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Les peuples de la terre se commandent-ils ou sont-ils mus par la raison dans l'histoire ? Hirak, l'esprit de Hegel dans l'esprit du peuple algérien ? (1ère partie)

par Medjdoub Hamed*

Comment comprendre le monde aujourd'hui qui a beaucoup avancé aujourd'hui ? La première des choses pour voir clair, il faut «pousser» notre vision du monde à changer, ne pas rester enfermé dans l'histoire telle qu'elle a été appréhendée par les historiens. En ce début du XXIe siècle, tant de progrès se sont opérés dans le monde et la manière de voir l'histoire de l'humanité n'a pas changé. Quelques approches, telle la philosophie de l'histoire, restent vagues, plutôt très théoriques, et sont surtout laissées aux «spécialistes» de la philosophie et sans impact sur le commun des mortels.

Or, aujourd'hui, il faut faire parler la pensée qui pense en nous. Et nous savons que nous ne sommes que par la pensée, et souvent croyons que nous pensons, en fait c'est la pensée qui pense en nous, c'est elle qui nous motive, c'est elle qui nous guide, c'est elle qui nous meut dans l'existence. Et quel est l'homme qui peut dire qu'il se meut tout seul ? Prenons, par exemple, les «Gilets jaunes» en France. Se sont-ils mus d'eux-mêmes ? Ont-ils manifesté et battu le pavé d'eux-mêmes pendant des mois ? Certainement d'eux-mêmes, mais il demeure que ce sont leurs pensées qui ont donné ce mot d'ordre et ce mot d'ordre a été aidé par les réseaux sociaux. Et ce qu'on constate aussi que le mouvement des «gilets jaunes» et même le symbole choisi «gilet jaune» qui est un accessoire de sécurité rendu obligatoire avec le triangle de signalisation dans chaque voiture en dit long de cette spontanéité pratiquement «télé-idée», «télé-organisée». Tout est dans la pensée qui l'a conçu et les moyens existants «réseaux sociaux» et «gilets jaunes existants sous le siège ou dans la boîte à gants». Donc l'idée qui opère à distance et point besoin de contact entre les hommes, tout s'«organise de lui-même» - les réseaux sociaux -, et les accessoires pour manifester sont là (gilets, slogans ou autres) et donc indissociables dans les manifestations en France ou ailleurs.

Même processus en Algérie. Un jour du 22 février 2019, le peuple algérien marche, et cette manifestation était inattendue, les décideurs algériens avaient déjà décidé pour un cinquième mandat pour le président sortant, Abdelaziz Bouteflika. Le peuple, depuis des mois, n'a pas réagi à cette annonce, et était pratiquement consentant par son silence. Et tout le gouvernement optait pour un président invalide qui ne parle pas, et tous le disent conscient et qu'il œuvre pour la stabilité et la sécurité nationale. Et, comme ils l'ont montré plus tard, le président était, malgré sa maladie, très conscient de la situation politique, économique et sociale de l'Algérie. Et puis brusquement, suite à un vague appel à manifester dans les jours précédant la première manifestation, à Alger, et à travers toutes les villes d'Algérie, c'est la stupeur. Qu'est-ce que ce peuple qui sort dans la rue et décide de marcher en grand nombre dans toutes les villes ? Et puis il recommence comme les gilets jaunes en France, sauf que ce n'est pas chaque samedi, mais chaque vendredi. Évidemment, le Hirak algérien s'est fait dans un contexte spécifique à l'Algérie, les fidèles vont chaque vendredi à la mosquée et cela concerne une grande partie du peuple.

Nous constatons une grande similarité entre le mouvement des gilets jaunes et le mouvement du Hirak algérien, et s'il est «massif» en Algérie, et «très limité» en France, c'est aussi que le contexte n'est pas le même. La France est un pays avancé et fait partie des pays démocratiques dans le monde. Elle est classée 3ème puissance économique en Europe, 2ème puissance dans l'Eurozone et 6ème puissance mondiale. De plus, elle est membre permanent du Conseil de sécurité et détient une force de frappe nucléaire, ce qui la fait membre des cinq grandes puissances nucléaires dans le monde.

