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La renommée et la célébrité se méritent et s'arrachent, elles ne se donnent pas !

par Djahed Benyounes*

L'Université algérienne visible ou pas visible ? Là n'est pas la question ni sa finalité, produire et développer sont ses charges et missions depuis toujours. De ces bases essentielles, on perçoit donc que le rôle principal et fondamental assigné à l'université algérienne, c'est la formation de cadres de haut niveau et de spécialistes compétents dans tous les domaines, avec de réelles capacités de gérer, d'administrer et de répondre aux besoins du pays dans tous les domaines (santé, production, construction, créativité,...).

La seconde mission des universités est la recherche fondamentale, créative et/ou innovante, d'enrichissement des connaissances et du savoir, ainsi que l'amélioration des conditions de la qualité de la vie et de la santé, des populations de la nation prioritairement, celle du monde éventuellement.

Ainsi en servant la nation d'abord et en mettant fin à notre dépendance dans tous les domaines, notamment celle relative aux technologies créatrices, on percevrait alors, le rayonnement de nos universités :

- sur la base de la qualité des formations dispensées,

- de l'application et de l'implication dans le développement national dans tous les domaines,

- de son rayonnement à l'échelle internationale par le nombre de hauts cadres, chercheurs de valeur mondiale formés ainsi que des nobélisables et des prix Fields.

Certains font remarquer l'absence de nos universités du carré d'or des classements de Shanghai, que sont les 50, 100, 200 et 500 meilleures universités au monde, et que la raison majeure de cette situation serait liée à l'insuffisance de publications internationales.

En outre et selon les mêmes sources d'informations rapportées par les médias et la presse algérienne, certains lient les raisons et causes de l'invisibilité de nos universités à la langue de communication et d'enseignement.

Ainsi et pour cette raison, à la suite d'une réunion avec des hommes d'Etat US, le secteur de l'enseignement supérieur déclare d'emblée son intention d'introduire l'enseignement de l'anglais à partir du primaire, de le généraliser à l'université, plus encore et dans le même ordre d'idée, les enseignements à l'université se feront dans cette langue «dixit la presse nationale».

Donc, la solution miracle pour rendre l'université algérienne visible dépendra de la célérité à enseigner la langue anglaise dans les différents cycles de formation des Algériens.

Eh bien, c'est ce genre de décisions inopinées qui immobilisent le pays, puisque prises précipitamment, sans calcul d'impacts et retombées sur la nation, sans raisonnement sur les différents moyens et facteurs à déployer, pour une réalisation convenable d'un projet qui engage le pays dans un bouleversement linguiste sans précédent.

Effectivement, c'est cette célérité de déclarations à engager le pays, sans cogitation appropriée avec tous les acteurs concernés, qui ont coûté à notre pays d'être à la traîne des nations en voie de développement, et ce malgré toutes nos richesses en facteurs humains et naturels.

Par ailleurs, selon les mêmes informations, et si on a bien saisi les motivations et raisons d'une telle célérité à l'introduction de l'enseignement de la langue anglaise à tous les niveaux d'enseignement, ce serait pour la visibilité de l'université algérienne dans ce fameux classement de Shanghai ! Ce qui dénote d'un non-sens pour plusieurs raisons.

Ce genre de décisions ne se prend pas dans la précipitation et sans raisonnement sur les objectifs visés, ceux souhaités, les moyens et facteurs à déployer et à mettre en action pour la réalisation convenable d'un tel bouleversement dans nos établissements scolaires et universitaires.

Donc, les raisons d'une telle promptitude pour l'introduction de l'enseignement de la langue anglaise, l'objectif principal serait de rendre l'université algérienne visible dans les classements Shanghai, ce qui est illogique pour plusieurs raisons dont les plus saillantes seraient :

1. Jusqu'à preuve du contraire, la visibilité de l'université ne concerne que les chercheurs universitaires qui devraient publier dans des revues anglophones, or ce nombre de chercheurs ne dépasseraient pas les quelques milliers... alors la question qui se pose à juste titre, pourquoi donc enseigner cette langue, à plus de dix millions d'écoliers, lycéens et universitaires, soit le quart de la population algérienne.

2. Que rapporterait la visibilité des universités algériennes dans ces classements annuels, le prestige... peut être ! Mais de qui, de quoi et surtout pourquoi ? Par ailleurs, il faudra des années pour pouvoir prétendre à être visible parmi les premières centaines d'universités qui, rappelons-le, ont plusieurs siècles d'existence, et généralement comptent en leurs seins des Nobels, des Fields et des brevets d'invention en quantité.

3. Est-ce que la visibilité de nos universités dans ces classements annuels, engendrerait l'amélioration de notre PNB, du niveau de vie de notre population ?... Du prestige peut-être ! Mais de qui et de quoi ?

4. Généraliser l'enseignement dans la langue de Shakespeare exigerait des moyens humains, matériels et financiers astronomiques... et en cette période de disette, on pense que le moment est inopportun.

5. Concernant le cas de notre pays l'Algérie, la problématique est sérieuse à prendre avec précaution pour plusieurs raisons : dont les plus importantes, c'est que nous pratiquons déjà trois langues (l'Arabe, le Berbère et le Français) dont deux sont officielles, de même qu'il faudrait compter plusieurs générations et une grande rigueur de formation pour généraliser l'usage d'une nouvelle langue d'enseignement.

6. L'enseignement soudain de la langue anglaise à tous les niveaux d'enseignement générera des problèmes sociaux et politiques importants au pressentiment qu'on est en train de subir à notre tour ce qu'on qualifie en sociopolitique... de néocolonialisme, forme d'assujettissement qui n'a plus besoin de moyens forts pour asservir une nation, et qui se fait de manière douce et insidieuse à travers des échanges économiques, socioculturels, scientifiques etc... autrement dit l'installation d'une dépendance continue.

A ce titre et concernant ce dernier point, l'expansionnisme linguistique c'est la forme de domination culturelle la plus insidieuse, qui use, au moyen de la langue, à faire adopter généralement le modèle socio-économique d'une nation par d'autres pays. Alors que, cette situation de par le monde génère des désaccords importants et des résistances, notamment de ceux qui perçoivent des desseins politiques impérialistes du monde anglophone, qui veille à ses intérêts économiques et politiques et à faire adopter de par le monde une langue commune, à savoir l'anglais.

A titre d'exemple, il y a quelques années déjà et pour son expansion dans des pays non anglophones tel le nôtre, cette langue devient celle des classes prospères et des élites, ce qui les favorise et leur confère des possibilités d'accès à des privilèges et priorités aux postes de responsabilités dans les milieux d'influence internationale tels que : ONU, UNESCO, FAO, Banque mondiale... la langue anglaise étant exigée comme condition de recrutement.

Aussi et pour ces raisons, si certains linguistes aspirent à ce que l'anglais devienne rapidement une langue de communication internationale, ils conseillent tout de même la préservation du multilinguisme, et surtout insistent sur le fait, que les enseignements publics se fassent dans la langue nationale. Et qu'en toute logique, dans tous les pays du monde la transmission du savoir doit se faire dans la langue maternelle.

Toujours et dans cet ordre d'idées, ne perdons pas de vue que la langue est la métaphore de la parole permettant de dialoguer, de s'exprimer, de converser et de communiquer et non de se développer ou de développer la recherche ou l'enseignement et, au risque de me redire, les Chinois sont au sommet de l'économie du monde et de la technologie en langue chinoise, il en est de même pour la France, l'Italie, l'Inde, l'Allemagne, la Turquie..., etc. C'est pourquoi j'ai le sentiment que certains sans le faire exprès, versent dans le sens de ce qu'on qualifie d'impérialisme linguistique qui est plus un concept politique, voir une forme de domination culturelle au moyen de la langue avec pour objectif de fond l'encouragement aux modèles de vie, de consommation d'éducation, d'une nation développée et/ou colonialiste envers les autres pays.

Et c'est pour ces raisons que lors du congrès mondial de Barcelone en 1996, et pour des raisons de maintien du multilinguisme, une déclaration universelle des droits linguistiques a été adoptée, édictant et proposant que chaque communauté linguistique ait le droit :

- A la publication de tout document officiel dans sa langue ;

- A l'enseignement public dans sa langue ;

- A l'emploi de noms de lieux et de noms personnels dans sa langue ;

- A l'accès aux médias ;

- A l'emploi de sa langue dans le commerce, y compris les contrats, les étiquettes, et les affiches.

Cette contribution n'est pas une analyse critique stérile, ni une imposition d'une moralité nationaliste, puisque il y a d'autres voies et visions du développement de l'université et sa visibilité à travers le monde. La science n'est pas seulement une affaire d'idées ou de méthodes, elle dépend aussi beaucoup du statut de ceux qui la font, ils sont porteurs de savoir nouveau se combinant à des révolutions conceptuelles.

C'est pourquoi en écoutant les informations, on se sent consterné de voir que certains estiment que l'université n'a d'existence que pour faire de la recherche pour la recherche et de publier dans des revues internationales de renommée. Faisant de l'objectif principal de l'université sa visibilité internationale par les classements internationaux... que d'ailleurs on ne perçoit pas... mais alors vraiment pas, ce qui pousse ces pseudo organismes à dépenser des sommes colossales aux fins de réaliser annuellement cette classification, s'il n'y a pas de dividendes certaines en retour... A méditer !

D'ailleurs et dans le même ordre d'idées, durant les années quatre-vingt, le président des USA, R. Reagan, avait instruit les chercheurs américains à ne pas publier la totalité de leurs travaux de recherches aux fins d'éviter qu'elles ne profitent à d'autres pays, particulièrement ceux du bloc dit socialiste et communiste de l'époque.

D'autre part, sur un plan purement d'intéressement, on devrait se poser la question suivante que rapporteraient ces classements de Shanghai à l'université algérienne et à l'Algérie ? Rien, nada, zéro,... peut-être bien du prestige, mais on ne sait pas si ça fait manger, si ça soigne, si ça habille... une population algérienne de plus en plus nombreuse et exigeante.

Sur le plan financier, les universités algériennes n'ont pas de ressources propres et ne sont pas financées par des mécènes, entrepreneurs, ou producteurs... et à ce titre, sont donc totalement dépendantes du financement public à raison d'environ 3% du PNB (produit national brut), soit 10% du BNP (budget national public).

A ce titre donc, leurs missions principales restent de briller à l'intérieur du pays par la formation, d'un encadrement de haut niveau et efficace, aux fins de satisfaire les besoins de la nation, en un encadrement de qualité dans tous les domaines. Leur seconde mission, de faire de la recherche (pour rappel, il existe des centres de recherche ayant pour mission principale la recherche scientifique).

Cette recherche doit être orientée prioritairement vers les secteurs stratégiques tels que l'agriculture, la santé et la technologie... De trouver des solutions aux problématiques de développement du pays, de réduire les factures d'importation et notamment mettre fin à la dépendance technologique, du moins dans les domaines stratégiques.

En fin de compte et à toute fin utile, si vraiment il y a nécessité d'introduire la langue anglaise pour permette la visibilité de nos universités à l'échelle internationale, la solution la plus idoine serait de permettre aux enseignants universitaires qui le souhaiteraient d'étudier cette langue à l'université, ou encore que ce soit une condition bonifiant le recrutement des nouveaux enseignants.

Un autre objectif de taille incombe aux différents responsables du secteur, celui de réorganiser et restructurer l'université aux fins d'améliorer sa gestion pour mener à bien et réaliser les missions qui sont les siennes à savoir :

- La réorganisation et la restructuration des universités aux fins de jouer un rôle moteur du développement, de prestance et de créativité.

- L'encadrement universitaire : l'alternance dans la gestion des universités est pratiquement inconnue... d'ailleurs on ne voit pas l'utilité de publier des textes de fonctionnement de l'université puisqu'ils ne sont pas appliqués. En effet, des responsables universitaires : recteurs, vice-recteurs, doyens... etc., nommés parmi les plus hauts gradés, à savoir professeur ou maître de conférence pour un mandat de trois années renouvelable une fois, se maintiennent en poste depuis des lustres, certains ont même pris racine, dépassant parfois les 25 ans... Cette situation peut être qualifiée de déperdition pour l'enseignement et la recherche, car il est difficile de concilier la gestion administrative et d'assurer des charges d'enseignement, d'encadrement et de recherche de manière satisfaisante...

- La revalorisation du mérite à l'université est une urgence, car depuis une vingtaine d'années est apparue une formule magique : «balaâ li ya chikh» des étudiants, véritable désastre pour la qualité des cadres formés, pas tous heureusement ; en effet à chaque fin d'année il est aisé d'observer des étudiants tarabustant et quémandant les enseignants de leur arrondir la note à 10 pour assurer le passage... Cette situation n'a pu s'installer dans le temps et l'espace que pour deux raisons : parce que certains enseignants jouent le jeu et donc ont permis l'installation «admet Um aeternam» de la médiocrité et la seconde est que l'administration n'exige pas de l'enseignant un rapport justifiant la modification des notes. Pour mémoire, rappelons qu'un 10/20 signifie que la personne maîtrise 50% des connaissances et en ignore 50%, donc on forme des apparences d'ingénieurs, de médecins... etc.

- Le recrutement des enseignants chercheurs devrait se faire par les laboratoires d'enseignement et de recherche et qui restera au niveau du laboratoire qui le recrute à faire de l'assistanat jusqu'au moment où il sera reconnu en mesure d'assurer des cours mais toujours sous le contrôle du chef ou du directeur du laboratoire d'enseignement et de recherche.

- Le financement des projets de recherche devrait se faire sur la base du mérite avec une priorité aux recherches assurant l'indépendance du pays du point de vue technologique et alimentaire.

- Repenser les horaires de travail de l'université : effectivement les chercheurs sont parfois tenus d'assister à des réactions chimiques, biologiques ou physiques qui peuvent intervenir à n'importe quelle heure de la nuit ou du jour, or nos universités ont des horaires identiques à celles des écoles primaires.

- La réorganisation et la restructuration de l'université est une urgence, afin qu'elle puisse remplir convenablement ses missions avec aisance et qualité, de ne pas former pour l'emploi mais d'élever le niveau de connaissance des populations universitaires, notamment en matière de recherche qui devrait correspondre aux besoins de la nation.

Pour conclure cette contribution, je conseille de ne pas inverser la pyramide des besoins dont la base est d'assurer la sécurité alimentaire et la santé des populations en toute priorité, la pointe de la cette pyramide ne représente qu'une faible portion des populations puisqu'il s'agit de la réalisation de soi et donc ne concerne que les élites.

* Professeur