tout comme ceux de toute la Tunisie étaient tous les bienvenus pour contrer à jamais cette malédiction qui risquait de tout emporter dans le sillage de sa violente tempête.

Les Saints de la ville accoururent en nombre important dans le réflexe spontané d'un saut inouï, pour venir au secours des tunisiens désemparés. Sidi Bouzid, le premier ! Et soudain l'orage insurrectionnel baissa d'intensité, comme sommé par ces Marabouts de revenir enfin à la raison et de faire prévaloir un certain flegme tunisien si étrangement dérangé dans sa torpeur, solitude et quiétude durables.

Comment ce monde, de tradition plutôt bien tranquille, ait pu être si violemment secoué dans son amour-propre pour agir à la manière d'un véritable fou, capable de complètement brûler de tout ce qui entrave son chemin, à la manière d'un torrent en furie charriant arbres, buissons, boue, cailloux et roseaux et que sais-je encore... ?

La réponse découle le plus logiquement du monde de l'impact de cette gifle qui enfle démesurément, si diversement appréciée et surtout interprétée d'une personne à une autre, d'une venelle à sa semblable, d'un clan à son opposé, d'une tribu à sa rivale, de cette rive-là à cette autre là-bas, de cette ville-ci à celle plus loin enfouie dans sa misère quotidienne et profond vallon...

Quelques larmes de tristesse versées à la-va-vite en guise de regret, telles des gouttes d'une pluie pressée par un coup de vent frisquet qui succède à une vraie tempête, surent à leur manière tempérer les ardeurs d'un peuple coléreux mais très conscient du danger terrible dans lequel il aura mis les pieds et qui s'abat de tout son poids sur ce tout petit pays.

Ce coup violent était si puissant que son écho tonitruant réveilla en sursaut une ribambelle de chérubins du pays voisin, instamment transformés en espiègles galopins, mus par ce désir pressant de se situer dans le courant de la même trajectoire que ce peuple de Carthage enfin remis -et de bon pied !- de son long sommeil politique.

Quelques subtiles missives, sous la forme de folles étincelles mais très chaleureuses et bien fraternelles dépêches, atterrirent à la hâte à Alger et ses environs dans leur habit de brindilles plutôt à moitié éteintes, pour cause de ce long voyage qui les força à en consumer une bonne partie de leur solide substance matérielle.

Un vent très chaud parcourut en largeur l'Algérie, son voisin de l'ouest. En vieux guerrier et habile manœuvrier, le pouvoir algérien ouvrit très vite et à très haut débit le robinet de la rente pétrolière dans l'espoir de « bibronner » à satiété sa jeune progéniture à ce savant liquide qui anesthésie l'âme politique de la frange juvénile de son peuple.

Quelques prix modifiés sensiblement à la baisse par-ci et quelques dinars un peu trop généreusement jetés par la fenêtre par-là, souvent à la hussarde, eurent comme de tradition bien raison de cette éphémère colère de la rue, jugée comme très passagère.

Le pouvoir d'alors, longtemps emmitouflé dans son mystérieux silence et gêne si étrange, eut tout le temps de (re)trouver dans les travées de son Grand Palais et labyrinthes de ses coulisses politiques la formule-clef et vraiment appropriée pour « mieux qualifier » ce petit mouvement insurrectionnel.

« Les émeutes de l'huile et du sucre » fut l'expression-alibi malicieusement choisie par les hommes du pouvoir pour désigner ce pourtant « très éphémère » mais bien sérieux mouvement social qui leur donna terriblement froid dans le dos, avant que l'Antre, comme de tradition fort généreux de Hassi-Messaoud, n'entre lui aussi en action ou ne soit mis à contribution, pour voler à leur secours.

Un vivier qui promet !

Tandis qu'à l'Est de Sakiet Sidi Youcef, le vent de la révolte semblait s'installer dans la durée. Acculé dans ses tout derniers retranchements, le pouvoir tunisien avait du mal à contenir la furia de son peuple qui crut alors dur comme fer en son sérieux et ardu combat et surtout projet démocratique crânement défendu.

