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La saleté n'a pas de religion

par Bouchikhi Nourredine

La dégradation de l'environnement, la saleté, l'incivisme sont des réalités bien évidentes qu'on ne peut occulter ou faire semblant d'ignorer ou de ne pas admettre par orgueil mal placé ou une négation d'une vérité qui fait mal; ce vécu nous agresse, nous pollue la vie, nous stresse mais hélas ce sentiment ne semble pas être partagé par tout le monde.

En effet, on a le sentiment et parfois la conviction que les gens s'y sont habitués, ils ne sont pas du tout dérangés, ils s'accommodent même, cela à l'évidence n'a rien à voir avec le niveau économique ou le rang social.

D'ailleurs qui n'a pas un jour remarqué ces automobilistes au volant de voitures rutilantes jeter par-dessus leur vitre les restes de leurs sandwiches, les mégots, les canettes de boissons, les emballages sans la moindre gêne ? Ces femmes au foyer qui balancent du haut des étages des sachets, des bouteilles en plastique ; ces hommes de tout âge qui crachent par tout sans se cacher, sans craindre la moindre remarque ; ces jeunes qui squattent les parties communes des immeubles pour y laisser leurs détritus sans se soucier de qui va effacer leurs méfaits ; ces adultes qui se soulagent au coin d'un mur sans prêter attention au regard d'enfants et passants.

Essayer de comprendre et de disséquer ces comportements antisociaux est l'affaire de tous, des intellectuels, des responsables des collectivités locales, des sociologues, des architectes, des urbanistes, des politologues, mais de là à faire le raccourci simpliste avec la religiosité de la société en la désignant comme coupable de tous les maux, c'est purement de la rhétorique haineuse et non fondée.

La société dans laquelle nous vivons est loin des préceptes de l'islam qui se distingue par l'incitation à la propreté corporelle et environnementale mais hélas ce sont ceux qui prétendument sont musulmans mais en réalité ne semblent comprendre de l'islam que des rituels vidés de leur portée pour devenir des actes routiniers sans sens qui malheureusement véhiculent cette image tronquée et aberrante et si jamais quelqu'un ayant gardé sa lucidité essaye d'éclairer les croyants sur leurs forfaitures dans l'espoir d'un redressement spirituel et comportemental, il est illico presto taxé d'islamiste, fondamentaliste pour arriver enfin au raccourci de terroriste homme des ténèbres.

On ne fait pas dans le détail, tout le monde est mis dans le même sac sans distinction aucune ; mais cela ne trouve pas explication de ces détracteurs dans l'ignorance des préceptes de l'islam mais il s'inscrit dans une stratégie rédhibitoire assumée et réfléchie ayant pour finalité le dénigrement de l'islam.

La saleté n'a pas de religion, ces comportements sont l'œuvre de tous, pratiquants ou pas de sociétés pieuses, athées ou animistes et tenter d'expliquer les raisons de cette déviance par le fait religieux notamment musulman s'inscrit comme toujours dans une stratégie de dénigrement à laquelle certains ont voué leur quotidien une mission quasi divine dans le prolongement des idées colonialistes et suprémacistes qui étiquettent les musulmans comme «sales arabes sous-entendant musulmans» portant une tare génétique; une théorie digne des thèses nazis. Le préjugé est ainsi là constant, immuable, imperturbable, une feuille de route rigoureusement suivie à la lettre, le mal est défini à l'avance on y construit tout autour, la réflexion, les jugements, même si cela sente la combine, le ridicule, la manipulation, le complot, on insiste quand même otages de notre conviction perverse, une persévérance pathologique ; mais plus c'est gros, plus ça passe pense-t-on !

Mais pour un esprit en quête de critique constructive, d'impartialité et d'honnêteté intellectuelle, il va falloir chercher les causes bien ailleurs, piocher au fond des choses, pour s'apercevoir que les causes sont multiples, d'ordre historique, politique mais et surtout sociétal ; les sociologues, on n'insiste jamais là-dessus, ont alors du pain sur la planche pour arriver à décortiquer tous les éléments de cette problématique.

Comme causes historiques à prendre en considération, il y a «la mentalité du Beylek», mot hérité du temps de l'empire ottoman qui renvoyait à la propriété commune étatique en quelque sorte, mais qui dans l'inconscient des citoyens signifiait qu'ils ne sont pas concernés par l'espace partagé ou conscients de l'existence de responsables qui veillent à la chose publique.