Or, l'Algérie est un pays neuf qui n'a recouvré son indépendance que depuis 57 ans, en 1962. Et déjà, aujourd'hui, c'est un des pays les plus stables du monde arabe. Le multipartisme a vu le jour en 1989, soit 22 ans avant les autres pays arabes, ces derniers, et certains seulement, n'y ont accédé qu'en 2011, à l'occasion du «Printemps arabe». Mis à part a Tunisie, la démocratisation est encore éloignée pour la plupart des pays arabes, du fait de leur division entre monarchies absolutistes riches et républiques pauvres aux régimes politiques autoritaires. L'Algérie fait exception, la démocratisation du régime est réellement en marche, même si elle balbutie encore.

Pourquoi donner l'exemple du mouvement des «Gilets jaunes» en France et du «Hirak» en Algérie, simplement pour montrer que l'histoire des peuples est rationnelle avec elle-même. Sans les réseaux sociaux, sans la loi qui a rendu obligatoire en France en 2008 que les voitures soient équipées d'un «gilet de haute visibilité» pour assurer la sécurité sur les routes, il n'y aurait pas eu de gilets jaunes contestataires en France. Idem en Algérie. Les réseaux sociaux, grâce aux progrès de la science et des techniques de conception d'appareils modernes et sophistiqués, ont non seulement été des lieux virtuels d'échange, de communication à distance mais «intelligents» parce qu'ils ont canalisé la spontanéité dans les échanges humains mais aussi ont orienté les pensées humaines dans une même pensée avec un appel insistant poussant la «raison humaine» dans sa globalité à agir et, en partage large dans les vues, à passer à l'acte.

Et c'est ce processus virtuel-pensée dans l'inconscient des peuples en regard des problèmes vécus dans l'espace politique, économique et socioéconomique qui a amené ces mouvements à survenir. Par conséquent c'est cette synergie humaine dans ce virtuel-pensée-agissant qui était «élaboré» en fait dans ce «survenir». Non que les Gilets jaunes ou le Hirak algérien l'ont élaboré. Dans la réalité, l'Histoire avec un grand H qui a fait pour que cela survienne. Et différemment selon le contexte politique dans lequel se trouve chaque peuple.

Précisément, cette rationalité, on la trouve dans toutes les histoires des peuples. Il n'arrive que parce que cela doit survenir. Et en cela, il n'y a aucune fatalité, tout vient logiquement, n'est fatal ou miraculeux que parce que la pensée n'est pas pensée à sa juste valeur, et que l'on dit que cela revient à celui qui a créé le monde, c'est-à-dire Dieu, ou Allah. Non pas que c'est faux que le miracle se réalise, il est évident que, comme Il a créé le monde, Il peut tout réaliser. Sauf que si on prend, par exemple, que le Hirak algérien est un miracle divin et que Dieu l'ait permis, oui, c'est un miracle divin, et tous les êtres humains sont en réalité aussi des «miracles humains», puisque l'on a été créé, et plus que créé, l'être humain a été «réalisé» sans qu'il en prenne conscience, il est aussi un «miracle humain» «raisonné» dans le sens qu'il a subi tout un processus historique pour arriver à ce hirak.

Évidemment, cela paraît complexe et même singulier cette approche. Mais il demeure qu'il faut pousser la complexité et la singularité humaine dans ses retranchements les plus profonds autant que la pensée nous permet de les entrevoir. Ce qui signifie qu'il faut tenter d'«aller dans l'histoire et au-delà de l'histoire». Ce qui n'est pas chose facile. Mais quand on lit dans les œuvres de grands philosophes, les idées qui en sortent prônent précisément d'aller au-delà de ce que la réalité laisse entrevoir.

