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L'Europe et les États-Unis sont-ils à l'abri d'un mouvement tel le Hirak algérien ? Les détours de l'histoire (1ère partie)

par Medjdoub Hamed*

  Dans un article précédent paru sur Agoravox, deux posts m'ont été adressés(1). Le premier, il demande : «Avec dans le titre une expression telle que «adaptabilité herméneutique», je me demande à quel public votre article s'adresse.»

Le second, il pose la problématique sur ce qui va advenir du Hirak algérien, et il écrit : «Je n'ai pas d'avis sur la situation politique de votre pays ; de mon sens son devenir concerne les Algériens et eux seuls. Par contre j'ai un avis sur l'armée algérienne qui, hormis la caste de prévaricateurs galonnés, a fait le job face aux assauts islamistes. De mon modeste avis professionnel, votre pays peut se louer de son armée de conscrits et de professionnels. Possédant une classe éduquée vous êtes un des rares pays à pouvoir mettre en œuvre un matériel à hauteur des armées occidentales ; cela fait de l'Algérie le colosse militaire africain. Reste une question pour votre «révolution» (...) puisque vous comparez avec 1789 / 1793, y a-t-il un «sabre» qui traîne dans les couloirs de vos espoirs démocratiques ?»

La réponse pour le premier que j'ai donnée, je la résume à peu près ainsi : «Je vous répondrai par un passage de la lettre d'Emmanuel Macron adressée au peuple français, sur le grand débat, le 13 janvier 2019. «Chacun partage le destin des autres et chacun est appelé à décider du destin de tous : c'est tout cela, la Nation française. Comment ne pas éprouver la fierté d'être Français ?» Pour comprendre l'importance de cette affirmation du président français qui est une vérité, il faut l'étendre à l'humanité entière. Et on écrit : «Chaque nation partage le destin des autres nations et chacune est appelée à décider du destin de tous : c'est tout cela la fierté et surtout le sens de l'humanité. Comment ne pas ressentir la fierté d'être un humain ? Un humain conscient de son être et d'autrui, un être authentique, un être capable comme de ressentir la souffrance de soi et celles des autres. En un mot être humain et authentique.»

Un autre exemple de ce partage du destin du monde que j'aurai à expliquer prochainement est l'avènement d'Israël et juste avant les monarchies arabes dont l'Arabie saoudite et les guerres qui s'en sont suivies entre le monde arabe dans sa globalité et Israël. Ils ont été des événements «pensés» par l'Histoire parce qu'ils devaient «à faire» pour faire progresser l'humanité. Et même il faut dire qu'ils ont «sauvé» l'humanité d'une débâcle économique mondiale certaine, et même du danger d'une possible Troisième Guerre mondiale en mettant fin au bloc socialiste, y compris la fin de l'existence de l'Union soviétique.

Évidemment, cet intervenant ne peut comprendre parce qu'il n'a pas les éléments herméneutiques qui l'affirment, mais il demeure que, sans eux, sans cette partie du monde, l'humanité ne pouvait progresser. Et c'est ce que dit dans un sens, le président français, sauf qu'il le limite à la France, alors qu'en réalité, le destin des uns et des autres est un «principe universel». L'humanité est un «tout» et tout ce que fait le plus petit microcosme humain influe d'une manière ou d'une autre sur le macrocosme qu'est l'humanité. Et même on comprend dans cette ligne de sens pourquoi, par exemple, la crise israélo-palestinienne ne trouve pas encore solution parce que c'est encore trop tôt vu l'évolution du monde. Et pas seulement ce problème, et d'autres problèmes tout aussi complexes parce que le temps n'est pas encore serein, ou plus simplement l'adaptabilité herméneutique dans ce stade de l'histoire ne s'est pas réalisée encore, elle est en cours de réalisation.»

La réponse pour le deuxième post est encore plus complexe car elle engage l'avenir herméneutique de l'Europe et des États-Unis à un horizon par très lointain, en 2030, voire 2040, mais ne saurait dépasser 2050. En effet, à cette date, le monde changerait probablement sans commune mesure avec ce qui se passe aujourd'hui.

Sur le plan démographique, par exemple, la population européenne qui va stagner entre 515 et 530 millions et la population américaine qui va légèrement s'élever passant de 330 millions à 400 millions, entre 2030 et 2050, ne totaliseront pas ensemble 1 milliard. Ils seront environ 900 millions d'Européens et d'Américains, en 2050. Tandis que la Chine et l'Inde qui ont une démographie proche, leur population totale qui est aujourd'hui de 2,7 milliards se situera entre 2,8 à 2,9 milliards d'êtres humains. Entre ces deux grandes régions, il y a l'Afrique qui va voir sa démographie fortement croître. Elle passera d'environ 1,3 milliard aujourd'hui à 2,5 milliards en 2050.

Alors que la population mondiale qui s'élève aujourd'hui à 7,6 milliards d'êtres humains devrait atteindre 8,6 milliards en 2030 et 9,8 milliards en 2050. Ce qui signifie que le reste du monde hors Chine-Inde-Europe-États-Unis-Afrique totalisera 3,5 milliards d'êtres humains. Ce seront l'Amérique centrale et du Sud, la Russie, le Japon, l'Australie, le monde arabe du Moyen-Orient, les deux Corées... Tout compte fait, on aurait 8 milliards d'êtres humains face à 900 millions Européens et Nord-Américains. Ce qui serait un «déséquilibre extrêmement préjudiciable à l'Europe et les États-Unis». Comment alors le comprendre ?

