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Présidentielle: Benflis, Tebboune et candidat du «consensus»

par Ghania Oukazi

Le président de Talaï El Houriet est le premier à briser la glace qui a gelé les deux rendez-vous pris pour tenir des élections présidentielles. L'ancien ministre de l'Habitat et ex 1er ministre pourrait en être le deuxième.

Le 18 avril puis le 4 juillet ont été pensés comme des haltes pour organiser des élections présidentielles. La première a été consacrée pour les préparatifs d'un 5ème mandat pour Bouteflika, la seconde devait être «libre» pour permettre aux candidats «du peuple» de prétendre au poste de la magistrature suprême. Ce fût le carnaval dans toutes les couleurs qui sied notamment à ses clowns.

Pour cette fois, les choses semblent reprendre leur cours «normal». Décidées pour le 12 décembre prochain par le chef d'état-major de l'ANP et annoncées par le chef de l'Etat, les élections présidentielles ont commencé à emballer des figures partisanes médiatiques dès l'installation de l'autorité indépendante. Compté en tant que tel, Ali Benflis a été le premier à faire part, jeudi dernier, de son intention d'être candidat à la candidature à ce prochain rendez-vous électoral.

Pour le président de Talaï El Houriet, la collecte des 50 000 signatures individuelles sera aisée puisque c'est la quatrième fois qu'il est candidat à la présidentielle, en 2004, 2014 et à celle prévue pour le 18 avril dernier mais de laquelle il s'était retiré avant même que le Conseil Constitutionnel statue sur son dossier. Benflis aura ces signatures haut la main parce qu'avance-t-on «il est le candidat de nombreux partis y compris ceux de l'Alliance démocratique composée par le RCD, le FFS, le PT, le MDS(...) et même de certains islamistes», affirment des sources informées. Pourtant, l'on avance depuis quelques temps ici et là que Benflis pourrait être le candidat «du consensus», c'est-à-dire celui du pouvoir incarné par Ahmed Gaïd Salah. Il est clair que les deux hommes se connaissent bien ne serait-ce que parce qu'ils sont natifs de la même région et surtout parce qu'ils ont participé à la consécration des mêmes pouvoirs.

«Ali est sur place, je lui fais confiance»

Gaïd Salah doit avoir comptabilisé que Benflis a été directeur de campagne de Bouteflika, successivement son secrétaire général et son chef de cabinet avant qu'il ne le nomme chef du gouvernement de 2000 à 2003. En 2001, il l'a même intronisé secrétaire général du FLN dont il était déjà membre du Comité central depuis 1991.

En mai 2003, il est évincé par Bouteflika de son poste de chef du gouvernement pour être remplacé par Ahmed Ouyahia. De grandes interrogations avaient été posées au sujet de ce limogeage tant l'on disait que Bouteflika disait à sa propre mère que «Benflis est le frère que je n'ai pas eu.» L'on avançait aussi que le président répondait à ses pairs de l'étranger qui lui demandaient s'il ne craignait pas d'être renversé par l'armée pendant ses déplacements à l'extérieur du pays que «Ali est sur place, je lui fais confiance.» L'on dit cependant que si Bouteflika avait décidé de se séparer de son proche collaborateur, c'est parce qu'il a été informé que ce dernier comptait se porter candidat à la présidentielle de 2004. C'est d'ailleurs ce que Benflis a fait au nom du FLN à la demande, disait-on du chef d'état-major d'alors, Mohamed Lamari. Mais l'autre version qui avait circulé pour justifier ce limogeage, était que Benflis alors chef du gouvernement en visite officielle à Paris, l'Elysée lui avait déroulé le tapis rouge. C'était les 16 et 17 janvier 2003 où le président français, Jacques Chirac, lui avait accordé une longue audience. Une fois de retour à son hôtel près de la majestueuse place de la Concorde, Benflis avait reçu les journalistes algériens qui l'avaient accompagné à partir d'Alger pour couvrir sa visite à Paris. A la remarque que son audience avait duré longtemps et que dehors, dans les jardins de l'Elysée, il faisait un froid torride, il nous a répondu avec un large sourire «il fallait mieux être à l'extérieur qu'à l'intérieur(...).»

Benflis est bon parleur, parfois charmeur même. Sa virulence envers Bouteflika avait d'ailleurs étonné plus d'un de par le ton coléreux et les propos très souvent insultants qu'il a tenu à son égard. Un ancien président du Conseil Constitutionnel nous avait confié qu'il avait conseillé au président «de ne pas tenir rigueur à Benflis parce qu'en politique, il n'y a pas de morale.»