Paul Ricœur, un philosophe français, dans un cours sur l'«Herméneutique», énonce que ce n'est pas à partir de la réflexion sur la mort dont nous n'avons aucune expérience que l'on peut espérer comprendre l'énigme de la vie, le mystère de la conscience de soi et l'origine de la question du sens. C'est à partir de l'expérience du temps, constitutif de l'existence humaine, inséparable de la conscience de soi et de la genèse d'un sens qu'on peut comprendre pourquoi la mort reste pour la pensée, pour la réflexion sur soi, une énigme ! Pour ce philosophe, ce sont les temps modernes qui rendent possible et sans doute nécessaire cette nouvelle démarche - herméneutique - par laquelle on peut tenter, non point de comprendre (par la pensée) mais de déchiffrer le sens de notre rapport singulier à l'être.

Nous sommes invités, «convoqués» pour tenter une «herméneutique de la conscience historique», parce que la conscience que nous prenons de nous- mêmes est désormais liée au sentiment que les hommes ont de faire leur histoire. «L'idée que l'histoire est soumise au «Faire humain» est la plus neuve et sans doute la plus fragile», puisque, à la fin de ce XXème siècle, elle sera contredite par cette autre découverte, qui est sans doute «le second versant» de la conscience historique, savoir que «ce qui arrive est toujours autre chose que ce que nous attendions», que «l'action engendre des résultats non voulus», qu'enfin «nous nous «affectons» nous-mêmes par l'histoire que nous faisons» (comme si nous la subissions).

Ce que dit Paul Ricœur est incontestablement novateur, et pour cela, il faut changer l'approche pour la compréhension des événements qui ont changé le monde et révolutionné l'histoire. Et c'est dans ce comprendre qu'il faut chercher l'essence des choses humaines, l'essence des événements.

Rappelons ce qu'a dit le président français, Emmanuel Macron, dans la lettre qu'il a adressée au peuple français, sur le grand débat, le 13 janvier 2019. «Chacun partage le destin des autres et chacun est appelé à décider du destin de tous : c'est tout cela, la Nation française. Comment ne pas éprouver la fierté d'être Français ?» C'est absolument une vérité mémorable qui doit rester dans la conscience des hommes. Les êtres humains vivent en communautés, en nations, et celles-ci s'influent mutuellement pour constituer une psychologie humaine qui se rapproche.

On a vu la similarité qui existe entre le mouvement des gilets jaunes et le Hirak algérien, sauf que ces deux mouvements opèrent dans deux contextes différents. De même, un autre mouvement en Asie qui opère dans un autre contexte, c'est celui des parapluies à Hong Kong, depuis cinq ans, il a commencé en 2014, et toujours avec la même ardeur révolutionnaire. Et les mêmes moyens modernes pour canaliser et orienter le mouvement. Et cela relève du progrès du monde, à la fois dans le progrès matériel et dans la conscience humaine qui évolue avec le progrès.

Par conséquent, ce qu'énonce le président français s'applique à l'humanité entière. C'est un principe universel. Aussi, peut-on énoncer du devenir des peuples que, «par leurs nations, par le progrès du monde, par le progrès de leur conscience dans la vision que chaque peuple a de lui-même et des autres, chaque peuple partage le destin des autres peuples et chaque peuple peut influer sur le destin de tous : c'est tout cela la fierté et surtout le sens de l'humanité entière. Comment ne pas ressentir au sein d'un peuple la fierté d'être un humain ? Un humain conscient de son être et d'autrui, un être authentique, un être capable de ressentir la souffrance de soi comme celles des autres. En un mot être authentique dans l'humain ».

Maintenant, il faut s'interroger sur la genèse de ces mouvements, historiquement parlant ? Comment, par exemple, l'Algérie, de la colonisation, ensuite la guerre de libération et l'indépendance, elle a abouti aujourd'hui au Hirak, une remise en cause du système politique qui gouverne l'Algérie ?

