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General Motors en grève (pour le bien de l’Amérique)

par Akram Belkaïd, Paris

En 1953, le président Dwight David Eisenhower nommait Charles Wilson, le Pdg de General Motors, à la tête du Département américain de la Défense. Face aux critiques de l’opposition et des médias, le promu, pour se défendre de tout conflit d’intérêt, eut cette phrase passée à la postérité : « Ce qui est bon pour General Motors est bon pour les États-Unis » (pour la petite histoire, la phrase a été arrangée a posteriori). Depuis, chaque fois que l’actualité concerne le constructeur américain d’automobiles, on ressort ces mots. Ce fut notamment le cas en 2009 quand la toute nouvelle administration Obama sauva General Motors d’une faillite susceptible de provoquer la disparition de plusieurs dizaines de milliers d’emplois.
Grève pour les salaires…
 
Cette fois, la firme centenaire (elle a été fondée en 1908) de Détroit (Michigan) fait parler d’elle en raison d’une grève sur le point de devenir historique. Cela fait désormais plus de quatre semaines que ses travailleurs ont débrayé mettant à l’arrêt trente-quatre usines et provoquant le chômage technique, faute de pièces, de plusieurs sites au Mexique et au Canada. Selon la presse américaine qui cite des responsables de GM, la grève coûterait 100 millions de dollars par jour. D’autres sources avancent le chiffre total d’un milliard de dollars depuis le déclenchement du mouvement.

 Que veut l’Union Auto Workers (UAW), le syndicat des ouvriers de l’automobile ? La réponse donne des indications à propos de l’état de l’économie américaine. En effet, sa principale revendication est une augmentation des salaires. On parle beaucoup de la vigueur de la croissance du Produit intérieur brut (PIB) étasunien mais on oublie souvent de préciser qu’elle n’est pas accompagnée d’augmentation de revenus. L’autre revendication majeure des grévistes est la mise en place d’une couverture santé, ou son amélioration lorsqu’elle existe. On sait que le président Donald Trump a défait ce que son successeur avait mis en place en la matière. Les ouvriers, dont un certain nombre ont pourtant voté pour le locataire actuel de la Maison Blanche, découvrent à quel point la réforme d’Obama était bénéfique pour eux…

 L’UAW veut aussi que General Motors cesse de recourir à des contrats d’intérimaires et que les niveaux de précarité des employés dans ses entreprises baisse. Là aussi, on touche du doigt le déclassement progressif des métiers de l’automobile en particulier et de l’industrie en général. Les « blue collar », les cols bleus avaient jadis un statut envié. Salaires plutôt élevés, avantages sociaux, possibilités de faire carrière dans une seule et même entreprise. La mondialisation, l’affaiblissement des syndicats, leur incapacité à lutter contre les délocalisations et leurs concessions faites justement pour empêcher ces transferts d’activités ont fragilisé la profession. Avec cette grève, l’UAW entend démontrer que le syndicalisme américain n’est pas mort et qu’il peut mener un mouvement presque aussi long que la grève historique de 1936 (quarante-quatre jours).
 
...et pour la relocalisation
 
Peu médiatisée en dehors des États-Unis, cette grève est suivie de près par les observateurs car, bien entendu, elle a des incidences politiques. L’UAW exige aussi que GM rouvre des sites récemment fermés. Cette revendication place Donald Trump dans une position délicate. D’un côté, ses opinions politiques le mènent à réprouver les grèves, lui qui a eu des mots durs à l’encontre des syndicats au cours de sa campagne. Mais, dans le même temps, les grévistes ne font que reprendre l’une de ses exigences à savoir la relocalisation des activités transférées à l’étranger, notamment au Mexique et au Canada. La direction de General Motors affirme qu’il ne serait pas bénéfique pour la firme de rouvrir les usines fermées. Les grévistes, eux, considèrent que ce n’est qu’en relocalisant que l’entreprise contribuera au bien de l’Amérique.