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POUR PAS MAL DE DOLLARS DE PLUS !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Le rapport récent annuel 2012 de Transparency International sur la corruption vient de classer l'Algérie à la 105e place sur un total de 176 pays. Depuis une décennie, le pays n'a pas quitté la zone rouge. Le pays n'a pu obtenir mieux que la catastrophique note de 3,4/10 de l'indice de la perception de la corruption qui mesure le niveau de corruption dans le secteur public. Plus l'indice est faible, plus le pays est corrompu (2003 : 2,6 sur 10 et 88e place (sur 133 pays) / 2008 : 3,2 sur 10 et 92e place sur 180 pays classés / 2009 : 2,8 sur 10 et 111e place... et 112ème en 2017 / sur 180 pays et 105ème en 2018 / sur 180 pays (18ème en Afrique et 10èmedans le monde arabe).

L'indice est calculé sur la base des données recueillies par 13 institutions internationales, dont la Banque mondiale, les Banques asiatique et africaine de développement et le Forum économique mondial. L'Algérie a fait l'objet de six enquêtes et études faites par ces institutions internationales.

Dans le groupe des pays arabes, le pays occupe la 10e place (sur 18 pays notés) et en Afrique, il arrive à la 21e place (sur 50 pays). Etude de cas !



Appelez-moi Colonel ! Un témoignage de Achour Bounoui, préfacé par Hocine Zehouane. Koukou Editions. Alger 2012. 259 pages, 650 dinars.



Achour Bounoui est un homme plus que têtu. Courageux aux limites de la témérité et du défi suicidaire, tout particulièrement pour ce que l'on appelle banalement des «principes» et «la défense de l'intérêt national». A la tête d'un Syndicat autonome au sein d'une société publique stratégique de l'aviation, il dénonce les actes de gestion véreux et gravement préjudiciables à l'intérêt de l'Entreprise et du pays ... Face à des directions générales corrompues, toutes acquises à un responsable du service de sécurité interne, devenu assez vite «seigneur de la guerre», qui fait (et défait) la pluie et le beau temps, sous couvert de sa fonction ... et d'un «grade» (réel ou inventé, on ne le saura pas... mais peu importe, l'escroquerie aux grades après celle des diplômes, hier, et des attestations communales, avant-hier, est devenue... monnaie courante). Exploitant une banale de histoire de photos, le «saigneur» («Hadarat») finit par lui «fabriquer» une dizaine d'accusations dont l'espionnage, l'intelligence avec l'ennemi, l'atteinte à la sûreté de l'Etat ... et, en ces temps d'extrême pudibonderie et de tartufferie, une aventure extraconjugale. Il le charge au maximum pour l'éliminer définitivement du circuit. Ce qui amène notre «héros» à être arrêté (???) par, dit-il, des agents du fameux DRS ... et déféré au tribunal militaire de Blida pour y être jugé. Il sera, heureusement, (bien) entendu, compris, innocenté ... libéré. Ouf ! Restauré dans ses droits ? Une toute autre affaire. Heureusement, aussi, «la main de Dieu» a suivi, entraînant tous les corrompus et autres corrupteurs (sauf pour «Hadarat» dont on ne sait rien de ce qui a pu lui advenir par la suite. Secret défense ?) à payer d'une manière ou d'une autre pour leurs forfaits.

Avis : Petit livre, grand problème. Témoignage sur une malaventure douloureuse, poignante (complètement authentique ? Hocine Zehouane, dans la préface, nous assure indirectement que oui en reprenant Tacite : «Plus la République (romaine) était corrompue, plus les lois se multipliaient»). Une «descente aux enfers» est toujours difficile à vivre et d'autant plus inacceptable lorsqu'on se trouve désarmé, face aux «grands», à l'immense pouvoir des «pourris» et des «corrupteurs» dans une Algérie en mauvais état, les «corrupteurs» se cachant derrière soit le poste de responsable ou de décideur, soit l'uniforme ou un grade ... et utilisant, souvent, au grand jour, dans l'impunité, la violence.

Phrases à méditer : «C'est l'Etat tout entier qui est gangrené et des responsables hauts placés sont complices de la prédation» (p.51). «Parler ou écrire sur la corruption aujourd'hui en Algérie, en faisant mine d'être stupéfié par son ampleur, peut paraître ringard, tellement ce fléau fait désormais quasiment partie des mœurs nationales» (pp. 98 et 99).



Corruption & Prédation. Des analyses d'universitaires et de spécialistes algériens et étrangers. NAQD, Revue d'études et de critique sociale, n° 23. Alger, automne - hiver 2008. 335 pages (en français : 209 pages et en arabe : 126 pages en un seul volume. Textes et résumés), 400 dinars.



