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L'«âge d'or» des BRICS et exportateurs de pétrole en 2000-2014, choc pétrolier, déclin de l'Occident, un monde qui change en ce 21e siècle (1ère partie)

par Medjdoub Hamed

Comment comprendre la baisse du pétrole depuis 2014 ? Et les réserves de change des pays exportateurs de pétrole qui ont fondu et continuent de fondre ?

De même pour les autres pays du reste du monde, notamment la Chine, la Russie, le Brésil et autres pays qui, bien que leurs réserves de change ont partiellement fondu, remontent difficilement aujourd'hui ? Pourquoi le retournement pétrolier et rien n'y fit malgré les décisions répétées de diminuer la production prises par le cartel pétrolier ? Où est l'énigme ? Ou plutôt les failles du système économique mondial ? Lorsque l'on sait que depuis 2000 jusqu'au premier semestre 2014, soit quinze années durant, le prix du baril de pétrole n'a pas cessé d'être haussier. Il y a bien une explication rationnelle à ce processus. Cependant, avant tout, il faut comprendre pourquoi cette période initiale où le prix du pétrole n'a pas cessé d'être élevé et qui a été très « favorable» au pays du reste du monde, en particulier les pays du BRICS et exportateurs de pétrole. Il y a évidemment des causes et souvent il en existe qui bien qu'elles soient vraies demeurent aussi apparentes non dans leur sens causal qui est vrai aussi, mais dans le sens qui va au-delà du sens causal. Pourquoi ? Parce que la mécanique de la marche économique du monde n'est pas une simple marche de cause à effet, mais surtout de cause qui a donné précisément le sens causal. Et c'est ce qui s'est joué, par exemple, dans la « formidable montée en puissance» de la Chine et l'importance des pays exportateurs de pétrole dans la « régulation de l'économie mondiale».

Les pays exportateurs de pétrole savent-ils qu'ils sont des régulateurs de l'économie mondiale ? Et c'est d'ailleurs ce qui explique l'acharnement à tout prix, par toutes les voies y compris la guerre, la subversion, les crises générées dont la récente crise iranienne avec les États-Unis depuis mai 2018, année où ils se sont retirés de l'accord nucléaire. La raison nucléaire est secondaire, la première est évidemment pétrolière. Tout l'équilibre de l'économie mondiale repose sur les fluctuations du pétrole et des émissions monétaires de la Banque centrale américaine. Le nœud gordien qui ne peut être tranché et que s'il se tranche ou est tranché, c'est tout l'équilibre économique mondial qui en ressentira, qui sera gravement déstabilisé. Dès lors, ouvrant la porte vers l'inconnu. Et d'ailleurs c'est ce nœud gordien qui a donné vie à l'islamisme radical. Celui-ci en est le pendant. Que l'on tranche le nœud gordien pétrole-dollar, et l'islamisme est définitivement mort, il perdra son socle géostratégique.

1. L'âge d'or des pays exportateurs de pétrole et pays du BRICS corrélé par l'endettement occidental. Le déclin de l'Occident

Après cette présentation, il faut comprendre ce qui fut ce qu'on peut dire la période de faste qu'a eue le cours du pétrole entre 2000 et juin 2014. Un bref rappel de la situation d'alors.

En 2000, la situation économique mondiale était équilibrée, malgré la double crise financière des valeurs technologiques (High Tech) à Wall Street, en avril et septembre de la même année. En 2001, avec la récession américaine qui suivit au premier semestre 2001et surtout l'attaque terroriste du World Trade Center, le 11 septembre 2001, c'est le changement radical de la politique extérieure américaine. Une guerre tous azimuts va être lancée contre le terrorisme islamique international, terrorisme qu'eux-mêmes ils ont sponsorisé dans le monde, faut-il le rappeler, depuis la guerre URSS - Afghanistan. Le recours à l'islamisme politique a permis non seulement à saper la puissance militaire de l'URSS en Afghanistan mais à frapper les pays arabo-musulmans qui se trouvaient dans l'aire géopolitique soviétique y compris dans l'aire occidental comme cela fut pour l'Iran, dont le shah nourrissait des ambitions de transformer son pays en puissance nucléaire. Ce qui était une « ligne rouge» à ne pas dépasser pour les Occidentaux.