Prenons les événements les plus visibles, les plus effroyables qui ont existé au siècle dernier, qui ne sont plus qu'un mauvais souvenir. Pourtant «ils ont été les plus déterminants dans l'histoire parce qu'ils ont donné l'humanité d'aujourd'hui». Se rappeler les clameurs des peuples colonisés sous le joug des puissances occidentales coloniales. Ils demandaient leur libération, leur indépendance, en retour on leur répondait par la répression. C'était un rêve pour ces peuples qui luttaient souvent dans la clandestinité pour s'organiser en vue d'atteindre leurs aspirations de vivre en peuple libre. Et les services de renseignements qui les pourchassaient. Leur combat tant les forces entre les colonisés et les colonisateurs étaient inégales et sans commune mesure, était pour ainsi dire vain, chimérique, ils ne seraient jamais indépendants. Sauf qu'il y avait et qu'il y a toujours une «Essence suprême» qui commandait, qui gouvernait et continuerait à commander et à gouverner les êtres humains. Parce que c'est cette instance qui est le «socle de l'humanité», puisque celle-ci est sortie d'Elle.

Précisément, les puissances européennes au début du XXe siècle, occupées dans leur antagonisme pour le partage du monde, se menaçant mutuellement, et comme l'a écrit Nietzsche dans la «Volonté de puissance», fortes d'armements les plus inimaginables, ont provoqué deux guerres mondiales. Le nombre de morts a été ahurissant surtout en Europe, l'Allemagne à elle seule a perdu 10 millions d'êtres humains, l'URSS 25 millions, et les deux conflits ont fait plus de 70 millions de morts et des dizaines millions de blessés et de handicapés à vie. Mais alors pourquoi ces deux guerres mondiales, à 20 ans d'intervalle ? Les puissances européennes étaient-elles à ce point aveugles pour se déclarer la guerre et perdre tout alors qu'elles avaient une mainmise totale sur le reste du monde. Sur l'Asie, l'Afrique et l'Amérique du Sud. L'Amérique du Nord partagé entre les États-Unis et le Canada.

Ces puissances auraient pu se partager le butin qu'était l'Afrique entière, pratiquement tout le monde arabe colonisé, une grande partie de l'Asie colonisée et une Amérique du Sud et Centrale dominée. Le peuple de l'Inde (le Pakistan n'existait pas encore) seul comptait plus de 300 millions d'Indiens en 1940, et donc par son statut de peuple colonisé, était sujet de l'Empire britannique. George VI, roi du Royaume-Uni et des dominions et Empereur des Indes, régnait en maître sur cette région du monde. Et d'autres régions du monde relevaient de l'Empire britannique. Et c'était la même situation pour les autres empires européens.

Si on regarde cette petite Europe régnant sur le monde, il y avait comme un non-sens dans cette situation de l'humanité. Une totalité du monde dominée par une petite fraction de l'humanité. Mais c'était ainsi, il y avait des déterminants herméneutiques dans cette expansion coloniale européenne. Pourquoi étaient-ils plus avancés les Européens tant sur le plan militaire, institutionnel qu'organisationnel ? C'était ainsi la marche de l'histoire à la fois dans le peuplement du monde que dans son brassage. Une «intentionnalité» dans l'histoire a amené l'Europe, à travers la colonisation, malgré les horreurs coloniales telle la traite des esclaves pour les besoins de main-d'œuvre en Amérique du Nord et du Sud, pour « brasser l'humanité» qui dans la finalité était une. Et c'est ainsi que se sont opérés les brassages raciaux dans les deux Amériques, et les pays neufs qui en sont sortis : les États-Unis, le Brésil, le Canada... devenus des pays multiraciaux.