Les premières phrases de la première analyse présentée résument, à elles seules, toute la problématique du contenu ... déjà visible au niveau du titre lui-même : Corruption & Prédation, l'une n'allant pas sans l'autre, la première entraînant immanquablement la seconde. Deux fléaux de la société contemporaine qui nous touchent de plein fouet, les subissant et/ou les générant.

Ne sommes-nous pas «bien» classés sur les tablettes de Transparency InternationaI (TI) et ce depuis déjà plusieurs années ?

«La corruption est un phénomène universel qui ne connaît ni frontières politiques ni idéologies, seules ses expressions et sa conception varient ...» et, il ne faut «plus voir la corruption sous l'angle de «déviances» mais, au contraire, d'accepter le caractère systémique qu'elle peut prendre dans beaucoup, voire dans la majorité, des pays émergents ...».

Des phrases qui peuvent amener certains de nos décideurs à très vite trouver un alibi pour excuser leur complicité, ou leur culpabilité, ou leur silence, ou leur incapacité à éradiquer le mal. Heureusement (sic!), il y a cet aspect systémique, inévitable, qui pousse la quasi-totalité des analystes qui suivent à proposer, à peu près, les mêmes solutions ... car toutes les réformes entreprises et les opérations «mains propres» n'étant que cautère sur une jambe de bois : construction de la légitimité politique, construction et développement d'un Etat de droit et d'un Etat fiscal-redistributeur, rupture avec le néo-patrimonialisme, instauration de pouvoirs indépendants et d'institutions stables garantes de la démocratie, création d'une bureaucratie légale, rationnelle et d'institutions publiques légitimes, cautions de l'intérêt général et de l'égalité de tous ...

Pas facile, tout ça ! Surtout lorsqu'on est en présence de société sans culture de la séparation entre ordre politique et société civile et autonome...

Avis : Ce n'est pas seulement ce numéro qu'il faut acheter et lire (s'il n'est pas déjà épuisé !), mais bien tous les numéros de la revue. Créé en pleine tourmente politique et délire idéologique, par un intellectuel -vrai, Said Chikhi, décédé prématurément, le titre a, désormais, sa place, et quelle place, dans l'univers national et international de la réflexion, de la pensée et de la critique sociale. Ses études et ses analyses produisent toujours du sens. Du scientifique. Du lourd. Du vrai. De l'utile. A imiter. Incha'Allah !

Phrases à méditer : «Le capitalisme algérien est une transformation accélérée du pouvoir politique en actifs du marché» (El Kadi Ihsane, p.157). «Trois gisements «d'affaires» ont génétiquement enfanté la nouvelle classe possédante : la signature des grands et moins grands contrats d'équipement avec les firmes étrangères, la distribution des terrains et des appartements, l'octroi de crédits bancaires d'investissement» (p 158)



Vérités sur l'incarcération des cadres gestionnaires. Ouvrage mémoriel et/ou essai (avec une préface de ... Khalida Messaoudi... Ndlr : avant qu'elle devienne ...ministre de la République jusqu'en 2014 - «Communication et Culture» dans le gouvernement de Ali Benflis - ... à partir de 2002 puis «Culture» avec A. Ouyahia, puis avec A. Sellal...). Chihab Editions, Alger 2000. 175 pages, 300 dinars.



C'est l'histoire d'un cadre (moyen) quinquagénaire (de l'Eniem de Tizi-Ouzou). 50 ans, la fleur de l'âge en matière de gestion. Il s'est retrouvé brutalement entraîné par la vague des cadres incarcérés au milieu des années 90 ... et qui, comme la plupart des cadres incarcérés, a été acquitté ... par la suite. Plaintes hâtives, règlement de comptes, dossiers mal ficelés, preuves matérielles inexistantes, juges et jugements «aux ordres» ... il est vrai que la période, secouée par le terrorisme, avait laissé la place à toutes les «magouilles» et à toutes les surenchères politiciennes, d'un côté comme de l'autre. C'était le moment ou jamais d'»arriver» (politiquement ... ou matériellement).

Une vague d'arrestations aurait été, à la limite, compréhensible par les citoyens et les cadres, mais pas un «tsunami». D'autant que la suite, après les condamnations, a été faite d'acquittements, ce qui a considérablement déconsidéré la justice algérienne déjà fortement écornée par le passé. Elle ne s'en est pas encore relevée. En plus de la méfiance, on peut même dire qu'une certaine «haine» est née, chez beaucoup de cadres moyens et supérieurs, à l'endroit de tout ce qui est «pouvoir»en Algérie avec l'acceptation presque aveugle de toutes les thèses opposantes, farfelues ou sérieuses. A la fin de son ouvrage, l'auteur, qui dit «merde» «à tous ceux qui ont noirci son ciel et à ceux qui ont monnayé leur honneur pour vendre ce qu'ils ont de plus cher et d'inestimable, leur patrie», est cependant devenu philosophe face à une bêtise humaine trop puissante ...pour l'instant.

Avis : A lire pour se souvenir que le passé est toujours présent ...en espérant que le futur apportera une réponse à bien des questionnements sur la gestion du pays ... par les «décideurs» ...et par les cadres, les uns comme les autres n'étant pas indemnes de reproches. Décidément, le président défunt Boumediène n'avait pas prédit le succès de sa fameuse fetwa compréhensive sur les «bouffeurs de miel». Une fetwa qui a inauguré une complicité coupable d'un trio quelque peu infernal et diabolisé pour longtemps par les opinions publiques : Etat (dont justice)- Corruption - Décideurs (à tous les niveaux)



AU FIL DES JOURS

ACTUALITES :

1 / -L'hebdomadaire français «L'OBS» (ancien «Nouvel Observateur») a publié récemment (n° 2855 du 25 juillet) un article sur les «ministres, hauts fonctionnaires et grands patrons algériens» qui «investissent depuis des décennies dans les plus beaux quartiers de la capitale française... là où le prix du mètre carré atteint les 15 000 euros. Avec des montages minutieux et des prête-noms impossibles à relier formellement aux bénéficiaires effectifs (dont les noms, désormais connus, parsèment les réseaux sociaux). «L'oligarchie sur Seine». Pour la plupart dans la pierre, c'est-à-dire des apparts qui, aujourd'hui, sur un marché en hausse, valent de «l'or». Des «biens mal acquis», sous l'œil complice des autorités étrangères, achetés avec de l'argent sale, issu de la corruption en particulier ? Il est sûr que très peu sont simplement le fruit de nombreuses années de travail. Mais attention, nous dit-on, l'argent sorti illégalement n'est pas nécessairement «sale». Il est parfois seulement «non déclaré» aux autorités algériennes. Et pour cause : la loi interdit «la constitution d'avoirs monétaires, financiers et immobiliers à l'étranger par les résidents à partir de leurs activités en Algérie». Et punit toute infraction de deux à sept ans de prison. Cela veut dire tout simplement qu'en dehors de toute preuve concrète de corruption lors de la passation de marchés en Algérie, c'est-à-dire dans le cadre des «activités»... et que Paris-chic «valant bien quelques années à El Harrach... et même l'indignité nationale pour la famille et ses descendants», il sera difficile (sinon impossible) de récupérer l'argent «exporté».

A noter que les «grandes fortunes» algériennes ne limitent pas leurs investissements immobiliers à la France. L'Espagne, Londres, Dubaï, Genève, Montréal ... On parle même d'investissements en Ukraine ... Il est vrai, aussi, que cela a commencé bien avant la venue des Boutef'... qui ont permis «l'industrialisation» de la chose.

2 / Fin juillet, le ministre kényan des Finances est mis aux arrêts par la justice de son pays, avec son numéro deux le secrétaire principal du ministère.

Le responsable, à la tête du département depuis 2013, est accusé de malversations financières. Lors d'une conférence de presse, les autorités judiciaires kényanes avaient annoncé que le responsable serait inculpé pour corruption dans le cadre d'une affaire liée à la construction de deux barrages.

Prévus pour être réalisés notamment par le groupe italien CMC Di Ravenna, pour un montant de 46 milliards de shillings (environ 445 millions $), les deux projets auraient fait l'objet de détournements de fonds.

Ce mandat d'arrêt, le premier du genre dans un pays miné par la corruption, intervient dans le cadre d'une longue enquête qui avait poussé le ministre Rotich à nier publiquement toute accusation de malversations en mars dernier.

»Une vingtaine d'autres fonctionnaires, dont un Italien, directeur de CMC Di Ravenna, devrait être également arrêtée.

Le Hirak africain en bonne voie ?

3 / Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui a lancé en grande pompe un «sondage»auprès des étudiants portant sur l'adoption (en fait l'«amélioration» ) de la langue anglaise dans l'enseignement universitaire à la place du français, a dû être déçu par le résultat. La moisson a été presque insignifiante.

En effet, en plus d'être un sondage qui est loin de répondre aux critères méthodologiques, sur un total d'un million 700.000 étudiants recensés à la rentrée 2018-2019, seuls 90.418 ont participé au «sondage» du ministère sur le choix entre l'anglais et le français.

Le ministre a publié ce mercredi les résultats de cette consultation sur sa page Facebook en précisant que 94,4% des votants ont approuvé par un «Oui» la suppression du français et l'adoption de l'anglais tandis que 6,5% ont votés «non».

Mais au-delà de ce taux (94,4%) d'opinion favorable qui peut paraître impressionnant contre les 6,5% d'étudiants opposés à l'option, il reste dérisoire quand on le rapporte aux «bataillons» qui peuplent les universités algériennes dont l'effectif frise les deux millions. Il va sans dire que pas moins de 110.000 nouveaux étudiants sont attendus à la prochaine rentrée universitaire.

Un «vrai-faux» sondage, pour imposer une option lourde de conséquence qui n'est fondée sur aucune donnée objective ? Du n'importe quoi (devant finir dans les «poubelles universitaires») pour «marquer» (à l'image de certains animaux) un «passage» qui ne peut être qu'«éclair».

CITATIONS :

-Au bout du compte, à quoi ont servi tous ces «wilayistes», chefs et combattants, qui sont tombés par dizaines et dizaines de milliers, sinon à libérer l'Algérie totale. Les vivants, parmi lesquels certains se sont retrouvés plantons des responsables de la onzième heure, ne demandaient rien que le respect de leur dignité et de la mémoire de leurs compagnons morts pour elle (Mohamed Teguia, «L'Algérie en guerre», Mémoires © Opu, 1981)

- Il n'y pas que l'Etat qui crée l'impensable : les sociétés conditionnées par une longue politique d'oppression vont devenir, elles aussi, des agents de maintien et de renforcement de l'impensable ou de l'impossible (Mohamed Arkoun, «La construction humaine de l'Islam. Recueil d'entretiens avec Rachid Benzine et Jean-Louis Schlegel», © Hibr Editions, Alger 2012)

- Il y a des gens qui se croient obligés d'en donner (les conseils). On les écoute par politesse, en songeant qu'ils feraient mieux de s'en donner à eux-mêmes (Feraoun Mouloud, «La terre et le sang». Roman © Enag Editions, Alger 2012).

- Nous les Arabes, on est les champions de la corruption. On est aussi doués dans la pratique de la corruption que dans sa condamnation (H'mida Ayachi, «Dédales. La nuit de la grande discorde», Roman © Editions Barzakh, Alger 2016).

ARCHIVES BRÛLANTES :

-«Alger, dans les années 1960, c'était mieux que Woodstock»... c'est ce qu'affirme Elaine Mokhtefi (que l'on a connue sous le nom de Klein : Elaine Mokhtefi est neìe en 1928 aÌ New York. Elle s'est marieìe aÌ un ancien membre de l'Armeìe de libeìration nationale algeìrienne (ALN) devenu eìcrivain, Mokhtar Mokhtefi, deìceìdeì en 2015) dans son récent ouvrage «Alger, capitale de la révolution. De Fanon aux Black Panthers».

À partir de ses années parisiennes - en pleine guerre d'Algérie - et pendant deux décennies, alors jeune militante américaine, a épousé celle de la cause algérienne. Le combat la mène à New York, au siège des Nations Unies avec la délégation du FLN ; à Accra, aux côtés de Frantz Fanon pour le congrès de l'Assemblée mondiale de la jeunesse ; à Alger, enfin, où elle atterrit en 1962, quelques semaines après l'indépendance. Elle y restera jusqu'en 1974. Journaliste, interprète et organisatrice efficace, elle assiste, remplie d'espoir, aux premiers pas de la jeune république, accueille les Black Panthers en exil et participe à mettre sur pied le Festival panafricain d'Alger. Ses mémoires témoignent de l'effervescence des luttes anti-coloniales des années 1960, vécue dans l'intimité des grandes figures de l'époque - Ben Bella, Castro, Eldridge Cleaver -, dans une ville qui a gagné avec sa liberté des allures de capitale de la révolution mondiale. Une histoire fascinante, qu'Elaine Mokhtefi raconte avec une passion et une conviction intactes. Un trésor d'informations historiques mais il se lit comme un roman. Commentaires de presse (française) : «Le livre est agrémenté de photos qui permettent de plonger encore plus dans une époque bouillonnante»... «Elaine Mokhtefi donne un nouveau souffle à cette époque fascinante où la face du monde a été métamorphosée par le soulèvement et les idéaux des peuples opprimés»... «Dans Alger, capitale de la révolution, la journaliste et traductrice américaine raconte ses souvenirs de l'Algérie devenue le centre de la révolution mondiale au lendemain de l'indépendance. Frantz Fanon, Black Panthers en exil, Timothy Leary, Fraction armée rouge ...»... «La journaliste américaine Elaine Mokhtefi, devenue à la faveur des événements une «Pasionaria» de la cause algérienne, arrivée à Alger dans un moment d'effervescence qu'elle ne pouvait soupçonner et prise dans le tourbillon de l'histoire».