Ce qui génère un sentiment qui fait que toutes les frustrations, les dépits, la vengeance sont projetés sur tout ce qui peut schématiser l'autorité de l'Etat dont ils n'ont pas une conception claire faute d'instruction civique et même religieuse, faute d'exemples et de repères et surtout faute de n'avoir jamais été associés aux décisions inhérentes à la gestion de leur ville, comme s'ils vivaient dans un no man's land sans foi ni loi, une incitation au retour vers la société primitive.

Les raisons politiques peuvent se résumer essentiellement par le sentiment partagé par une grande partie du peuple de l'absence de légitimité des pouvoirs ayant pris les commandes du pays depuis l'indépendance qui fait que les gens n'accordent aucun crédit ou considération à tout ce qui leur semble venir d'en haut. Ils n'arrivent pas à dissocier l'image de l'Etat de celle du pouvoir qu'ils estiment ne pas être une traduction fidèle de leur volonté de choix mais imposé par la fraude, la cooptation, le clientélisme, le tribalisme, le régionalisme, ne cédant aucune place aux compétences. Ils sont carrément dans une logique d'opposition de principe, une révolte permanente entretenue par un ressenti d'injustice, de fait accompli, un désarroi profond qui perdure se transformant en une automutilation.

L'absence d'autorité de l'Etat qui a toujours fait dans le populisme, le faux social en fermant l'œil sur les pollueurs, les comportements salissants qui méritent sanction pour les récidivistes et récalcitrants contrairement aux affirmations qui pensent naïvement que seul le civisme des uns et des autres arriverait à bout de ce problème. Nous n'avons qu'à contempler ce qui se fait dans beaucoup de pays où le fait de souiller, dégrader ou simplement jeter un bout de papier est passible d'amende salée à même de dissuader beaucoup mieux que mille et un discours.

L'absence de clairvoyance s'est aussi traduite par des décisions prises à la hâte sans en mesurer les répercussions néfastes dont nous sommes en train de payer le prix fort.

La conception des cités sans considération des us et coutumes de la population en copiant presque machinalement pour ne pas dire bêtement des modèles importés en totale inadéquation avec nos réalités.

L'urbanisation anarchique et aléatoire, la plupart des constructions post-indépendance ne disposent par exemple même pas d'avaloir, outils simples facilitant le nettoyage des rues et ruelles, des lotissements édifiés pour être source de querelles de voisinage, des constructions qui traînent des décennies entretenant cette laideur faite de rouge brique ou gris ciment qui caractérisent nos viles et villages.

La suppression des concierges et syndics, la vente des logements sociaux pour leur réserver le sort que tout le monde connaît maintenant, non pas pour permettre aux citoyens d'acquérir un bien mais c'était pour légitimer l'accaparation au dinar symbolique de joyaux immobiliers de valeur par les concepteurs de ces lois taillées sur mesure, l'abandon du rôle des offices de promotion et de gestion immobilière (OPGI) dans le maintien et la conservation des parties communes des immeubles et leur dégradation esthétique et fonctionnelle, la non implication des comités de quartiers auxquels on ne fait appel que lors d'échéances électorales théâtrales. Toutes ces raisons et encore, les défaillances techniques dans la gestion de la ville telles que l'absence totale de poubelles et vide-ordures, ou leur quantité insuffisante, leur conception même, la collecte des ordures ménagères et industrielles qu'on arrive pas encore à gérer dans le temps et l'espace, l'absence de stratégie de recyclage et transformations par l'incitation et l'encouragement à la création de PME spécialisées ; un travail en amont et en aval indispensable à la réussite du projet, la gestion de l'eau potable, des eaux usées de leur traitement, l'application rigoureuse des sanctions, la dénonciation citoyenne des comportements d'incivisme et autres. Aucune mesure à elle seule ne peut régler ces problèmes intriqués, une responsabilité partagée entre le citoyen et l'autorité.

Enfin, le fait sociétal est manifestement la quasi-démission des parents, l'échec des éducateurs de la maternelle à l'école et tout au long de la scolarité dans leur rôle primordial d'enracinement dès le plus jeune âge de la culture de la propreté, de la sauvegarde de l'environnement et du respect de l'espace commun, la dévalorisation de l'éducation civique et religieuse qui doivent bénéficier davantage de plages horaires et d'un coefficient de matière attractif ; un citoyen poli, propre et respectueux vaut mieux qu'un citoyen «instruit» sans vertu.

Ce n'est pas ces campagnes ponctuelles de nettoyage qui régleront nos soucis de propreté, même si on y consacrera toutes les énergies du monde nous n'arriverons jamais à s'en sortir tant qu'on ne s'attaque pas aux racines du mal, au tarissement de la source de la salissure, la charrue devant les bœufs ne pourra être notre salut.