Tebboune, candidat «du consensus» ?

Mais en 2003, le président avait répondu à cette observation que «Benflis m'a trahi, je ne le laisserai jamais tranquille.» Il est possible que la vengeance de Bouteflika contre Benflis a été que ce dernier n'a obtenu que 6,4 des voix dans le scrutin de la présidentiel de 2004 et 12,3% dans celui de 2014. «Il m'a limogé ! Il m'a limogé !», s'était plaint Benflis avec la gorge serrée lors de la passation de pouvoirs à son successeur Ahmed Ouyahia. Ali Benflis est devenu depuis, l'opposant de Bouteflika le plus brutal.

Autre candidature attendue en principe dans les heures qui suivent, celle de Abdelmadjid Tebboune, cet ancien ministre à la tête de divers secteurs sous Bouteflika et son 1er ministre pendant à peine quatre mois, du 24 mai au 15 août 2017. Tebboune est d'abord connu pour avoir dirigé le ministère de l'Habitat et lancé tous les programmes de logement à commencer par ceux de l'AADL. Le motif de son renvoi par Bouteflika de son poste de chef du gouvernement n'a pas été explicité d'une manière officielle. Des supputations, l'on garde celle, dit-on, d'avoir osé s'attaquer aux oligarques proches de Saïd Bouteflika. Le premier couac de Tebboune en tant que 1er ministre, son exigence de faire sortir Ali Haddad de la salle de l'Institut supérieur de la Sécurité Sociale où il devait présider une remise de diplômes. Il aurait ainsi joint le geste à sa parole de séparer la politique de l'argent sale. Ce jour-là, le ministre du Travail avait susurré à l'oreille de Sidi Saïd qu'il était dans l'embarras parce qu'il lui a été demandé de renvoyer Haddad de la cérémonie. Le SG de l'UGTA demande au président du FCE de l'accompagner à la Centrale syndicale «pour éviter une regrettable confrontation publique entre les deux hommes.» Il a aussi été rapporté que Gaïd Salah aurait demandé à Tebboune de jeter dehors Haddad... Les méandres du pouvoir étant insaisissables, l'opinion publique ne sera jamais fixée sur une explication précise d'un incident aussi anodin que fâcheux dans un Etat qui s'est toujours confondu avec le pouvoir de l'heure.

Retour de la politique du bâton

Aujourd'hui, l'histoire veut reprendre ses droits sur Tebboune en l'avançant comme étant le probable candidat du consensus. Il est donné pour supplanter Benflis de ce «privilège» qui consacre les rôles et les statuts. «Si Abdemadjid a 99% de chance de se présenter à l'élection du 12 décembre sous le slogan Le candidat du peuple,» nous dit un de ses proches collaborateurs. Tout est fin prêt, dit-il encore, il a déjà choisi son directeur de campagne et son QG. Le 1% qui reste et qui ferait hésiter Tebboune, «la caution de l'armée qu'il cherche,» est-il noté. «Une telle réponse est peut-être pour détourner l'attention sur un rapprochement Gaïd-Tebboune mais encore faut-il qu'il ait existé», interroge-t-on.

«Ce peuple (...) a soutenu et approuvé les efforts de l'institution militaire, qui est déterminée à aller vers les élections et à les organiser dans les temps impartis, qu'on le veuille ou non, quels que soient les difficultés et les sacrifices », a affirmé le chef d'état-major de l'ANP, le général de corps d'armée dans son discours du 2 septembre dernier. Il est clair que Gaïd Salah ne laisse(ra) rien au hasard. La politique du bâton qu'il a décidé d'employer et dont les conséquences risquent d'être très graves ne présage pas d'une élection libre qui menacerait son pouvoir sur le pays. Il est prêt à braver toutes les voix discordantes au nom, a-t-il toujours répété, «des missions et prérogatives que lui confère la Constitution» à savoir «la défense de l'unité et de l'intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime.» Son incursion dans le champ politique, il la justifie par «les complots» fomentés contre le pays. Ses discours incessants, récurrents et invariables à ce sujet font aujourd'hui de l'armée l'institution la plus bavarde du pays qui revient en force pour régenter les affaires civiles et politiques de l'Etat et ce, «qu'on le veuille ou non».