Au final, ce ne sont pas les hommes qui font les hommes, mais les «desseins» de l'Histoire qui «réalisent» l'histoire. Et c'est la raison pour laquelle, au début du XXe siècle, le monde commençait à tanguer. Dans leur soif de puissance, enivrés par tant de puissance et de domination sur tous les continents du monde, les États-Unis devenus un pays neuf mais allié aux pays d'Europe, et faut-il rappeler aussi que le communisme n'existait pas encore, que les pays d'Europe déclenchent pour la première fois une guerre qu'ils croyaient courte et sans grande conséquence, chaque partie cherchait à protéger son empire, et d'autres cherchaient à prendre des empires. Et c'est ainsi que le premier conflit mondial éclata et sera dans toutes les consciences des peuples d'Europe et du reste du monde.

La fin de la guerre se termine, et à peine les blessures commencent à être pansées que, une décennie après la grande crise économique de 1929 qui a permis d'installer Hitler comme le maître de l'Allemagne, de nouveau un cataclysme s'abat sur l'Europe et le monde. L'année 1939 vient pour «terminer le travail de l'Histoire et changer le destin de l'Europe et du monde». Irrémédiablement deux guerres mondiales vont mettre à néant cette volonté de puissance des pays d'Europe. La suite vient d'elle-même, les indépendances des peuples colonisés étaient toutes tracées par l'esprit du monde, qui est aussi la «Raison suprême» même qui donne sens à l'histoire des hommes, et à l'humanité. Elle donne à cette humanité de savoir sans même vraiment savoir où qu'elle doit aller. Sinon tout au plus d'aller là où elle doit être menée, parce que c'est nécessaire.

Cela répond un peu à ce que dit Paul Ricœur que nous rappelons «savoir que «ce qui arrive est toujours autre chose que ce que nous attendions», que «l'action engendre des résultats non voulus», qu'enfin «nous nous «affectons» nous-mêmes par l'histoire que nous faisons» (comme si nous la subissions). Mais bien sûr, ce n'est pas comme si nous la subissions l'histoire, nous la subissons réellement, nous la faisons cette histoire mais dans le sens que commande l'Histoire, parce que cette histoire relève de l'Essence.

Et donc si la colonisation a été nécessaire puisqu'elle a existé et qu'elle a été rendue possible par la puissance à laquelle était arrivée l'Europe, les guerres mondiales ont aussi été nécessaires, et au final, «l'Histoire n'a fait que prendre ce qui était pris à autrui pour le rendre à autrui.» Et, ainsi le monde allait vers un mieux possible. Du moins ce qui relevait de la colonisation. Mais l'humanité évolue toujours, un stade a été dépassé, mais d'autres stades restent encore en suspens.

Mais ce que l'homme, et bien sûr l'humanité entière, ne doit pas perdre de vue, c'est qu'il existe cette Raison dans l'Histoire, à travers l'Esprit du monde, ou simplement Dieu, qui la «justifie», qui lui donne «sens» dans ce qu'elle assigne au monde. La Raison «gouverne» le monde. C'est Elle qui permet à l'humanité d'avancer, de prospérer, de régresser aussi mais «régresser pour avancer». Et, sans cette Raison du monde, sans cet Esprit du monde, l'humanité ne pourrait avancer, et ne pourrait même pas aller à sa perte puisqu'elle n'aurait pas sa raison d'être. Tout simplement l'humanité n'existerait pas. Et cet argument imparable : «Quel homme peut-il dire je suis moi ?» Ou quel peuple peut-il dire «nous sommes un peuple et existons par nous-mêmes et de nous-mêmes ?» «Le peuple algérien peut-il dire que j'existe par moi-même ? Le peuple américain peut-il dire que j'existe par moi-même ? Les peuples européens peuvent- ils dire que nous existons par nous-mêmes ? Le peuple chinois existe-t-il par lui-même, et que c'est son communisme et son communisme de marché qui lui donne le sens d'exister ?»

