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Le hirak, la volonté du changement et les comportements d'aujourd'hui et d'hier - Exemple : le radar ou la hantise des automobilistes

par A. Tadjine*

Le hirak, expression d'un ras-le-bol généralisé résultat d'une gestion désastreuse du temporel et l'instrumentalisation du spirituel à des fins de légitimation, dévoile et met en exergue les pratiques qui ont érodé les fondements des aspirations même les plus essentielles, à savoir la liberté et la fierté d'être Algérien.

Aspirations confisquées par la mise en place d'une culture du mensonge, du clientélisme, de la promotion du culte de la personnalité, de la pratique sélective de la loi dont le fonctionnement est contingent par rapport à la qualité des individus et les rapports de force, et bien d'autres pratiques qu'il serait illusoire de penser recenser dans le cadre étroit de cet article tellement ils sont nombreux. Il est clair que l'héritage de la période décriée par le hirak ne peut s'estomper juste parce que le peuple et les pouvoirs publics le veulent, un travail d'identification des tares et de remise en cause systématique doit être fait avec honnêteté et application et à tous les niveaux. Si les piliers des déprédations et des déchéances qui nous ont poussés au devant de la faillite répondent de leurs actes devant la justice, la culture qu'ils ont initiée continue perfidement à polluer le corps social, car elle s'y est fortement ancrée. Le reconnaitre et plus qu'indispensable pour tout travail de réforme. Ne pas s'y conformer c'est tout simplement s'exposer à reproduire les mêmes erreurs et à coup sûr les mêmes dangers. Le changement n'a de sens que s'il permet l'amélioration et l'harmonie, sans quoi, le coût ne peut être que très onéreux et surtout sans perspective réelle que celle de l'aventure dont les conséquences peuvent être désastreuses.

Il est donc indispensable d'attendre de tout un chacun de se repositionner, de se remettre en cause, de vérifier ses convictions et ses ancrages, de jauger la validité de ses pratiques, de revoir ses procédures et ses performances. En clair, sortir du quotidien routinier pour questionner l'adéquation et pertinence de tout ce qui fait notre existence. Ce travail de refonte de profil et d'engagement doit reconfigurer tout à la fois, le comportement individuel qu'organisationnel, qui se manifeste par une la mise en place d'une synergie cohérente en mesure de permettre au hirak de se concrétiser sur le terrain et surtout dans les mentalités. Peut-on réellement aspirer à des changements structuraux en conservant les mêmes mentalités, les mêmes reflexes ? Est-il vraiment possible de changer de pratiques en conservant les mêmes perceptions ? Peut-on appréhender le même ordre social en agissant de façon routinière ? Il est évidemment clair que le changement exige de se défaire de certaines pratiques séculières, ou du moins les tamiser, les évaluer à l'aune des nouvelles exigences. Le changement ne se décrète pas seulement comme volonté ou désir conjoncturel, c'est un travail holistique où l'articulation des différents intervenants dépend de la visibilité de ce qui est entrepris et surtout de la conscience qu'ont ces intervenants de leurs rôles et contributions. Toute personne qui, consciemment ou inconsciemment, ne se sent pas concernée par la dynamique du changement, l'impératif de s'évaluer et d'évaluer ses pratiques, est à coup sûr un frein, un handicap vers l'édification des aspirations des Algériens.

Dans ce papier, nous allons nous intéresser à l'utilisation du radar que les pouvoirs publics présentent comme technique de lutte contre la délinquance routière, contre le terrorisme routier, qui a propulsé notre pays sur le hit-parade des pays les plus touchés par ce fléau. Il est donc tout a fait légitime que des actions soient initiées et mises en œuvre, que le matériel soit importé, que les services de sécurité compétents soient investis de sa mise en œuvre. Le principe de son usage n'est en aucun cas remis en cause, ni ne suscite la moindre contestation, ce qui nous intéresse c'est de savoir si ce moyen supposé de lutte est performant et réalise les objectifs qui lui ont été assignés ou au contraire, il s'est avéré sans effet, ou encore contreproductif ? Répondre à ce questionnement est d'intérêt capital. Pour ce faire, il y a lieu de procéder à une analyse sans passion, ni compassion, et objective car non inféodée à une quelconque instrumentalisation. L'objectif recherché est de contribuer à attiser un débat sur la question de l'usage du radar, surtout sur la manière de son utilisation, d'attirer l'attention sur les dérives potentielles de l'usage inapproprié, de l'aspect contreproductif préjudiciable à l'image de marque des services de sécurité communément appelés «houkouma» en charge de l'utiliser. Appellation qui laisse entrevoir une certaine ambigüité dans l'imaginaire collectif, surtout en cette période de turbulence que les changements initiés par le hirak supposent. Les services de sécurité représentent le pouvoir public, ils sont son émanation et ils s'y confondent ; l'évaluation qui leur est faite par la population s'étend au pouvoir public qui, en ces moments, a besoin de l'adhésion de tous, de la mobilisation de tous, de la symbiose de toutes les forces de la nation qu'elles soient populaires ou institutionnelles. Les services de sécurité en tant qu'institutions constitutionnelles ont l'obligation d'appliquer les législations en vigueur mais en conciliant opportunité et conformité sans porter préjudice ni à l'intégrité de la loi, ni aux intérêts de l'Algérie, ni des Algériens. Appliquer la loi suppose la prise en considération de la diversité des environnements, des différences de détails. La loi n'existe qu'à travers son esprit qui lui donne flexibilité et pertinence. Une loi prise dans sa dimension dogmatique stricte peut être porteuse de fourvoiements préjudiciable au corps social. Appliquer la loi suppose l'existence d'une ressource humaine à la hauteur de la tâche.