La raison coule de source : quelques effluves de Jasmin étaient venus mettre du baume dans le cœur éprouvé de ce petit peuple, via cette odeur tonique qui leur pourlécha les babines ! La belle odeur avait toutes les raisons du monde de tenir en laisse ce peuple à qui l'espoir de se prendre en charge revint au galop.

Il ne leur restait qu'à bien se préparer à cette longue lutte et très dure bataille mais aussi et surtout à vraiment croire en ce Noble Idéal qui allait désormais habiter en permanence le cœur du peuple tunisien pour mener la vie dure à la gouvernance du pays.

Ne leur restait finalement qu'à vraiment mettre du cœur à l'ouvrage afin de peaufiner leur plan d'attaque, mettre en place une solide stratégie et agir par étapes successives mais dans une réelle dynamique de vraie progression qui tiendra compte des objectifs liés à une programmation des plus rigoureuses du but à atteindre.

Mise sur rail d'une démocratie encore naissante et très balbutiante réalisée avec grand-peine, la révolte tunisienne marquait son territoire et prenait, au fil des jours, l'allure d'une bien réelle Révolution.

La succession des évènements saillants intervenant à tour de rôle dans le quotidien tunisien ne fera finalement que conforter, avec le temps, le peuple dans son solide raisonnement de se défaire au plus vite du despotisme et de la dictature, vieux déjà de plusieurs décennies.

Comment ce mouvement insurrectionnel tunisien s'est-il mué en une vraie Révolution ?

Dans le monde Arabe et Musulman, la Tunisie demeure ce pays taxé comme « le plus occidentalisé » de tous, ou celui considéré comme le plus proche ou très ouvert sur la culture européenne, comparé d'abord à ses voisins de l'Ouest et de l'Est, et ensuite, par rapport à ceux situés dans le prolongement de cette même direction.

Si le pouvoir est dans cet ailleurs africain traditionnellement « des plus militarisés », en Tunisie, par contre, il fut justement durant le règne de feu Zine El Abidine Benali plutôt de « nature foncièrement policier ». Chez les premiers pays et, ce tout dernier-cité, il est question de « proximité » avec le peuple, encore plus nuancée à Carthage.

À la chute du régime du défunt Président Benali qui a pris ses jambes à son cou pour fuir de nuit le pays, ce fut tout l'arsenal de la pyramide du système en place qui s'est subitement écroulé tel un château de cartes basculant dans le vide sidéral.

Dans leur approche avec les populations, les relations des régimes qui s'appuient sur une « assise policière » -parce que de proximité dans leur essence- restent des plus vulnérables, comparés à ceux où l'institution militaire demeure encore le maillon le plus fort du système politique ; ce qui explique, en partie d'ailleurs, cette absence si étrange de résistance des « quelques naufragés » de l'ancien « navire du pouvoir » du Président fuyard, à même de tenter leur retour aux affaires du pays via une hypothétique contre-attaque.

Mieux encore, l'empreinte de feu Habib Bourguiba dans la politique d'ouverture de la Tunisie durant son long règne comptait pour un élément-clef et déterminant dans la résolution de cette plutôt assez difficile équation, tenant compte de cette culture tunisienne assez ancienne forgée dans le respect de l'Autre mais aussi dans la grande correction de son peuple vis-à-vis de ceux du reste du monde.

Cette ouverture d'esprit des citoyens tunisiens sur le monde extérieur conféra au Pays de Carthage une image favorable qui fit de la Tunisie une Nation « plutôt fréquentable » au plan du mouvement de population qu'elle induit ou subit, tant touristique ou d'affaire, mais aussi de rapprochement avec les peuples des pays notamment occidentaux.

Il ne manquait plus qu'à mettre en avant les atouts touristiques de l'ancienne Carthage et la beauté de son paysage ainsi que le savoir-faire acquis dans « certains services » pour monter, des décennies durant, une véritable économie qui défie au plan de la viabilité et de l'efficacité celle pourtant réputée très valide et bien solide des pays dépendant du tribut des hydrocarbures, dont bien entendu l'Algérie.