Et c'est cette guerre tous azimuts au Moyen-Orient qui a eu des répercussions graves sur l'économie américaine. Puisque les États-Unis n'ont pas cessé d'enregistrer des déficits publics et courants année après année jusqu'à l'éclatement de le crise immobilière en 2007 suivie de la crise financière mondiale de 2008, elle-même suivie de ce qu'on appelle aujourd'hui la « Grande Récession» (Great Recession en référence à la Grande Dépression des années 1930 qui a mené à la Deuxième Guerre mondiale). Si, pour l'Occident, les années 2001 et surtout 2002, année de krachs boursiers en cascades, la situation économique s'est rapidement rétablie avec la montée de l'immobilier américain et européen et les dépenses qu'ont occasionnées les guerres menées par les États-Unis et leurs alliés européens, notamment la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS), il demeure que pour les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et les pays exportateurs de pétrole, cette période a été un « âge d'or».

En effet, alors que les États-Unis enregistraient continuellement des déficits publics et courants et donc commerciaux. De même l'Europe, la « balance du compte des opérations courantes de l'UE28, corrigée des variations saisonnières, était pratiquement négative durant toute la décennie 2000. Mis à part en 2007, le solde courant était environ 0,4 % du PIB et 2009 environ 0,2% du PIB. Quant au solde courant de la zone euro, il était négatif. Ce n'est qu'en 2012 que le solde courant a commencé à légèrement remonter» (1). Donc l'Occident tout entier cumulait déficits publics et courants.

Le seul moyen pour lui est la « création monétaire» ex nihilo car les États-Unis, la zone euro, le Royaume-Uni et le Japon étaient les seuls détenteurs et émetteurs des monnaies internationales. La Suisse comptait aussi mais a une très faible part dans les réserves de change des Banques centrales du monde. Et c'est surtout le dollar qui s'érige en monnaie de compte-centre dans les transactions commerciales internationales, et aussi en seule monnaie de facturation des exportations pétrolières des pays arabes et du cartel pétrolier, l'OPEP.

Cette situation de déficits publics et courants généralisés à pratiquement toutes les grandes aires occidentales ne pouvait que se traduire par l'autre face de la même médaille, et on entend par-là les excédents faramineux des pays du reste du monde susnommés. Et les chiffres de leurs excédents commerciaux corrélés par les réserves de change accumulés sont éloquents, inédits dans l'histoire. C'est véritablement un « âge d'or» pour ces pays qui pourrait peut-être ne jamais se répéter.

Pour cause, les réserves de change de la Chine entre 1999 et 2008 ont été multipliées par 12. Passant de 161,414 milliards de dollars à 1.966 milliards de dollars. Celles de la Fédération de Russie ont été multipliées par 34. Passant de de 12,325 milliards de dollars, en 1999, à 426,279 milliards de dollars en 2008. Les réserves de change de l'Arabie Saoudite multipliées par 24. Passant de 18,321 milliards de dollars, en 1999, à 451,279 milliards de dollars, en 2008. Celles de l'Algérie par 24. Passant de 6,146 milliards de dollars, en 1999, à 148,099 milliards de dollars en 2008. Il en va de même pour l'Inde, le Brésil et autres pays émergents et exportateurs de pétrole ont vu leurs réserves de change fortement augmenter (2).

Alors que durant la décennie 1990 à 1999, les réserves de change des autres pays ont pratiquement stagné. Les réserves de change de l'Arabie Saoudite sont passées de 13,437 milliards de dollars, en 1990, à 18,331 milliards de dollars, en 1999, soit un taux de croissance de 1,36, loin de la croissance par 24 entre 1999 et 2008. Les réserves de la fédération de Russie passent de 9,818 milliards de dollars, en 1993, à 12,325 milliards de dollars, en 2000, soit une croissance de 1,25, loin de la croissance de 34 entre 1999 à 2008. Les réserves de change de l'Algérie passent de 2,703 milliards de dollars, en 1990, à 6,146 milliards de dollars, en 1999, soit une croissance de 2,27, loin de 24 entre 1999 et 2008. La Chine a fait mieux. Ses réserves de change sont passées de 34,476 milliards de dollars, en 1990, à 161,414, soit une croissance de 4,68, néanmoins loin de 12 entre 1999 et 2008 (2).