Il est évident que tous les peuples de la Terre existent par eux-mêmes, cela va de soi sinon ils n'existeraient ni n'auraient de sens d'exister. Mais, dans leur existence, ils sont «existés», dans le sens qu'ils ont été existés, créés, venus sur terre, et la préhistoire le témoigne. L'homme a découvert des ossements des premiers hommes sur la Terre. S'il n'y avait que quelques hommes sur la Terre, cela signifie que l'astre sur lequel vivent les hommes a préexisté avant eux. Dès lors, venus sur la Terre, ils ont évolué lentement mais cette évolution est conditionnée, dans le sens que les hommes ne se sont pas évolués mais l'ont été par le gré des circonstances. Et ce que ces circonstances leur ont fait découvrir depuis la lance, la pointe taillée sur des pierres aux missiles balistiques nucléaires intercontinentaux.

Et on comprend pourquoi cette expansion européenne sur les Amériques qui, faiblement peuplés, attendaient d'autres hommes pour la peupler. Et il a fallu attendre l'évolution des sciences, des techniques, il y a cinq à six siècles, pour que ces deux continents soient découverts et, avec l'apport des Européens, des Africains, des Asiatiques, et «réalisés» leur peuplement, et produire des pays neufs. Dont aujourd'hui les États-Unis, la nation la plus puissante du monde. De même, le Brésil une autre grande nation.

Et cela n'est arrivé qu'à une date précise, à partir du XVe siècle, avec des peuplements diversifiés selon un processus déterminé, logique en regard de l'Histoire. Donc tout ce qui s'est produit depuis des siècles jusqu'à aujourd'hui signifie que les hommes ne commandent pas leurs destinées. Ils sont et ils deviennent de nouveau ce qu'ils sont mais autrement. Ils ont avancé dans l'histoire, ils ont évolué et ne sont plus ce qu'ils étaient, ils sont devenus autres. Et de nouveau, au gré des événements, ils avancent encore dans l'histoire.

L'Europe a été au Moyen-Âge, elle est passée par des stades et des guerres et s'est constitué des empires coloniaux, puis encore par des guerres mais cette fois-ci mondiales pour devenir démocratique. De même, la Chine a été impériale puis est devenue communiste. Aujourd'hui, elle est hybride, communisme et capitalisme se chevauchent et tous deux en synergie lui ont donné sa puissance. Mais rien n'indique qu'elle sera ce qu'elle est aujourd'hui demain. Et le monde change, rien ne restera sur place, l'humanité évoluera parce que c'est inscrit dans ses gènes, dans son essence.

Aucune puissance ne restera ce qu'elle est aujourd'hui ou ce qu'elle était hier parce que l'Esprit du Monde veille sur la destinée du monde. De même pour les pays indépendants, sortis de la tutelle coloniale. Ils ne peuvent demeurer indéfiniment sous-développés, ou «en voie de développement» qui est un euphémisme pour désigner le sous-développement. Ils seront inévitablement amenés à avancer dans l'histoire. Et l'Algérie, aujourd'hui, avec le Hirak, dans ce nouveau stade de l'histoire, ira de l'avant parce qu'elle ne commande pas son avenir comme toutes les nations avant elles ne se sont pas commandées et ont avancé.

Dans «Grandeur et décadence des peuples», du livre «La Raison dans l'Histoire», page 91 à 94, Le philosophe allemand G. W. F. Hegel écrit : «Chaque Esprit populaire est soumis à la caducité ; il décline, perd toute signification pour l'histoire universelle, et cesse d'être le porteur du plus haut concept que l'Esprit a forgé de lui-même [...]. Le négatif de soi-même se manifeste en lui, la pensée s'élève au-dessus de l'action immédiate. Ainsi la mort naturelle d'un peuple apparaît-elle comme son suicide. Nous pouvons ainsi observer comment l'Esprit d'un peuple prépare lui-même sa décadence. Le déclin apparaît sous diverses formes : la corruption jaillit du dedans, les appétits se déchaînent ; la particularité ne cherche que sa satisfaction, si bien que l'Esprit substantiel devient inopérant et tombe en ruine. Les intérêts particuliers s'emparent des forces et des capacités qui étaient auparavant au service du tout. Le négatif apparaît ainsi comme corruption interne, comme particularisme. Pareille situation appelle en règle générale la violence étrangère qui exclut le peuple de l'exercice de sa souveraineté et lui fait perdre sa primauté. La violence étrangère n'est pourtant qu'un épiphénomène : aucune puissance ne peut détruire l'Esprit d'un peuple soit du dehors soit du dedans, s'il n'est déjà en lui-même sans vie, s'il n'a déjà dépéri [...].