Un baptême de feu des plus réussis !

Mais le véritable défi économique de la Tunisie ne fut-il pas dans l'absence même de ce brut sur lequel s'est toujours appuyée l'Algérie dans son fonctionnement économique et système politique ?

Ce pourtant très salutaire brut du Sahara n'a-t-il pas assez paradoxalement rendu les Algériens si abrutis ? Le faramineux produit tiré de son brut a-t-il permis à l'Algérie de pleinement profiter de son indéniable apport pour la construction d'un Etat démocratique digne de l'emploi conséquent et réfléchi de ses innombrables ressources naturelles ?

Cette extraordinaire rente a-t-il dans les mêmes proportions, souci d'équité et autres opportunités su profiter, à la fois, aux hommes du pouvoir et au simple citoyen ? Ne s'est-elle pas mise au service d'un régime afin de mieux imposer ou conforter son hégémonie et pérennité ?

C'est peut-être cette pourtant bien visible absence du brut dans le sous-sol de la Tunisie qui a fait toute sa Grandeur d'aujourd'hui ! Avec, en sus, un intérêt des plus accrus en faveur des facteurs-clefs de la société, notamment ceux du mérite, de la science, du travail engagé et bien soigné, de la compétence désormais de mieux en mieux considérée que chez le voisin d'à côté, de la bonne utilisation de la valeur du « Temps » dans des projets conséquents, utiles et structurants.

Mais à l'origine, il existe, bien évidemment, d'autres bonnes raisons de rapidement conclure que la Tunisie présentait un échantillonnage très représentatif d'un pays qui garantissait au travers du fonctionnement des strates de sa société des prédispositions en rapport avec une possible instauration raisonnable d'un espace démocratique qui s'identifie aux temps modernes.

Pour l'histoire, un véritable travail de fond a été entrepris des décennies durant depuis déjà les toutes premières années de l'indépendance de la Tunisie en faveur de l'émancipation de la femme, la valeur de l'effort humain, les droits de l'homme, la lutte syndicale, l'art dans toutes ses composantes et nombreux aspects, et autres nombreux angles d'appréciation de l'évolution sociétale dans son ensemble...

En considération de tous ces nombreux préalables, la Tunisie était-on en convient- suffisamment prédisposée à désormais s'engager dans le « bourbier démocratique » en guise de nouveau système politique, puisque nantie de tous ces grands atouts.

De l'institution de la constituante à la montée en puissance d'El Nahdha, la Tunisie était partie à la recherche d'un profil politique en rapport avec ses cartes maîtresses, puis vint à point nommé l'épisode Caïd Essebsi comme pour marquer cette nécessaire parenthèse, en vue de se préparer à faire ce grand ménage : donner un grand coup de balai à tous les anciens acteurs de la classe politique nationale.

Pour les besoins de la réussite d'une démocratie naissante, il est évident que la remise à zéro du compteur politique de la Tunisie allait être un facteur indispensable mais surtout déterminant dans la nouvelle approche désormais esquissée avec beaucoup d'à propos et d'engagement en faveur de ce changement, devenu imminent.

La raison ? Pratiquement toute la classe politique nationale a été disqualifiée ! L'urne en est témoin.

Le cercle des intellects manque de génie politique

Le phénomène n'est propre à la Tunisie. La France est cet autre exemple où Emanuel Macron a joué le trouble-fête de la toute dernière élection pour renvoyer dos-à-dos la Droite et la Gauche et s'emparer avec brio du fauteuil présidentiel.

Les traditionnels partis politiques ne forment plus l'élite de Demain. Pareil constat a pu être vérifié à plusieurs occasions. Il est la résultante d'une pauvreté de l'esprit qui s'accommode avec cette absence criarde de débats d'idées qui concerne de nombreuses sociétés.

Et si les débats d'idées ne sont plus féconds et très fructueux comme jadis ou autrefois, il va de soi que l'émergence d'une véritable élite politique mettra beaucoup de temps à pouvoir enfanter ce génie politique qui fait cruellement défaut à nos sociétés d'aujourd'hui.