Qu'en est-il pour ce qui concerne l'usage du radar comme moyen de lutte contre la délinquance routière ? La réponse réside dans les statistiques. Si le nombre d'accidents a diminué de façon significative, alors tout débat devient caduc, car même si des dommages collatéraux ont été enregistrés, le fait d'avoir contribuer à sauver des vies humaines les compense et les relègue à de simples détails. La lecture des bilans de la DGSN ne permet pas d'affirmer ou d'infirmer l'impact de l'usage du radar, les bilans portent sur des périodes. On trouve des informations relatives aux nombres d'accidents, de blessés et de morts, à l'identification des principales causes qui sont le facteur humain, le véhicule, la route et l'environnement. L'excès de vitesse n'est ni mentionné ni recensé et pourtant le radar est très souvent utilisé. Cet usage jugé très excessif par les usagers de la route constitue également pour eux une source de mécontentement et d'agacement, ce qui altère négativement l'image de marque des services de sécurité, qui, bien qu'ils soient présents sur tous les fronts, qu'il vente, qu'il pleuve ou qu'il neige, ils veillent à la sécurité de la population, au détriment de leur propre sécurité. Aucune vie sociale civilisé et sereine ne peut se concevoir sans leur présence et voilà qu'on les trouve décriés. Un travail colossal est entrepris par les tutelles de ces services concernant la communication et l'émancipation de l'image de marque qui œuvre pour la mise en exergue de la dimension républicaine. Beaucoup d'effort et d'énergie est investi pour restaurer la signification de la force publique et l'aseptiser des résiduels de la conception coloniale du policier et du gendarme. Nos policiers et nos gendarmes sont nos frères et nos enfants, ils sont de nous et nous leur faisons confiance, ils sont le garant de la tranquillité et salubrité publique, ils œuvrent pour notre quiétude, ils se sacrifient pour nous, nous leur devons respect. Ceci constitue le fondement de notre relation, ils nous assurent et nous leur devons obéissance pour l'application de la loi ; mais qu'en est-il de ce gendarme ou policier qui s'embusque avec ingéniosité aux environs de huit heures du matin pour me pénaliser pour un excès de vitesse de plus de 50 km sur une voie rapide au tournant d'un virage? Sommes-nous dans cette relation apaisée de citoyen et de représentant de la loi ? Suis-je pour lui ce citoyen dont il a la charge de protéger ou au contraire suis-je bon à dresser par la peur et la crainte. Une fois immobilisé, aucune explication n'est donnée, on exige de vous de communiquer votre filiation et rien d'autre pour la rédaction du procès-verbal de 2000 DA et la notification du retrait du permis de conduire. Un mépris révoltant suscite un sentiment de révolte que seule la peur permet de contenir.

Au-delà de l'aspect anecdotique, une lecture analytique doit être faite des faits que nous ne voulons pas attentatoires à quiconque, mais que nous espérons capitaliser pour préparer la mentalité du changement pour l'instauration d'une république où les institutions et les gens ne doivent pas fonctionner exclusivement en mode juridique, n'ayant de référent que le droit. Ce dernier, aussi important et utile voire essentiel, ne doit pas être considéré dans l'absolu mais appliqué avec le sentiment et la volonté d'investir dans la mise en place d'une Algérie prospère et moderne où les gens dans leur diversité ont des devoirs et des contributions éclairés et surtout cohérents. Lutter contre la délinquance routière est un impératif, mais avec discernement, méthode et stratégie. Cet objectif ne doit pas se faire au détriment de la détérioration de l'image de marque de ceux qui ont la charge de le réaliser, ni au détriment de la symbiose sociale, condition d'homogénéité de la nation. L'exemple de la quête effrénée des auteurs de l'infraction au code de la route même minime (dépassement de vitesse autorisée 50 km sur autoroute) est à titre indicatif de l'état d'esprit qu'il faut combattre, sortir de la routine, être créatif et surtout s'inscrire dans la stratégie de changement en étant acteur de son destin. Il est évident qu'il est impossible de convaincre quelqu'un que dépasser 50 km sur autoroute est cause d'accident, et que le pénaliser devient un acte de lutte contre la délinquance routière. Ceci ne peut s'expliquer que par une lecture stricte sans aucune autre considération que l'application stricto sensu, alors que le premier apport souhaité est la dimension pédagogique et en aucun cas coercitive de la démarche. Il y a lieu de faire la distinction entre convaincre le chauffeur auteur d'infraction et le rendre con et vaincu. Toute la différence est dans ce jeu de mots.

Pour conclure, je réitère l'appel à l'obligation de soumettre nos actes, nos contributions à l'analyse objective et surtout à l'éclairage scientifique et à sortir des activités routinières que nous pensons normales, mais par rapport à des normes désuètes et contreproductives. Camper sur nos habitudes, nos façons de concevoir notre environnement c'est tout simplement refuser de changer, c'est se condamner à se reproduire, à se scléroser. Dieu nous en préserve !

*Professeur universitaire