La plante annuelle ne survit pas à son fruit ; l'arbre dure pendant des dizaines d'années, mais il finit lui aussi par mourir. Dans la nature, la résurrection n'est pourtant qu'une répétition du même, une histoire monotone qui suit un cycle toujours identique. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Il en va autrement du soleil de l'Esprit. Sa marche, son mouvement, n'est pas une auto-répétition ; l'aspect changeant que revêt l'Esprit dans ses figures toujours nouvelles est essentiellement un progrès. Progrès qui se manifeste, dans la dissolution d'un Esprit populaire, par la négativité sa pensée : en effet, la connaissance, la conception pensante de l'être, devient source et lieu de naissance d'une forme nouvelle et supérieure qui relève d'un principe à la fois conservateur et transformateur [...]. Le résultat de cette progression est que l'Esprit, dans la mesure où il s'objective et pense son être, détruit d'un côté la forme déterminée de son être et en saisit d'autre part l'élément universel, donnant ainsi à son principe une destination nouvelle. S'effectue la transformation du caractère substantiel d'un Esprit populaire donné : son principe est passé en un autre, qui est certes plus élevé».

Cette représentation de l'Esprit populaire dans son «dépérissement» et sa «résurrection» s'adapte parfaitement au Hirak algérien depuis le 22 février 2019. Le mouvement contestataire du peuple algérien est décrit en tous points par le philosophe allemand qui prédit au peuple algérien que «S'effectue la transformation du caractère substantiel d'un Esprit populaire donné : son principe est passé en un autre, qui est certes plus élevé».

Le philosophe allemand (1770-1831) a-t-il vu, par l'Esprit du Monde, l'Algérie d'aujourd'hui, il y a plus de deux siècles ? Incroyable que cette «prémonition herméneutique» de Hegel ? Comme si Hegel est toujours vivant dans l'Esprit du monde, dans l'Esprit de l'Europe, dans l'Esprit du peuple algérien. Tout ce qu'on peut dire, c'est que la pensée de Hegel, un philosophe allemand réputé mondialement et lu par tous les peuples qui se sont succédé depuis le début du XIXème siècle et qui ont cherché à élucider ses pensées, ne peut tromper. Le peuple algérien cherche à prendre son destin en main et, en huit mois de marches populaires, des progrès incroyables ont été opérés. Et il était fou de penser que de tels progrès allaient se produire avant que le Hirak survienne et bouleverse toutes les certitudes du pouvoir.

Mais ces certitudes du pouvoir, d'où viennent-elles ? Regardons le passé de l'Algérie, depuis sa révolution armée qui a éclaté le 1er Novembre 1954. Ce sont les armes à la main que le peuple algérien a combattu la France et arraché son indépendance. A cette époque, la France était classée quatrième puissance militaire du monde, après les États-Unis, l'URSS et le Royaume-Uni. Plus d'un million d'Algériens morts pour l'indépendance. La guerre d'Algérie a duré 7 années et demie. Puis vint l'indépendance et la lutte a commencé pour la prise du pouvoir. Devant le sang versé, le peuple est sorti dans la rue pour dire que «7 ans et demi, barakat», c'est-à-dire ça suffit avec la guerre et les «combats entre frères de combat».

A suivre...

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective