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Comment les pays en développement peuvent-ils financer les ODD ?

par Tania Masi1, Roberto Ricciuti2, Antonio Savoia3 et Kunal Sen4

MANCHESTER – Avec des objectifs aussi vastes que de mettre fin à la pauvreté sous toutes ses formes et d’assurer une éducation de qualité à tous d’ici 2030, les Objectifs de développement durable (ODD) sont très ambitieux, beaucoup plus que leurs prédécesseurs, les Objectifs du millénaire pour le développement. Que le monde les atteigne ou non dépendra essentiellement de la finance, particulièrement les finances publiques.

Traditionnellement, l’aide publique au développement (APD) jouerait un rôle pivot dans le financement d’un échéancier de 2010 dicté par le programme de développement durable, qui englobe les 17 ODD. Mais à une époque où la rhétorique nationaliste et les politiques isolationnistes gagnent des adeptes dans certains des pays donnant ordinairement le plus - à commencer par les États-Unis - l’aide publique ne suffira pas.

En fait, ces dernières années, l’aide étrangère, dans le meilleur des cas, demeure stagnante et rien ne laisse entrevoir qu’elle va augmenter. Au contraire, le spectre de la récession mondiale - exacerbée par la guerre commerciale du président américain Donald Trump - rend beaucoup plus probable une réduction à l’échelle mondiale des recettes de l’État, ainsi que des demandes accrues pour dépenser les fonds publics au pays. Rien de tout cela n’est de bon augure pour les entrées d’aide extérieure.

Ce qui veut dire que, pour mettre en œuvre les ODD, les pays en développement devront de plus en plus compter sur leurs propres moyens. En fait, le programme 2030 devance cet impératif : la principale cible des 17 ODD consiste à «renforcer la mobilisation des ressources intérieures… pour améliorer la capacité de perception des impôts et d’autres taxes    ». La question est de savoir comment.

Une gestion fiscale déficiente signifie que les pays en développement - particulièrement en Afrique, où se situent 27 des 28 pays les plus pauvres du monde - subissent de fréquentes crises d’endettement et d’inflation; et beaucoup d’entre eux sont à la merci des fluctuations du cours des denrées. La perception des impôts est un défi majeur pour ces économies : les recettes fiscales perçues par les pays à faible revenu atteignent de 10 à 20 % du PIB, en moyenne, par rapport à environ 40 % du PIB dans les pays à revenu élevé.

La principale raison pour laquelle le secteur non officiel occupe une grande place dans l’économie de ces pays ; une autre est qu’ils investissent peu dans les infrastructures nécessaires à l’instauration d’un régime d’imposition des particuliers, comptant plutôt sur les taxes de vente, qui sont plus faciles à administrer, mais génèrent moins de revenus à l’État. Ajoutez à cela la gestion déficiente de la perception et ces pays ne parviennent jamais à fournir les biens et les services publics essentiels, encore moins à assurer une stabilité fiscale.

Selon nos recherches, l’efficacité de la perception des impôts et la solidité des systèmes budgétaires dépendent essentiellement du degré de contrainte que les institutions politiques placent sur le pouvoir exécutif. Non seulement les États pourvus d’automatismes régulateurs institutionnalisés crédibles perçoivent plus de recettes fiscales, mais ils ont également des procédures budgétaires plus transparentes et plus prévisibles.

L’imputabilité en est la principale raison. Donner la mainmise presque totale à un groupe restreint d’administrateurs sur les ressources financières de l’État augmente le risque de changements imprévus dans les priorités budgétaires et favorise la tentation de dépenser dans des projets qui enrichissent une minorité aux dépens du bien public. Mais quand les dirigeants politiques sont incapables de piger librement dans les goussets de l’État - disons, pour s’enrichir eux-mêmes ou enrichir leurs acolytes - ils investiront plutôt dans le renforcement de la capacité fiscale de l’État, notamment sa capacité d’élaborer, de mettre en œuvre et d’effectuer des contrôles budgétaires.

Ainsi, dans un système parlementaire fonctionnel, le budget de l’État est administré par un groupe d’autorités élues de manière relativement transparente. Personne n’a le pouvoir d’orienter la procédure en sa faveur. Au lieu de cela, les dirigeants sont obligés de répondre aux besoins et aux préférences des électeurs.

Dans un tel contexte, l’imposition devient une transaction éclairée, consensuelle entre les citoyens et l’État. Ceci raffermit la confiance dans les institutions officielles, augmentant ainsi les revenus et étayant la stabilité sociale et politique.

Selon nos recherches, le fait de placer des restrictions institutionnelles sur la branche exécutive de l’État conduirait, sur une période d’environ neuf ans, à une augmentation de 2,4 points de pourcentage dans la part dans le PIB des revenus totaux et des rentrées d’impôt sur le revenu. De tels changements devraient également augmenter la qualité de la planification budgétaire - la précision des prévisions de revenus et l’efficacité de la mise en œuvre du budget et de la gestion de la dette - au-dessus de la moyenne mondiale.

Ces gains pourraient se traduire par plus de manuels scolaires dans les établissements scolaires locaux, plus de vaccins pour les services de santé locaux et plus de moyens pour les programmes de réduction de la pauvreté. En d’autres termes, un régime fiscal limité par les institutions qui assure la transparence et l’imputabilité pourrait venir en appui aux progrès vers l’atteinte de l’ODD.

Évidemment, l’effet ne sera pas immédiat. La réforme institutionnelle est un processus progressif et les changements juridiques ne se traduisent pas immédiatement en changements d’attitudes. Mais les automatismes régulateurs intégrés dans l’administration publique - particulièrement pour limiter l’autorité budgétaire discrétionnaire de l’exécutif - font partie intégrante du processus pour accomplir le genre de transformation structurelle dont les pays en développement ont grand besoin s’ils veulent un jour créer plus un avenir plus stable et plus prospère bien après 2030.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
1- chercheuse à l’Université de Milan-Bicocca
2- professeur agrégé à l’Université de Vérone
3- maître de conférence à l’Université de Manchester
4- professeur à l’Université de Manchester et directeur de UNU-WIDER