Précisément comme j'ai répondu au deuxième post, j'ai utilisé une métaphore-image de la situation économique mondiale. Nous savons que l'Occident a pour socle les États-Unis et l'Union européenne. Et ils constituent à la fois la colonne vertébrale, la plus grande partie du corps occidental et surtout le «poumon» par lequel respirent l'Occident et le monde. «Qu'en est-il de ce poumon occidental qui fait respirer l'ensemble des nations du monde ?» Prenons le fait que deux gouvernements sont à la tête de ces deux peuples qui sont très avancés sur tous les plans : économique, politique, militairement, social, enfin dans tous les domaines. Et surtout ils sont «démocratiques», une qualité dont une grande partie du reste du monde n'en brille pas.

Mais le temps passe, puis surgit un nouveau phénomène. Arrive alors un concurrent très sérieux, très fort lui aussi surtout économiquement, et pose problème aux deux gouvernements américain et européen. Et on sait qu'il s'agit de la Chine avec son formidable réservoir de main-d'œuvre, travailleur, performant, compétitif et qui a rattrapé le niveau économique, technologique et scientifique de l'Occident. Il pose un grand problème à l'Occident dans les échanges économiques internationaux. La Chine est partout et supplante l'Occident dans les marchés en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et du Sud, en Australie et aussi en Europe et aux États-Unis. Il y a presque une «sinisation de l'économie mondiale». Et l'Occident n'y peut rien et il est obligé d'importer des biens et services de Chine parce que les prix sont beaucoup plus abordables, et la monnaie chinoise bien plus sous-évaluée que les monnaies occidentales. Et la Chine, confrontée à une situation sociale difficile compte tenu du grand réservoir de main-d'œuvre à qui il faut lui donner du travail. Son gouvernement n'a pas le choix que d'avoir une économie très compétitive à tout prix pour éviter un chômage de masse, qui serait nuisible à l'économie chinoise.

Le problème est que sa compétitivité et la résorption de son chômage provoquent une hausse du chômage chez les autres puissances exportatrices, en particulier l'Europe et les États-Unis. En clair, la Chine exporte massivement des biens et services mais exporte aussi du chômage de masse. Les populations occidentales se trouvant alors à rechercher l'emploi dans les services, et même les services en Occident commencent à être saturés aujourd'hui. Une situation donc difficile, avec le chômage montant, et le concurrent, on s'en doute bien, ne peut faire autrement. Sans compter qu'il y a l'Inde, une autre puissance industrielle et manufacturière montante.

Que vont faire dès lors l'Europe et les États-Unis face au péril de l'Asie qui compte aujourd'hui 4,6 milliards d'habitants, dont une partie importante est très productive et compétitive, alors que l'Europe et les États-Unis qui comptent moins d'un milliard d'êtres humains, et se trouvent globalement distancés dans le commerce mondial ?

Il y a cependant une solution pour l'Europe et les États-Unis qui est en cours aujourd'hui, mais cette solution ne peut être pérenne. C'est précisément ce «poumon» que détient l'Occident et par lequel l'économie mondiale respire. Qu'en est-il de ce poumon ? Ce sont tout simplement leurs monnaies internationales dont principalement le dollar et l'euro qui comptent à eux deux pour 80 à 85% dans les échanges mondiaux. Et qu'émettent les deux grandes Banques centrales du monde, la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE). C'est comme si l'humanité entière est un seul État, et ces deux Banques centrales auxquelles il faut joindre la Banque d'Angleterre et la Banque du Japon qui émettent aussi des monnaies internationales (livre sterling et yen) financiarisent toute l'économie mondiale. Et jusqu'au 30 septembre 2016, le yuan, la monnaie du peuple de Chine, venait de se hisser officiellement au rang de monnaie internationale - il est, à cette date, la cinquième monnaie dans le panier de monnaies qui fixe l'étalon monétaire (DTS) utilisé par le FMI. Mais le yuan commence seulement à s'étendre en monnaie de réserve dans les Banques centrales du monde et de compte dans les échanges commerciaux internationaux.

Ce poumon monétaire à l'échelle du monde permet de maintenir la paix sociale en Europe et aux États-Unis. Face à la perte de compétitivité face à la Chine et le reste de l'Asie (Corée du Sud, Taiwan, Vietnam, Singapour, Indonésie...) qui excellent dans le commerce mondial, les États-Unis et l'Europe, tout en menant une légère austérité (surtout l'Europe), financent par la dépense publique tout ce qui est nécessaire pour leurs populations et en même leurs déficits commerciaux extérieurs. Ce qui signifie qu'ils importent plus qu'ils n'exportent, et ce faisant, par le financement en dollars et en euros de leurs déficits extérieurs, ils financent les pays du reste du monde. Ainsi tous les pays du monde se retrouvent à rechercher des dollars, des euros, et dans une moindre mesure la livre sterling, le yen et le franc suisse. Par ce processus qui incombe à l'Europe et aux États-Unis d'enregistrer des déficits extérieurs, l'économie mondiale s'équilibre et donc stabilise le commerce mondial sur le plan monétaire.

A suivre...

*Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective

Note :

1. «Les avancées du Hirak algérien et l'histoire. L'adaptabilité herméneutique des présidentielles de décembre 2019 dans la solution de la crise», par Medjdoub Hamed. Le 21 septembre 2019. https://www.agoravox.fr

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