Il est évident qu'une telle situation pose problème à l'Occident. Cela ne pouvait pas durer puisque l'endettement occidental partait à la hausse. Consommer les richesses du reste du monde en enregistrant des déficits jumeaux, à la fois publics commerciaux, ne pouvait qu'être improductif. En clair cela signifiait que lorsque l'Occident consommait et se lançait dans les guerres, sur fond de déficits, il faisait la part belle aux pays du reste du monde. Certes, les déficits qu'il enregistrait, il ne les comblait pas en exportant des richesses mais en produisant des liquidités monétaires créées à partir de rien, ce qu'on dit en latin ex nihilo. En vérité on ne peut pas dire simplement à partir de rien même si c'est vrai, mais pour une autre raison puisque « rien vient aussi de rien». Dès lors, le « à partir de rien a un sens et un sens nécessaire» puisqu'il permettait au reste du monde d'exister, d'enregistrer des excédents qui sont, au-delà des bénéfices, leurs « gages de survie».

En effet, le reste du monde qui n'est pas émetteur de monnaies internationales a besoin pour son commerce extérieur des dollars, des euros, des yens et des livres sterling. Et ces commerces extérieurs, il faut le souligner, sont « vitaux» pour leurs commerces intérieurs. Sans ces monnaies internationales, c'est la crise pour ces pays et un danger certain pour leur stabilité politique et économique. Il y a certes l'endettement de l'Occident, mais c'est un chemin « balisé» qui ne pouvait être contrarié par les forces économiques telles qu'elles se développaient entre 2000 et 2008. Et par « balisé», on entend les « Forces de l'Histoire».

Il faut rappeler encore l'attaque terroriste du 11 septembre 2001. Non seulement le sanctuaire américain frappé pour la première fois avec une force inimaginable n'existe plus, les États-Unis sont aussi devenus vulnérables, mais plus encore, cette attaque en fait a été le commencement de l'âge d'or pour une grande partie du reste du monde. En effet, pendant que les forces US étaient à pied d'œuvre au Moyen-Orient et devaient, selon leur doctrine « choc et effroi», rapidement annihiler leurs ennemis, la situation sur le plan militaire a évolué autrement. Les champs de guerre sont devenus des bourbiers pour l'armée américaine. Et précisément, contrairement au « choc et effroi», la guerre s'est étirée dans le temps, sans qu'elle fût déterminante. Précisément, cette guerre aura été un facteur extrêmement positif pour le reste du monde.

Aussi peut-on dire qu'il y a des forces naturelles qui jouent non seulement dans la guerre, mais cette guerre a été nécessaire pour cet âge d'or. Il est certain que les États-Unis, très confiants dans leurs forces, surtout que le contrepoids que fut l'Union soviétique ne jouait plus puisque l'URSS a disparu de la scène internationale, n'avaient à aucun moment pensé que de petits pays tels l'Afghanistan (déjà détruit par la guerre avec l'URSS) et l'Irak dont l'armée a été pratiquement démantelée avec les contrôles onusiens (UNSCOM), pouvaient leur opposer une résistance qui allait durer des années, voire une décennie. Et qu'à la fin, les forces US furent obligées de se retirer de l'Irak, en décembre 2011, sans retirer aucun gain stratégique. Et, aujourd'hui, ils cherchent à négocier avec les Talibans.

Mais l'histoire s'est ainsi développée parce qu'elle devait se développer ainsi, et a permis précisément par les dépenses de guerre durant toutes ces années à doper encore plus l'économie mondiale. Et pousser les déficits publics et commerciaux américains à des sommets. Et bien sûr l'usage de la planche à billets au sommet, évidemment en concertation avec les autres pays occidentaux qui émettaient les monnaies internationales. Ainsi s'est opéré un « effet de balancier monétaire» entre les grandes puissances occidentales qui, via leurs déficits, ont dopé le commerce mondial et rendu cet « âge d'or» réel.

Il ne vient pas à l'esprit que dans la finalité de l'histoire, les guerres menées par les États-Unis relèvent des forces historiques dans le sens que l'humanité évolue, change par ces mêmes forces qui la renouvellent. Et tout stade de l'histoire où les forces qui l'ont générée deviennent caduques, ont terminé leur raison historique, un autre stade historique naît sur les décombres du précédent. Et le déclin de l'Occident est frappant aujourd'hui, il ouvre la voie à une nouvelle ère à l'humanité.

2. Le surendettement de l'Occident, une situation intenable

On constate bien qu'entre l'Occident et le reste du monde, « la boucle est bouclée sur le plan monétaire.» Dès lors que reste-t-il à l'Occident pour « redresser la barre» ? Pour ne pas attendre, il faut dire que la riposte est toute trouvée, l'« Occident attaquera le mal par le mal». Trois donnes ou trois nécessités l'ont poussé à agir dans cette direction. Tout d'abord la crise financière ne lui a pas laissé le choix qui était de sauver à tout prix le système bancaire américain et européen. Celui-ci truffé de surprimes, i.e. les fameuses créances hypothécaires à risque, en anglais mortgage-based securities, (MBS), le système bancaire américain était paralysé tant la méfiance de ne pas retrouver ses capitaux a fait que chaque banque se méfiait de l'autre. Donc l'arme monétaire au sommet était inévitable.

La seconde nécessité était de relancer la machine économique et donc l'économie américaine et ses pendants, l'européenne (zone euro et Royaume-Uni) et la japonaise. La troisième nécessité est que les quatre pôles en tant que principaux émetteurs monétaires devaient agir de manière concertée. En effet, si la Banque centrale des États-Unis (Fed) agissait en solo et émettait des quantités de liquidités considérables, elle déséquilibrait forcément le système financier et monétaire international. On aurait alors une dépréciation très importante du dollar US provoquant une fuite généralisée des investisseurs occidentaux et étrangers vers les autres pôles, i.e. la zone euro, japon et Royaume-Uni ce qui en jouant de place refuge, feront apprécier fortement leurs monnaies. Ce qui n'est bon pour leurs commerces extérieurs. Au final, ce n'est bon ni pour les États-Unis qui risque un clash sur le dollar ni pour leurs alliés européens et japonais. Se rappeler le sauve-qui-peut lors du krach financier de Wall Street en octobre 1987 qui a vu le marché des actions s'effondrer et le dollar « se déboulonner». La Fed a dû négocier avec la Bundesbank pour faire remonter le dollar et, ce faisant, ont écarté un risque systémique qui menaçait l'ensemble des marchés financiers. On comprend pourquoi l'injection massive de liquidités doit être « concertée» entre les grandes Banques centrales occidentales. Donc sauvetage des banques, relance économique, tout devait se faire dans la concertation, même si cela n'est pas dit. Et c'est pourquoi des réunions sont programmées périodiquement dont Jackson Hole, aux États-Unis, entre les tenants du pouvoir financier mondial, i.e. la Fed, la BCE et les Banques centrales du Royaume-Uni et du Japon.

A suivre

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective

Notes de renvoi :

1. « Troisième trimestre 2018 Excédents de 38,7 milliards d'euros des échanges courants de l'UE28» par Eurostat. 14 janvier 2019

https://ec.europa.eu ? eurostat ? documents ? 2-14012019-BP-FR.pdf

2. Total des réserves (comprend l'or, $ US courants), par la Banque mondiale

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FI.RES.TOTL.CD?locations=CN

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FI.RES.TOTL.CD?locations=RU

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FI.RES.TOTL.CD?locations=SA

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FI.RES.TOTL.CD?loca tions=DZ