Emmanuel Macron, en Europe, vient de prouver qu'il figure dans ce cercle plutôt très restreint des hommes politiques qui font l'exception. Depuis le 13 Octobre 2019, Kais Saied vient de lui emboiter le pas sur le continent Africain. Désormais, la Tunisie colle à la France.

Ces deux nouvelles figures politiques disqualifient ce clivage aux alternances traditionnelles (Droite/Gauche) pour nous proposer des candidats sans partis politiques, qui ont su s'élever sur le podium grâce à leur discours sincère et très productif, comme unique gage de leur -au demeurant- éclatante réussite.

Une ère nouvelle s'écrit désormais en lettres d'or sur cette rive Sud de la Méditerranée. Le Jasmin de Carthage s'est joint à la partie pour donner du baume à cette atmosphère de grande fête qui prend des airs d'une vraie kermesse politique. La Tunisie montre la voie à l'Algérie !

La Tunisie donne l'exemple aux pays du Maghreb et au monde Arabe

La Tunisie est pour le Maghreb -à quelques exceptions près- ce que le Liban l'est pour l'Orient. Et pourtant, ce pays du cèdre n'est désormais plus ce territoire aussi plébiscité que naguère, en raison justement de ce remarquable renouveau tunisien qui aura laissé pantois ses adversaires et de nombreuses nations sur le carreau.

En seulement huit ans de dur apprentissage au « jeu démocratique » franc, transparent et sincère, la Tunisie a fait d'énormes progrès qui la placent déjà très loin devant de nombreux pays Africains. Elle est cet exemple pour tous les pays Arabes et Musulmans.

Le décès du dernier Président en exercice n'aura fait qu'accentuer cette cadence -au demeurant appréciable- pour imprimer au mouvement social une nouvelle dynamique par le renvoi du peuple aux urnes avant la fin de son mandat.

Il a -à coup sûr- accéléré le processus démocratique, jusque-là moins performant qu'aujourd'hui. Le Jasmin de Carthage était devenu si fort que sa senteur a fini par mettre tout le monde « au parfum » du changement imminent.

Là aussi, le monde entier en est témoin de cette grande démonstration d'un exercice démocratique de haute portée politique : un premier tour qui prit tout son monde de court ou à contre-pied, suivi juste après d'un débat contradictoire digne des grandes pages d'histoire de la vraie démocratie, et au final, un scrutin aussi transparent que la matière dont est faite l'urne, qui a livré dans la joie et la communion son secret sans tricher et sans tergiverser.

Cerise sur le gâteau, il y eut cet « honneur dû au vaincu » qui risquait dans la morale accordée à l'euphorie de cette fête politique d'éclipser par son poids toute la gloire légalement due au grand vainqueur ! Tant les félicitations faites au profit de l'heureux élu lui parvenaient en premier lieu de la bouche même de son propre adversaire dans cette très huppée compétition politique.

Au fair-play exemplaire était venue se joindre cette victoire avec panache ! La Tunisie a gagné son pari. Mais c'est la démocratie qui en est sortie le grand vainqueur ! Le Jasmin de Carthage se répand désormais au-delà des frontières tunisiennes pour étaler l'odeur de son tonique parfum chez les voisins, et plus loin à travers tout le continent Africain.

L'urne vient de livrer son secret : Un Président hors du système, doublé d'un grand praticien du Droit, droit dans ses bottes, sincère dans ses diagnostics et analyses faites au sujet de la situation du pays, plutôt habile dans ses jugements et raisonnement, et inflexible sur des questions qui touchent à la souveraineté du pays.

Carthage tourne la page de la dictature. Elle conforte le Hirak Algérien dans ses convictions politiques et combat quotidien. L'exemple tunisien montre la voix au peuple Algérien. Le Maghreb sort la tête de l'eau. Le vent du changement dicte ses lois. Il augure de ces lendemains qui enchantent.

Demain se lèvera un autre jour sur l'Afrique du Nord. Les dictatures en son averties !